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Dans le frémissant lointain, on entend les prémices de la battue sauvage. Le ronron de la voiture qui va amener ces seigneurs à pied de basse-œuvre, les aboiements des cadors surexcités, des rires gras…

— Venez ! écrié-je.

Ce, tant péremptoirement que tous me suivent, sans seulement se demander s’ils m’aiment. Un véritable chef, son talent, c’est pas de commander, mais de se faire obéir.

Je fonce jusqu’au bosquet de cocotiers le plus proche. Parvenus à quelques mètres des arbres, je prends la parole :

— Ecoutez, les gars, dis-je, la seule façon de ne plus être gibier, c’est de devenir chasseur. Vous autres, les copains jaunes, qui êtes plus souples que nous, vous allez grimper aux arbres. N’approchez pas du tronc, à trois mètres de celui-ci, mon pote et moi, nous vous propulserons contre lui, vous l’agripperez et l’escaladerez pour vous planquer dans le feuillage, tout en haut. Les chiens n’iront donc pas renifler le pied des arbres puisque vous n’aurez pas marché jusque-là. On va choisir quatre arbres assez éloignés les uns des autres. Mon ami et moi, nous nous dissimulerons derrière les gros buissons que vous apercevez au sommet de ce monticule, à deux cents mètres. Les chiens passeront par les arbres puis fonceront au buisson, automatiquement, d’autant mieux que nous nous y rendrons en pissant, mon ami et moi, de manière à leur offrir une piste sans équivoque. Lorsque les chasseurs qui suivront leurs chiens passeront au-dessous de vous, il faudra leur tomber sur le poil et, coûte que coûte, les désarmer. Leur unique force provient de leur foutu fusil, mais dites-vous qu’ils sont inaptes à la bagarre. Ce sont des vieux bonshommes pleins de graisse, amollis par le confort. Traduisez à nos copains qui ne comprennent pas l’anglais !

Pas mal chiadé, non ?

Bérurier est impressionné par mon esprit de décision.

— Bien pensé, l’ami, approuve Sa Seigneurie.

Nous exécutons mon plan si rapidement improvisé. Ces quatre garçons sont souples comme des singes. On leur fait « la chaise » en joignant nos mains, Bidendum et moi et on les expédie en direction de chaque arbre choisi. Pas un ne rate le but. Ils agrippent le cocotier à deux mètres du sol. Et tu les verrais escalader ces mâts de cocagne, mon trésor ! L’arpentant comme toi un trottoir à putes ; à croire que la verticale leur devient horizontale en cas d’urgerie, comme aux mouches. La bébête qui grimpe, qui grimpe ! En moins de deux, ils sont blottis dans la touffe de l’arbre.

Quant à nous deux, Béruroche et moi, on s’éloigne en licebroquant, comme annoncé plus haut. Les braves toutous vont se régaler.

* * *

L’attente est une épreuve toujours rude ; que tu attendes la dame que tu vas baiser, le chirurgien qui va t’opérer, le début d’un spectacle ou que meure un mourant.

Allongés sur une herbe pauvrette, le ventre au sol, les coudes en ailes d’avion, on tente de voir venir par une trouée du buisson.

Béru mastique une denrée craquante.

Je m’en étonne.

— C’t’une grosse sauterelle, explique-t-il. J’ai tellement faim… T’sais que c’est pas mauvais, pour dire ? Ça un p’tit goût d’écrevisse et d’courgette crue.

Il saisit une seconde bestiole, énorme, vert-bronze, avec une tête pas sympa et des patounes arrière comme les cuisses d’Alice Sapricht. De la dimension de son pouce, cet orthoptère. Il le décapite, comme l’on fait d’un goujon frit avant de le bouffer, et se met à croquer à belles dents (si l’on ose dire, parce que les chailles du Grognard, hein ? C’est pas Colgate qui peut les ravoir. Fausses ou réelles, elles ont depuis lulure tourné chicots, les pauvrettes, à force de surmenage et de négligences coupables.)

— Ils arrivent ! soufflé-je.

Fectivement, la jeep des Tartarins teutons se pointe dans une apothéose de poussière lumineuse. Elle s’avance jusqu’au point où nous fûmes lâchés. Là, ces messieurs descendent, l’arme sous le bras. Deux chiens les escortent. Pas du tout des braves toutous épagneuls, bassets d’Artois et autres, spécialistes du garenne ou de la bécasse ; mais deux vilains molosses dressés pour l’homme. Des noirs écumants. Faut voir la manière qu’ils se mettent à fouiner, ces carnassiers de l’Apocalypse. Courant de-ci, de-là, nez à terre, pressés, féroces, rageurs, revenant sur leurs pas pour, aussitôt, repartir, mus par les ordres mystérieux de l’instinct.

Leur faut pas longtemps pour foncer vers le bosquet de palmiers. Ah ! les vilains… Ils ne causent pas. Aucun jappement. Juste leur souffle rauque et saccadé. Ils tourniquent entre les arbres, vont, de fûts en fûts, partout où nous avons circulé.

— Dis donc, qu’est-ce on va faire quand c’est qu’ils s’annonceront, ces caniches ? s’inquiète le Gros.

J’extirpe le couteau aiguisé par ses soins de ma chaussette d’abord, de sa gaine improvisée ensuite.

— On tâchera de se défendre, réponds-je.

— Tu causes pour toi ; mais mézigue ? Hé, dis, l’artisse, t’as toujours le poivre ?

Juste cierge, la belle pensée ! Je m’inventorie. Mais naturellement que je l’ai ! Je dépose le paquet sur l’herbe, l’ouvre délicatement. On s’en prend chacun une énorme pincée.

— Faudra pas s’emballer, recommande le Mastar. Tant pire si qu’y nous morderont, faut leur filer ça pile dans le museau, qu’ça les fasse éternuer, ces vilains !

Je suis attentivement le déroulement des opérations. Les deux clebs quittent le bosquet parce qu’ils viennent de retapisser l’odeur de nos urines. Ils se pointent vers nous, pareils à deux petits tracteurs déterminés. Les trois enviandés de safareurs, hélas, ne sont pas allés jusque dans le bois, selon mes espérances mais demeurent en bordure.

Soudain, l’un d’eux lève la tête, et avise un Cambodgien de chasse. Aussitôt, ce sac à choucroute épaule et tire.

— Plaoffffzimmmm ! fait sa balle.

Un cri lui répond.

Puis notre pauvre petit camarade de misère choit de son perchoir. Il amorce une tentative pour s’accrocher aux branches ; mais son entreprise désespérée est dérisoire. Il s’abat en tournoyant.

Alors, tu sais quoi ? J’ose le dire ? Le tireur s’approche de lui, dégaine un coutelas de sa ceinture et le plonge dans la gorge du petit homme, manière de le terminer.

— Hip hip hip, hurrra ! clappent ses deux potes.

La vue du sang les surexcite, ces chers fumiers. Ils se disent que d’autres Jaunes, peut-être, ont imité le gars abattu et se sont réfugiés dans les cocotiers. Ils s’avancent dans le bosquet. Avisent l’un des garçons d’étage, perché lui aussi, ce qui est logique pour un garçon d’étage ! et le couchent en joue.

Dans son perchoir, le petit gars se met à hurler :

— No ! No !

Mais trois balles l’envoient à dache. Lui, il s’écrase sans histoire, d’une seule masse, foudroyé !

La tête pulvérisée car, d’un commun accord, ces fins flingueurs ont visé la calbombe.

Je te les abandonne un bout d’instant pour te parler des cadors qui nous arrivent en droite ligne, le nez au sol et la queue rectiligne. La manière qu’ils ne ralentissent même pas en nous débusquant en dit long sur leurs intentions funestes.

— Gaffe-toi bien, recommande le Gravos.

Il est d’un calme bouleversant, big apple. Ne craint ni chaud, ni froid ; ni chien, ni chat ; ni Dieu, ni diable.

Il fixe les sales clébards qui déboulent, impavide. Le hic, c’est que les deux chiens l’ont choisi pour victime à l’unanimité, le Gros. Ils l’ont élu martyr d’honneur. A lui le privilège d’être égorgé le premier.