Par contre, Herr Hotik et quatre de ses péones jaillissent, armés jusqu’aux dedans.
L’hasard, quoi !
Qu’ils nous coursaient bolide et nous avisent pile comme on décampait. La malencontre !
Je prends mes jambes à Moscou, tandis que le Gravos défouraille dans le tas.
Mais il ne restait que deux prunes dans la vieille pétoire trémulsante du gendarme ; et je doute que Sa Majesté ait causé beaucoup de dégâts.
On s’élance dans la cocoteraie avoisinante.
Une volée de balles nous gicle dans l’espace vital, sans nous dévitaliser heureusement.
Impossible de rester à découvert.
— Par ici, Gros !
Je viens d’aviser une sorte d’espèce de hangar. A grand train, j’entre en hangar.
Rabats la lourde prompto, dès que le Mastar m’a eu filoché.
La fermeture est précaire : une simple chevillette, comme chez la Mère-Grand à cette petite salope de Chaperon Red.
Je fais fissa pour inventorier l’endroit. Il contient des instruments à tu sais quoi ? Gricoles. Des instruments agricoles, entre autres desquels une vieille herse triangulaire, plus une charrette démanteloquée.
— Aide-moi, l’Ami !
On dresse la herse contre la porte, les dents face au bois. Et puis on pousse la charrette contre la herse. Un peu dérisoires, nos foutrifications à la hauban. Mais quoi ?
Ils ont cessé de tirer.
A présent, ils vont donner l’assaut.
Je m’approche du fond du hangar et risque un œil entre deux planches. Un mec se tient de faction, la mitraillette prête.
Sur chacun des côtés latéraux idem.
Alors je zyeute sur le devant de la scène opérationnelle. Hotik a conservé le plus athlétique de ses sbires avec soi. Il le conciliabule (car il y a con, s’il y a bulle, comme je te le disais le jour qu’on a visité le Vatican). Le Gros opine. C’est décidé : ils vont conjuguer en commun le verbe enfoncer, en même temps que leurs efforts.
Tu les verrais, ces deux costauds, prendre du recul, se placer de profil, mettre leurs armes en biais.
Un grand spectacle.
Le cher Bérurier observe, tout comme moi, par l’une des abondantes disjonctions de la cloison.
— J’espère que la porte résistera pas, chuchote-t-il, m’a l’air en totale vermoulance, hein ?
Je ne réponds pas, trop accaparé par le suspense.
Mes deux lascars adoptent des masques convulsés par la volonté et l’énergie. Ils vont filer toute la sauce. C’est bien, moi je trouve, de la part d’Herr Hotik de participer à des besognes somme toute subalternes, non ?
Il paie de sa personne, le post-surréaliste.
A présent, c’est plus Magritte mais Bison buté.
— Ein, zwei, drei ! égrène-t-il.
Tu ne trouves pas glandu, toi, que le dernier mot prononcé par un homme soit le chiffre trois ?
Les voilà partis à l’assaut, fraternellement unis par leur commune volonté de faire craquer cette pauvre porte archaïque.
Et elle craque.
Le bruit du bois pulvérisé est modeste.
Plus encore celui des deux hommes emplafant la herse.
Ce qui leur nuit, tu vois, c’est de s’être tant tellement arc-boutés, ces deux cloches. De charger, façon taureau — Olé ! —, la tronche en avant.
Ils ne font qu’une épaulée du bois vermoulu. C’est grand dommage pour eux. Car, cet obstacle mineur pulvérisé, les voici qui entrent en contact avec les dents rouillées de la herse ; et alors, c’est pas le même topo. L’un des pics leur pénètre dans l’épaule droite (ils sont droitiers l’un et l’autre, le maître et l’esclave, ce qui est plus moral) ; un autre dans la tempe, et c’est celui-là le plus chiatique pour eux. Tu comprends ? Quand ils rencontrent la vraie résistance, leur tête à un mouvement d’arrière-avant qui leur est fatal.
Le temporal : tous les deux. Saisissant ! Du film d’horreur. Net, impec, presque sans bavure si l’on excepte une giclette de raisin. Ils restent fichés contre la herse ; debout, immobiles. Mais le plus horrifiant c’est qu’ils ne sont pas morts sur le coup ; en tout cas pas Herr Hotik dont le regard agonisant continue de nous défrimer de profil.
— Vous voyez ce que c’est que d’avoir des mouvements d’humeur, cher ami ? lui fais-je, en guise d’oraison pré-funèbre ?
Là-dessus, on se faufile à l’extérieur par la brèche qu’ils viennent de pratiquer, on s’empare discrètement des deux mitraillettes qu’ils ont lâchées et on recentre, comme dit Béru, afin de compléter le boulot.
— On commence par les deux qui sont sur les côtés, chuchoté-je à Mister Gradube. On va les poivrer, par les interstices. Prends celui de gauche, moi j’opère l’autre. Quand tu seras prêt tu me le diras.
Tout se passe admirablement bien, conformément à mes instructions laïques et obligatoires.
Une double rafale prend de court deux des trois gugus restants qui se mettent à mourir à l’improviste, les pauvres, seulement quoi, ils n’avaient qu’à pas se faire truands, hein ? Y en a qui méritent leurs déboires, franchement.
Ne subsiste que le quatrième, celui qui gardait l’arrière du hangar. Il se pointe aux nouvelles : on lui en donne. Des bien fraîches, bien parisiennes.
Et maintenant, hop ! hop ! Saute à travers le cerceau, mon Tantonio, et toi idem, Béru ! Hop ! Hop ! Caltez vite, mes doux agneaux ! Mes douze apôtres ! Mes dix anses ! Médisance ! Foncez ailleurs, courez plus loin vous y cacher, vous y escamoter. Les périls qui vous guettent sont immenses désormais. Si les autorités (qui font loi) thaïlandaises vous appréhendent vous pourrez tout appréhender. Il vous sera impossible de vous justifier. Tous ces morts ! Cette hécatombe ! Même les coupables ne seront plus là pour, le cas échéant, vous innocenter.
Nous galopons à la chignole.
Y a plein de Jaunets à l’affût dans la cocoteraie (du cul). Alertés par les salves, ils nous observent. Leurs petits regards acérés me picotent la nuque.
On grimpe dans la voiture.
Démarrage en trombe (d’éléphant).
Quatre cent cinquante-six mètres plus loin on croise une voiture de police, toutes sirènes brandies, qui accourt à la rescousse.
— On va pas aller loin, m’assure Béru, le temps que les matuches voyent le tableau et apprennent ce dont il vient d’se passer et y vont déclencher le dispositif number vouane qu’équivaudra, chez eux, à not’ plan or sec.
C’est bien dit à lui, je dois en convenir.
Mais que faire ?
La route est déserte. Avisant une petite piste dodelinante, je l’enquille brutalement. On cahote sur un chemin plein d’ornières profondes comme la Tranchée des Baïonnettes. J’accélère. Nos tronches embugnent le toit de l’auto.
— Heureus’ment que ma crise d’émeraudes d’la semaine dernière est passée, apprécie mon Bayard.
Les chailles crochetées par la tension, je continue de forcer l’allure. Rien de plus chiatique qu’une plaine quand elle est vide et qu’on veut s’y planquer. Celle-ci n’en finit pas.
Le sol me paraît manquer d’assurance tout à coup. Il devient mou.
J’avise, droit devant nous, des pyramides blanches.
Chiotterie ! Nous nous pointons dans des marais salants. Emporté par mon élan (comme disent les Lapons), je plante la guinde dans un immense quadrilatère recouvert d’une croûte grisâtre qui blanchit au soleil.
— Et v’là l’boulot ! soupire Béru ; à part ça, qu’est-ce tu sais encore faire, av’c un’ Land’Rover, Mec ?
Je m’extrais de l’habitacle. Le capot de la pompe est vachetement incliné vers le sol, les roues avant s’y trouvant enfoncées jusqu’aux essieux. Pour arracher notre véhicule de cette salière il faudra une grue.