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— Sacré boulot, apprécié-je ; Gros, tu viens de signer l’un de tes plus beaux faits d’armes.

Il modestise :

— Faut pas éguesagérer, l’Artiste. Ces mirontons sont trois vieux sacs chleus, y a pas d’quoi pavoiser ! J’les ai bités en trempant la soupe. Mais c’est pas volé, quand j’vois l’carnage qu’ils ont fait d’nos pauv’ p’tits canaris ; boug’ de dégueulasses ! S’lon toi, qu’est-ce j’dois faire du troisième ? Une bastos dans l’plafonnier ?

Je considère le troisième chasseur (je l’appelle le troisième parce qu’il est le dernier vivant). Blafard, sous sa couperose. Ses cheveux gris et rares plaqués sur le sommet de son crâne plat. Il a des lunettes cerclées d’or. Il nous fixe d’un regard liquéfié, fou d’anxiété. Il attend.

— Le jette pas tout de suite, Gars, préconisé-je, car il peut encore servir.

Là-dessus, je me baisse et ramasse le fusil d’un des deux morts. Après quoi, je cramponne leurs chapeaux verts taupés, ornés d’une plume de faisan. Je pose le plus vaste sur la tête de Béru, me coiffe de l’autre.

— Ecoutez, Herr Tartarin, je fais à notre prisonnier, vous allez aller nous chercher la jeep qui est en terrain découvert, là-bas. N’essayez pas de vous débiner avec, sinon nous vous faisons éclater la tête. Tenez, regardez ce dont je suis capable. Vous apercevez cette fleur de cactus, à la pointe du buisson, là-bas ?

J’épaule, défouraille. La fleur disparaît.

— O.K., boss ? Bon, alors ramenez-moi cette jeep dare-dare. Si tout se passe bien, je vous ferais cadeau de votre saloperie de peau. Go !

Le cher homme va nous récupérer la jeep.

S’il est tenté de me désobéir, il sait refréner ses envies, car il nous la ramène sans, tu sais quoi ? Coup férir.

— Restez au volant ! lui enjoins-je.

Bien que n’ayant aucune notion en matière de kinésithérapie, personne ne sait enjoindre mieux que moi. Je suis l’enjoigneur-type. Il m’arrive même, quand je suis en forme, d’enjoindre les deux bouts, d’enjoindre l’utile à l’agréable ; et aussi, salace comme tu me sais, parfois j’enjoins de culasse.

Mais outre-passons.

Le brave cousin germain pilotant, Béru et moi nous dissimulant de nos mieux derrière nos bitos tyroliens (ces cons), le fusil prêt pour les manœuvres de printemps, nous sortons de notre réserve.

Le préposé au portail délourde en nous apercevant. Sans la moindre difficulté.

Ouf, nous voici à l’extérieur de l’enceinte (comme ta femme, après nos vacances à Arcachon) électrifiée. La piste conduit à la demeure.

— Contournez, dis-je, roulez dans le champ !

L’Allemand obéit. Ses mains de velours potelé tremblent sur le volant. On entend tintinnabuler sa chevalière massive contre la matière plastique.

Nous dépassons la prison qui nous hébergeait. Nous voici dans un immense espace découvert, limité au loin par une chaîne de collines arides.

La jeep tangote sur le sol gondolé.

— Accélérez ! ordonné-je (l’ayant déjà enjoint de la tête aux pieds).

Le Chleu obtempère (Lachaise) et notre véhicule ronfle rageusement dans l’air figé par la chaleur croissante (ou briochante, si tu préfères).

— Tu croyes qu’on va pouvoir aller à dache, commako ? soupire le Gravos.

— A dache, peut-être pas, mais hors de portée, ça sûrement. Mate, Gars : personne ne nous suit, on déambule comme sur les boulevards au mois d’août.

Effectivement, derrière nous, comme devant et comme Gros-Jean, tout est tranquille infiniment.

Le présent nous appartient.

Et peut-être également l’avenir si on y met du nôtre.

Seulement, vois-tu, vieux cannibale à roulettes, dans mon job (si pauvre) il ne faut jamais se laisser gagner par l’optimisme. L’euphorie est une tare qu’il convient de contrôler.

Au lieu de siffler comme un merle, sous prétexte qu’on a pu quitter le relais de chasse d’Herr Hotik aussi facilement qu’une pissotière, je ferais mieux de surveiller mon chauffeur.

Je le jugeais neutralisé, docile, à ma botte. Un Allemand, franchement, surtout de cette sale génération qui est la sienne, c’est pire qu’une couvée de serpents (à lunettes en l’occurrence).

Lui, bon, il pilote. Il se fait oublier… Roule, roule, train du malheur, comme chantait papa.

J’aurais engagé un chauffeur de remise, je ne serais pas plus confiant. J’ai l’esprit dégagé de son côté.

Et pourtant !

Bouge pas, faut que je te raconte par le menu, et c’est pas du menu à prix fixe, achtung !

Voilà qu’à force d’avancer on arrive quelque part, comme chaque fois, comme toujours. Note que c’est en restant immobile et en réfléchissant qu’on va le plus loin, moi je trouve. Ailleurs, c’est toujours pire qu’ici, puisque c’est pareil. T’as la désilluse et la fatigue du voyage pour tes pinceaux, l’aminche. Tandis qu’avec la gamberge, mon beau salaud, tu fais le voyage Terre-Lune plus vite que la lumière et sans avoir besoin de t’affubler.

Nous atteignons une route ; très jolie route, ma fois, goudronnée à point, et qui s’en va à travers des cocoteraies. Çà et même là, y a des habitations. On voit des autochtones déguisés en habitants du pays qui s’activent. Et d’autres qui ne s’activent pas. Et c’est vachement couleur locale.

Comme je ne suis pas un romancier à trois balles, seulement capable de te brader des historiettes de corne-culs, faut que je te parfasse l’éducance en t’expliquant que la noix de coco tient en Thaïlande une place aussi importante que mes noix à moi dans mon Éminence grand luxe. La noix de coco, les Thaïlandais, pas cons le moindre, en font du sucre et de l’huile. Du sucre lorsqu’elle est en fleur, de l’huile lorsqu’elle est devenue aussi noix que toi, bougre de tout le reste (et j’en passe). Et les Thaïlandais cocoteurs, sais-tu de quelle manière ils la cueillent, la noix de coco, mon doux cinglé ? Eh bien, ils la cueillent pas eux-mêmes, mais la font cueillir par des singes dressés. T’as des dresseurs qui passent dans les plantations de cocotiers avec leur équipe de gibbons. « On ramasse, m’sieur ? » D’accord, on ramasse. Ou plutôt on lance. Et les singes grimpent là-haut, et décrochent les noix, te les foutent sur la gueule en se marrant. Juste, tu te planques, pas prendre des capsules Apollo au sommet de la tronche… C’est malin, non ?

Qu’alors, donc, nous voici en train de cocoter dans les cocoteraies, dont l’ombre nous conconforte.

Herr Konhachyaler qui pilote lève le pied comme un banquier libanais, désireux de profiter du bien-être. Et nous nous détendons, Béru et moi.

C’est very good. Le Gros ne tarde pas à dodeliner. Sur le bord des routes, des jeunes filles nous adressent des signes amicaux, avec des rires pleins d’espérances qu’il ferait bon assouvir, sûrement.

Et voilà que, devant nous, se manifeste un camion verdâtre chargé de soldats. Ce véhicule roule à faible allure. Les troufions en tenue léopard rigolent, assis sur des bancs. Le moteur doit en avoir un coup dans les soupapes (comme on dit à la Curie romaine) car il dégage un nuage de fumaga gris et gros comme un éléphant.

— Doublez ! commandé-je.

Herr Konhachier[4] met le clignotant et accélère. On s’écarte de la trajectoire du camion pour le sauter, seulement, au dernier moment (en anglais : the last moment) cet enviandé de saloperie de goret teuton nazéifié se rabat et emplâtre l’arrière du camion. Logiquement, la manière qu’il s’y est pris, nous aurions dû être décapités. Sa Majesté et moi. Heureusement, sur ce véhicule de l’armée, un Kamasoutra 69, les roues arrière sont très en arrière, si bien que le capot entre en collision avec les pneus, mais sans être engagé plus loin que le pare-brise, tu piges ? Pépère voulait rester côté route, lui. Pas folle, la guêpe ! On part en limonade, Béru et messire Moi-Même. Les quatre fers en l’air. La jeep déroutée se met à zigzaguer, puis fonce résolument sur sa gauche, traverse la chaussée sans encombre et culbute par-dessus un remblais, lequel dominait un marécage.

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4

Il arrive que San A. modifie les noms de certains de ses personnages secondaires en cours d’action, mais il le fait de telle sorte qu’une confusion est impossible. Ainsi ce Konhachyaler est-il devenu Konhachier.