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Ça rameute tout azimut. Ecœuré par la vision et le témoignage qu’en portent mes fringues, je contourne le gisant pour m’approcher de l’Anglais. Lui, impassible, il est resté allongé sur sa chaise longue. Maintenant, cette histoire n’est plus sa tasse de thé favorite. Il écluse un whisky en rêvassant.

— Merci very much, je lui fais.

Il a un geste badin, « de rien, c’est la moindre des choses », signifie son petit mouvement.

J’insiste :

— Vous avez vu de quel étage il est tombé ?

Le Rosbif hoche la tête en direction du bâtiment.

— Il n’est pas interdit de penser que cette personne ait chuté du balcon d’où pend une ceinture de peignoir, répond-il en soupirant.

Je compte les niveaux, douzième étage.

Alors je me pointe à contre-courant des spectateurs jusqu’à la réception où des Thaïlandaises exquises plaisantent avec un ramage de perruches. Elles ne sont point encore informées de la tragédie.

J’avance vers elles, précédé d’un sourire tellement ensorceleur qu’elles vont devoir changer de slip dès la fin de la converse et alors qui est-ce qui sera en place pour répondre à la clientèle, tu peux me dire ?

Je m’adresse à la plus belle dont le regard fendu fait penser à deux pines rapprochées.

— Au douzième étage, un gros type chauve occupe un appartement face à la piscine, vous voyez de qui il s’agit ? je demande.

La souris se met à guiliguiler avec ses potesses, puis à mater un grand tableau puzzelé de cartons portant des blazes. Dehors le raffut monte. Juste elles ont le temps de me dire qu’il doit s’agir de M. Johannes Brandt, de Hambourg, Germania, appartement 1212. Et est-ce qu’il est seul ici ? Oui, il est seul. Bon, allons-y voir. J’engage dans l’ascenseur tandis que les perruches aux yeux bridés et aux mignons slips en péril sont enfin informées de l’horreur extérieure.

J’arrive devant le 1212, je demande mam’zelle Angèle… Tu me croiras si tu vas vouloir, mais la clé est sur la porte. J’entre avec une superbe désinvolture flambant neuve. Minuscule antichambre garnie de penderies, porte de la salle de bains, porte de la chambre. Cette dernière grand tout vert.

L’accès au balcon est largement dégagé et le rideau de tulle (Corrèze) flotte à l’extérieur comme une voile de barlu en cours d’hissage.

M’y pointe.

La ceinture du peignoir de bath est là, qui pendouille au-dessus du vide.

Je reviens à la chambre. Le lit est défait, il y a un plateau sur la table basse, avec des reliefs de petit déjeuner pour deux personnes. La radio mouline en sardine, comme dit le Gros. Musique de par ici, lancinante, percutée, chiante, qui te scie la nervouze.

Dans un angle de la pièce, un étui à fusil. J’en soulève le couvercle, dégage l’arme. Il s’agit d’un Eburneur 79 à lunettes, canon trimulcé, expectative double, farniente incorporé, injection directe d’objet. Acier poli, qui dit merci quand on le caresse. Ça vous tire des bastos grosses comme une quéquette d’officier de marine. Donc, le sieur Brandt était chasseur. Mais on chasse quoi, en Thaïlande ? Le tigre du Bengale, l’autruche amphibie ou le castor ovipare ?

J’en suis là de mes auto-questions, quand la porte de la salle de bains s’ouvre et une personne du sexe merveilleusement opposé au mien surgit, entièrement nue, sauf qu’elle achève de se fourbir l’entrejambe avec une serviette-éponge, ce qui cache momentanément une partie assez essentielle de son individu.

Elle s’arrête pile en m’apercevant, place une jambe devant l’autre afin de planquer sa case trésor, et remonte la serviette devant ses exquises loloches. La personne dont je dis est asiatique.

Elle s’adresse à moi en anglais. Le zozote délicieusement.

— Qui êtes-vous ? demande-t-elle.

— Un client de l’hôtel, réponds-je, car je hais le mensonge.

— Et qu’est-ce que vous voulez ?

— Je passais, j’ai vu du feu, je suis entré.

— Johny n’est pas là ? elle s’inquiète après une matée circulaire.

Je suppose que Johny est le diminutif de voyage du sieur Johannes Brandt.

— Il est descendu, réponds-je, toujours par amour de la vérité.

Elle s’étonne :

— Mais il était tout nu, et ses vêtements sont là, ajoute-t-elle en montrant le serviteur muet loqué d’effets qui, pour être adaptés à la chaleur, n’en sont pas moins germaniques.

— Il a passé un peignoir de bain, rassuré-je.

— Il n’est pas descendu en peignoir de bain ! dénègue la mignonne.

Je hausse les épaules.

— Bien que vous soyez probablement bouddhiste, vous possédez l’incrédulité de notre cher saint Thomas, fais-je. Donnez-vous la peine d’aller jusqu’au balcon et vous apercevrez Herr Brandt auprès de la piscine. Vous promettre qu’il a l’éclat de la rose et la fraîcheur du jasmin serait hardi de ma part, mais enfin, vous constaterez qu’il y est bel et bien (si j’ose dire).

Elle obéit.

Je contemple avec une admiration indissimulable la silhouette de cette ravissante thaïlandaise, son cul si trognon quand elle se penche, ses cuisses bien faites, car elle n’a pas les jambes torses comme la plupart des gonzesses de là-bas qui paraissent avoir été élevées à califourchon sur des tonneaux.

Elle doit exclamer des trucs en langue thaï, que je ne saurais traduire si je les percevais, n’ayant pas le privilège de causer ce patois. Gorgée du vilain spectacle, elle revient vers moi.

— Il a sauté par le balcon ? demande-t-elle.

— Comme un grand, confirmé-je, et j’ai failli le prendre sur le coin de la théière.

Elle ne se formalise pas outre mesure. Le flegme britannouille, c’est de la roupie de chansonnette, ou de la roupette de pensionné, ou de la roupie de je ne sais plus quoi de con, qu’enfin bref, tu m’as compris, comparé à l’impénétrabilité des extrêmes-orientaux (lesquels extrêmes ont la fâcheuse réputation de se toucher, nul n’en ignore).

— Je ne comprends pas pourquoi il a agi ainsi, dit-elle, nous venions de faire bonheur-l’amour. Il paraissait content.

— Peut-être a-t-il cédé à un excès de félicité, émets-je. L’angoisse de ce qui va suivre, ça existe. Dans un sens comme dans l’autre, les paroxysmes engendrent leur contraire.

Mais cette puissante bouffée philosophique ne lui fait pas davantage d’effet qu’une piqûre de moustique à un éléphant.

— Est-il indiscret de vous demander qui vous êtes, mademoiselle ?

Elle hoche la tête, me vaseline un frais sourire pour catalogue de la Redoute (pages « tenues de plages ») et, en guise de réponse, va prendre une carte à une liasse maintenue par un élastique, dans son sac à main.

Je lis :

« Suzy WRONG »

« Spécialiste ».

Au dos de la brème, sont nomenclatées les choses suivantes :

« Massages thaïlandais

« Langues de velours japonaises

« Pipes françaises

« Touché rectal grec

« Feuilles de roses belges

« Sodomie par prothèse allemande

« Flagellation turque

« Supplices chinois

« Vibro-massages américains

« Invectives italiennes

De nuit, de jour ; à l’heure, à la semaine.