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Plongeon général.

Le camion stoppe. Les soldats décamionnent et se pointent.

L’ordure d’Herr Konhachier leur hurle à pleine voix que nous sommes de dangereux gangsters, bien meurtriers, de vrais fauves !

Des mitraillettes nous braquent. On s’arrache à la gadoue, les bras levés, ce qui n’est pas commode.

Je voudrais essayer d’en placer une, mais j’ai des têtards dans la bouche. D’ailleurs, le gros sac-à-saucisses ne me laisse pas le temps de cracher. Il clame tout azimut qu’il est allemand (comme s’il y avait de quoi s’en vanter !) Président-Directeur Feld Général des Usines Grassmoule de J’tue-ce-gars (en chleu : Stuttgart) et qu’il a un hôtel particulier avec douze domestiques dans Salöpstrasse, qu’il est abonné à l’Opéra, qu’il adore bouffer du Rehrücken avec des Preiselbeeren ; décoré de la Croix de Fer et qu’il raffole des Petits Chanteurs à la Croix de Fer ; quarante ans de mariage, quatre enfants dont l’un est antiquaire et l’autre pédéraste également ; tout ça… Son curriculum y passe, à Herr Konhachier, dans l’émotion. La réac qui s’opère. Il se montre sous toutes ses qualités, arbore ses titres. Se résume : Allemand, riche, adulé ; et nous Françouzes, égorgeurs de Jaunes que ça nous est devenu indispensable depuis l’ancienne Indochine. Il montre nos fusils ! Il clame nos forfaits : quatre Jaunes abattus dans la propriété de son ami Herr Hotik, plus deux grands amis à lui qui voulaient courageusement s’interposer : Herr Gotter, fabricant de cartes, à Brême. Herr Hudy, grand maître des Laboratoires Saussis, de Francfort. Du beau, du grand monde ! Et voilà ce qu’on vient de tuer, nous, abominables sous-Français dont il n’est point certain que nous ne soyons pas juifs ; qu’on nous regarde un peu le gland, pour vérifier. Il est prêt à parier que le rabbin Débohâ est passé par là avec son sécateur musical.

Un sous-officier qui comprend l’anglais comprend également qu’il convient de nous embastiller.

Il glapit ce qu’il faut et ses bidasses nous lient les mains dans le dos et nous font grimper dans le camion.

— Y a un’ chose dont j’m’esplique mal, murmure sombrement Alexandre-Benoît : c’est l’pourquoi qu’t’as laissé l’volant à c’tendoffé. Ce mec, tu voyes, fallait, sitôt éloignés de la crèche, y aérer les méninges d’une belle praline dans la soupente ; mais non, m’sieur joue à la bonne Samaritaine ; les ordures, Tégnasse, faut qu’tu les dorlotes, c’est dans ton tempérament, t’as peur qu’é prennent froid et qu’é s’enrhument. A présent, va falloir s’refaire une situation conv’nab’ ; et avec les certificats qu’on dispose dans ce bled, j’pense qu’on est au chômedu pour un bout de temps.

Contre toute attente, nous n’allons pas très loin : une dizaine de kilomètres au plus. Et même pas des kilomètres carrés, mais de simples kilomètres linéaires, de ceux qui vont connement d’un point à un autre sans faire chier les écoliers avec des multiplications. Remarque, ils se feront chier de moins en moins, les écoliers, grâce à l’électronique. Tous, ou presque, possèdent déjà leur petite machine à calculer. Et bientôt, moi je prévois, ce sera l’ordinateur de poche à apprendre les leçons et à faire les devoirs pour, dans un avenir qui déjà se profile, accéder au bouquet final : la pile du savoir.

A dix piges, tu choisiras ta voie, et on te foutra dans le cul, ou ailleurs, je ne suis pas sectaire (tout juste scatologique), un minuscule machin pas plus gros qu’un pois chiche qui t’apportera treize années d’études d’un seul coup d’un seul. Juste l’orientation, je te dis : science-pot, H.E.C., médecine, polytechnique, etc.

Un petit greffon de rien, de moins que rien, raccordé à la pensarde. Et poum : te voilà nanti d’un solide bagage. Tu verras, tu verras, rigole pas, on est en train, on te prépare, tes chiares auront pas la science infuse, mais la science greffée. Ils sortiront pas de l’E.N.A., c’est l’E.N.A. qui rentrera en eux. A la base du cerveau, tout compte fait, plutôt que l’oignon, je prévois, pour le dépôt sacré, le raccordement sera plus fastoche, y aura moins de canalisations à poser.

Bon, attends, je te reviens à nous autres dans le camion. Je perds jamais de vue, si t’as remarqué ? Je déconne, vagabonde, disserte, merdoie, enquiquine, et puis hop ! Par ici, baron ! Il retombe sur les pieds plats de son historiette, l’Antonio-bien-aimé.

Les militaires stoppent dans une agglomération devant un bâtiment de police. Eux, comprends : ils ne sont pas flics. Ils rescoussent quand ça chie trop fort, mais point à la ligne. Alors, bon, l’officier qui nous a pris en charge pénètre dans la taule : une maisonnette pour garde-barrière, pas plus grande, en bordure de route. Il parlemente un instant, et deux gendarmes sortent, la face élargie, les yeux bridés comme un cheval, l’air assez joyce d’avoir quelque chose de neuf et d’intéressant à faire.

Ils nous prennent en charge, nous font pénétrer dans leur guitoune à coups de genoux dans les meules en invectivant, que je me demande bien pourquoi ils ont cette stupide marotte, tous les poulets du monde (que s’ils voulaient bien se donner la menotte, ça ferait une belle chaîne de monstres) d’injurier les gens qu’ils sanctionnent. Un motard te siffle sur l’autoroute, pour excès de vitesse ; le v’là qui te mugit en pleine poire, comme si tu venais de traverser le potager de sa villa Sam’Suffit, ou de baiser sa femme, ou de talocher ses gosses. Merde ! Bon, je veux qu’il est là pour faire régner la loi. Ça oui, O.K., mais pas pour prendre les patins de la loi. Il doit l’appliquer, uniquement l’appliquer avec ses paperasses, le code, le ballon, toute la lyre ; mais pas la vociférer. Moi, je vois, y a peu, un qui me course sur l’autostrada, faut convenir que j’avais dépassé la dose prescrite, et qui te me joue le branle du siècle, jusqu’à me traiter d’assassin. Non, mais je te jure qu’ils se prennent pour nos papas, ces messires les archers.

Une infraction, c’est pas sur leur personne qu’on la commet, si ? On les traite pas de gueules de vaches ou d’enculés, si ? On leur a pas porté atteinte : on les fait travailler. On les justifie ! Si personne ne déconnait, ils arracheraient des patates ou déboucheraient des éviers, ou bien seraient pompistes, enfin un job à leur portée, quoi ! Merde ! Ces façons d’engueuler les gens qui te font vivre, c’est déplacé, non ? Pas correct du tout ! Moi j’insurge. J’ai rien contre eux, je les trouve nécessaires, tu vois, j’ose le dire. Je suis le type qui ose encore écrire que la police est nécessaire. Nécessaire ! Fringants, sur leurs chevaux de feu. Bioutifoules dans tout leur cuir ! Alors ?

Et les deux poulets jaunes (ils sont peut-être de Bresse) font comme les draupères de chez nous, nous propulsent dans leur poste policier. Herr Konhachier suit, très digne, sûr de soi. Il explique qu’on est des bandits dangereux : six morts sur la conscience. Français, donc communistes. Il confirme une impression que ces deux messieurs entretenaient déjà : TOUS les Français sont communards. Il va leur dire une chose. Mais faudra pas répéter : même Giscard appartient au Parti. Il recommande qu’on nous surveille de près. Achtung : very dangerous !