Tarifs spéciaux pour grands mutilés.
Prix étudiés, catalogue complémentaire sur demande. Protections prophylactiques assurées.
Fournisseuse du cousin germain de Sa Majesté Somdet Phra Chao Yu Hua Bummibol Adulyadej Rama IX de Thaïlande[1].
— Très intéressant, approuvé-je après avoir pris connaissance de la carte. Vous êtes donc venue faire un coucher avec Jojo ?
— Exact.
— C’est lui qui vous a contactée ?
— Non : un employé de l’hôtel, à la demande du client.
— Et tout s’est bien passé ?
— Très bien, il avait du tempérament. On a fait bonheur-l’amour avant de dormir, et puis encore tout à l’heure, en se réveillant.
— Et vous dites qu’il était en forme ?
— Très content, il chantait.
— Vous êtes restée longtemps dans la salle de bains ?
— Un quart d’heure environ.
— Quelqu’un est venu pendant que vous vous y trouviez ?
— Je n’ai rien entendu, il faut dire que j’étais sous la douche.
— Pourquoi se trouvait-il en Thaïlande, ce gros teuton, pour chasser ? demandé-je en désignant le fusil.
Pas compliquée, la môme. Elle hoche la tête.
— Je ne sais pas, il ne m’a rien dit.
Et alors, sur ces entrefesses on toque à la lourde, et voilà des gens de l’hôtel qui se pointent, flanqués d’un policier en uniforme. Et ils sont tous jaunes, ces messieurs, jaune safran, avec des petites bouilles marrantes qui ont l’air de rigoler, mais ça vient de leurs regards fendus, moi je crois, parce qu’il n’y a aucune raison de se gondoler en cette circonstance.
Le policier me demande qui je suis, ce que je fais, tout ça…
Je lui réponds que c’est bibi qui a failli prendre l’homme-oiseau sur le râble, et aussi que je suis flic en pays de France et que la déformation professionnelle jouant, je suis monté voir pourquoi le gros Germain a loupé la marche. J’habite l’hôtel et je me tiens à dispose pour tout témoignage susceptible d’intéresser mes collègues de par ici.
Comme preuve de ce que j’avance, je lui montre le sang de tonton Johannes sur mon futal, avec des brimborions de sa cervelle de linot, et en plus ma carte d’identité. Le tout ponctué d’un beau sourire franc et massif. Il opine.
After what, je m’esbigne.
Dans le couloir, deux larbins sont attelés à ces étranges véhicules pour grands hôtels, où tu trouves tout un fourbi destiné au confort de la clientèle : savonnettes, faf à cul, sels de bain, linges de rechange, et t’essaieras et t’essaieras…
Les deux garçons de chambre, tu croirais des gamins, mais ça vient de leur morpho aux gens d’ici. La Thaïlande paraît peuplée d’adolescents, biscotte ils sont petits, graciles et souples.
J’intercepte le convoi.
— Dites, les gars, vous n’auriez pas vu entrer ou sortir quelqu’un de cette chambre, il y a une dizaine de minutes ? je demande en leur allongeant un billet de vingt bahts.
V’là mes deux crêpes qui se mettent à gloussailler, à se fendre le pébroque en se racontant des choses machins trucs.
Et puis y en a un qui finit par me répondre dans un très mauvais anglais (mais que celui qui n’a pas péché lui jette la première pierre) qu’effectivement, il croit bien avoir vu sortir un homme du 1212, à moins que ce ne soit du 1211 ou du 1213, il ne saurait l’affirmer, étant occupé à promener l’aspirateur en laisse pour ses besoins du matin. Comment était cet homme ? A peu près aussi grand que lui (c’est-à-dire qu’il doit m’arriver au thorax), un Jaune, oui m’sieur, très large d’épaules, avec des lunettes noires. Et puis il avait une casquette de toile blanche à longue visière. Et il se traînait un gros ventre. Son costume était de toile kaki avec plein de poches inutiles partout pour y foutre des choses qu’on ne retrouve plus après. Et voilà. L’homme a pris l’un des ascenseurs. Et voilà, bon, c’est tout. S’il paraissait pressé ? Non, pas du tout. Il marchait doucement, en sifflotant, tu vois ? Peinard, il a même dit « hello » au larbin en passant devant son aspirateur à trompe. Voilà, c’est tout. A part ça tout va bien, et alors, vous êtes content, m’sieur ? Ne laissez pas la porte de votre balcon ouverte, à cause des petites bêtes qui entrent et de l’air conditionné qui, lui, fout le camp.
Je vais rejoindre Bérurier au bar.
Car mon instinct infaillible m’avertit que c’est là qu’il m’attend, le chéri. Et il y est bel et bien, en tête à tête avec un double whisky.
Je me juche à son côté (bien que Béru n’ait plus de « côté » depuis longtemps). Une forte giclée de sang brunit sur sa casaque.
— T’es grimpé chez le gonzier, j’sus sûr ? demande le Dodu.
— Yes, sœur.
— Intéressant ?
— Il venait de limer une professionnelle avec laquelle il a passé la nuit. La môme se ramonait le frifri au moment de son valdingue. Ce mec devait chasser car il y a dans sa turne une arquebuse pour praliner les grands fauves. Comme suspect possible : un petit Asiatique bedonnant, à lunettes noires et casquette blanche, mais rien de sûr.
— Tu crois au suicide, técolle ? questionne l’emmitouflé de lard.
— Pas tellement.
— Moi non plus. Quand on saute par la f’nêtre on ne tient pas quéqu’ chose dans la pogne.
Il fouille la vague marsupiale de sa casaque et me tend un objet circulaire, percé en son centre. C’est de la dimension d’une pièce de cinq francs, en jade d’un vert bleuté. Il y a des stries au recto et au verso du petit disque.
— Il tenait ce machin dans le creux de sa main, m’explique Béru, j’lu y ai fauché en loucedé. Que peut-ce être ?
— Point d’interrogation, à la ligne, soupiré-je en enfouillant le disque.
Mais il est arrivé, le moment de te révéler — ô mon lecteur à la mords-moi le nœud, mais pas trop fort — que nous ne sommes point venus à Bangkok, Sa Majesté Bérurier Ier et moi pour élucider ce genre de casse-tête chinois.
On est ici pour autre chose dont je vais avoir l’insigne honneur de te porter à la connaissance.
Flash-back, please ! Merci.
Inouï, formide, fantastique, incroyable mais vrai.
Pour la première fois depuis je ne sais quelle autre dernière, le Vieux m’a fixé rancard dans un bar.
T’as bien lu, ou faut te le traduire en braille ? Dans un bar. Un vrai, avec un comptoir, des tables, des chaises, un barman saboulé pingouin, une odeur de croissants chauds, les chiottes au sous-sol, une percolateur produisant le bruit du vénérable Trans-Orient-Express entrant dans la gare d’Istanbul, un pionard éclusant du calva, une dame demandant un jeton de téléphone, un patron bougnat avec des varices au nez et des hémorroïdes ailleurs, plus, sur les murs, des affichettes concernant des spectacles datant de l’année où il a fait tellement beau qu’on a encadré le baromètre.
Quand il m’a téléphoné the morninge, le Vénérable, je n’en croyais pas mes trompes ; me suis dit que je devais bouchonner des feuilles et qu’un lavage chez l’oto-rhino-céros s’imposait. Mais non, il venait bien d’enjoindre : « A onze heures, au Bar des Copains, avenue de Longchamp. »
Le Bar des Copains, lui !
A moi, moi !
Merde !
Et alors, comme onze heures sonnent aux clochers consciencieux, je pousse la lourde du troquet en question et j’aperçois Mister Big Man au fond, à une table discrète, kif un vieux kroum ayant filé la ranque à sa secrétaire pour s’aller faire reluire dans une honorable maison d’accueil à double issue avec glaces au plafond.