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D’accord, je retrousse les manches de mon stylo et je m’y attelle.

L’endroit est une sorte de vaste magasin comprenant un hall central couronné par une coupole de verre et trois niveaux de galeries bordées par une rambarde de bois noir.

Au rez-de-chaussée, et sur les galeries, il y a des cercueils. Mais attention, pas des boîtes à osselets à la manière de chez nous. Certes, la forme est identique, parce que sous toutes les latitudes, un homme c’est un truc long et étroit qui n’excède pratiquement pas deux mètres de haut.

Mais les bières accumulées ici sont proprement délirantes ; laquées dans les tons rouges, jaunes, verts, avec des ciselures, des peintures, des tarabiscotages dorés, des sculptures dragonesques, des exubérances à volutes, des échevellements indicibles. Certaines constituent une espèce de mausolée en soi. Elles sont à impériale. C’est baroque ! C’est stupéfiant ! Et l’intérieur, dis, l’intérieur ! Approche-toi, regarde ! Ces soies brochées, ces molletons exquis, ces coussinets brodés ! Quel luxe, quelle glorification du trépas ! T’en aimerais pas une, tézigue, pour la campagne ? Les véquendes, je te figure bien, à jouer les pachas mandarins, là-dedans. Certaines ont l’éclairage indirect, l’eau, le gaz, l’électricité. Y en a des à tiroirs (les plus commodes) ; des avec kitchenette incorporée, des avec bibliothèque, des avec la télévision, et des avec des chaînes Hi-Fi (génie). Merveilleux. Le confort suprême, quoi ! Post-mortem.

L’au-delà-pullman ! Mourir en first !

Cela dit, il existe, en bas, des modèles courants, pour les lavedus qui ont des morts au rabais ; les petits médiocres de la calanche. Ceux qui crèvent à l’économie, juste pour eux, manière d’en finir avec la chiasse.

Univers époustouflant, qui m’ahurit.

Tu imagines, ce grand hall avec la verrière, tout là-haut, qui laisse passer la lune ? Et puis cet amoncellement faramineux de cercueils, entassés, empilés, et d’autres présentés de délicate manière sur des tourniquets, comme les bagnoles en vitrine sur les Chamzés ? Des en coupe, qu’on puisse admirer l’épaisseur, le garnissage, la finition extrême. Et des sarcophages de couleur, surglacés, brillants, dans les surfaces desquels ce t’est loisible de te mirer, t’admirer vivant pendant que tu peux encore, qu’il faut en profiter vite vite de sa gueule, cré bongu, avant qu’elle tourne ivoire (et carrée), pleine de trous d’ombres.

Le vieux bonze est debout au mitan du hall, il se perd dans la contemplation admirative d’un cercueil tout particulièrement réussi avec des poignées que ça représente des dragons à la queue frétillante, et dont l’avant est en capot de Porsche (la 928), ce qui fait drôlement rupinoche pour un cercueil, l’aérodynamisme, alors là, fais-moi confiance. Et puis il y a des motifs en bronze surgaufré, un peu nouillesques j’admets, mais d’un très bel effet. Que je te dise séance tenante : ces cercueils thaïlandais font la pige aux italiens que je tenais jusqu’alors pour les premiers du monde. Pas le même genre. Le catholicisme absent, c’est troublant pour nous autres, gens de pape bon gré mal gré, même quand on ne pratique pas et qu’on rentre dans les églises juste pour admirer les retables du XVIe Flamand ou changer la pellicule de son Kodak dans les confessionnaux.

Une religion native, héréditaire, tu restes empêtré. T’as beau regimber, dénier au Saint-Père (en l’appelant Sa Sainte-Paire) son palanquin et tout le tralala, pompe, procession, bénédictions rubis et orbite (comme dit Béru) ; t’es marqué en extrême profondeur. T’as des pater et des ave sous-jacents. La sainte croix en ombre chinoise, et la notion de Jésus qui te chemine dans l’âme, oh là là combien ! Indélébile. Quand tu tournerais agnostique, athée, tremblement, quand tu te goinferais de blasphèmes bien agencés, rigolos même, toujours catholique apostolique romain tu restes quand tu en viens de lignée. La marque. Une façon d’être sentimental. T’as beau tout ce que tu veux, ricaner en plein : mon cul sur La Salette, la main de Fatima dans la culotte d’un zouave pontifical. T’es tu sais quoi ? Stigmatisé en douce. Bité à bloc. Hop, catholique et chibre ! Plaoff ! Dans le cul, le goupillon ! Profondly ! Thank you, Seigneur. Grâce à Toi, ô mon Tout-puissant, la solitude n’est plus un pays, mais une coquetterie. Enfin, ça ne regarde que moi, hein ? Et encore ! Ça ne me concerne pas, puisque c’est ainsi. J’ai jamais pris la responsabilité d’être ainsi, mézigue ! Parce que si j’avais le pouvoir d’être ainsi, je serais peut-être autrement, va-t’en savoir avec ces choses-là !

Je t’ai sommairement (mais au prix du papier et de la main-d’œuvre, on peut pas s’autoriser de trop longues déconnes) décrit les lieux. Passons aux gens.

Ils sont quatre hormis le vieux. La fille tocassonne qui nous a flashés sur le ponton de Chakri Spân, plus trois gorilles pas laubés. Petits, mais trapus, presque carrés, ces mecs. Habillés d’un jean et d’un tea-shirt blanc.

L’un se tient adossé contre la porte, les deux autres de mon part et d’autre. La fille est assise sur un cercueil pour cadre moyen, les jambes croisées.

Personne ne moufte.

Le very old magot s’est désintéressé de moi, au profit de la bière somptueuse dont il admire le capiton.

Il place ses mains osseleuses derrière son dos, comme le font, je te le dis souvent, les princes qu’on sort quand ils suivent leurs gerces au boulot.

Je m’approche de lui.

Vais pour lui poser une certaine série de questions qui m’affluent.

Mais mon clappe se bloque.

Dans le cercueil, ce majestueux cercueil à grand spectacle pour milliardaire, il y a Bérurier.

Mort.

Attends, je te continue.

Mais ce que je t’ai écrit à la fin de l’autre page avait un tel côté « coup de théâtre » que je me suis dit, en vrai grand romancier que je suis :

— Toi, mon drôle, tu vas marquer le coup (de théâtre justement) et filer dare-dare sur la page d’après, laisser à ton con de lecteur le temps de morfler sa surprise dans les badigoinsses.

Bon, tu te remets, l’artiste ?

Alors on y va.

Oui : Bérurier, blafard, figé, mort. Et pire encore : mortuaire. C’est-à-dire cireux, pincé, hors de question. L’incrédulité !

Je touche : déjà froid !

J’attends le chagrin. Mais mon scepticisme est trop intense. Combien de fois déjà l’ai-je cru défunté, le gros bébé rose, dans des polars aussi tordus que celui-ci ? Ma main va à sa poitrine. Elle est marmoréenne. Je marmonne donc : « Mort ! » ; tu sais, comme dans certaines pièces de Shakespeare ?

Mais où ? Mais quand ? Déjà, lorsque j’entrais au bar ?

Je gamberge à vive allure, indifférent aux éventuels contrôles-radar.

Combien de temps s’est écoulé entre l’instant où je l’ai quitté et celui ou je le retrouve ?

La réponse me fulgure : moins d’une heure.

Or, la rigidité cadavérique ne commence à se manifester que de une à six heures après le décès.

Il est donc théoriquement impossible que mon pote se trouve déjà en totale rigidité.

Je chope un de ses bras, le soulève. Un léger craquement se fait entendre. Les muscles d’un mort ne produisent aucun bruit ; par contre ceux d’un individu en état de catalepsie, oui.

Au lieu de jouer les pleureuses et de trépigner, je vais m’asseoir sur un cercueil, tout comme la boulotte. Sur ces entrechoses, un klaxon retentit à l’extérieur. Trois petits coups et puis s’en vont. Le préposé à la lourde fait coulisser celle-ci en grand et une Rolls de couleur sombre pénètre dans le local, conduite par un petit gus en uniforme bronze, de la même couleur que sa peau.