Moi, à force de virguler des giclettes d’adrénaline, je vais me déglinguer le battant, je t’annonce. Prendre des rognes à propos de l’universelle sottise, tu y laisses ta santé.
Donc, dans ce cirque fixe, ce cirque thaïlandais, le spectacle bat tu sais quoi ? Son plein ! En ce moment, il y a des danseuses, avec des faux ongles de cinquante centimètres de long. Elles trémoussent lentement du vase, les bras croisés sur leurs menues poitrines, faisant gaffe de ne pas chavirer leurs coiffures pyramidales. Elles nous paraissent se ressembler toutes, car toutes ont le même sourire de porcelaine peinte.
Nous nous faufilons parmi les spectateurs. S’engouffrer dans la foule, s’y fondre, est encore la meilleure façon de passer inaperçus. D’autant que là, les Blancs sont presque en quantité supérieure aux Jaunes.
On se glisse dans le public, et on s’intéresse au déroulement du spectacle.
Very passionnant.
Le Mammouth est fasciné par les mignonnettes trémousseuses.
— Dis donc, il me chuchote, avec des pelles-à-feu pareilles[5], j’voudrais pas qu’ces jouvenceuses m’fissent un’pogne ! Y aurait d’quoi t’arracher la peau des sœurs Brontées.
Après les danses thaïlandaises, nous avons droit à un combat de coqs. Spectacle d’une forte sauvagerie, bien plus intense qu’une corrida, selon moi ; et c’est le coq aux plumes foncées qui gagne. Ensuite, se produit la dompteuse de crocodiles.
Du jamais vu !
Magine-toi une bonne femme haute d’un mètre cinquante, et qui pèserait cent trente kilogrammes. Une boule à membres, avec une autre boule un peu moins grosse pour figurer la tronche. Ses biscotos font quatre-vingt-dix centimètres de tour de taille (c’est précisé dans le programme). Quand tu l’aperçois, d’autor tes ratiches font les castagnettes. Ses paupières bombées surplombent et dissimulent la double fente de son regard.
Elle porte un maillot-studio (d’une pièce) en peau de léopard tissée-main.
Des garçons de piste amènent un immense bac contenant deux crocodiles qui ne tiendraient pas dans le plumard du général De Gaulle.
La dame que je t’ai causée les rejoint dans le bac. Elle se penche et saisit l’un de ces gracieux animaux comme des haltères. A l’arrachée qu’elle le soulève.
— Tu parles d’un sac à main qu’ça lui fait, admire l’Gravos.
Ayant soulevé le croco, lequel bat de la queue et fait marcher son clap, la fascinante créature le jette à ses pieds comme un tas de linge sale et fait joujou avec le second animal. Le plus mahousse. Un bœuf ! Elle lance un cri de trident, comme dit Bérurier, et le crocoduche ouvre une gueule immense. L’intérieur, ben mon pote, c’est pas ragoûtant. Une membrane blanchâtre-orangée, comme l’intérieur d’une peau d’orange pelée de près. Ça fait un peu cosmique, science-fiction. Te cause plus que du dégoût : de l’effroi. La femme obèse s’agenouille (aux œufs frais), engage sa tronche entre les formidables mâchoires du reptile. L’aimable bête ne bronche pas. Ensuite elle fait du ski pédestre avec ses pensionnaires, posant un pied sur chacun deux et leur intimant d’avancer, ce à quoi ils consentent.
— Cette personne possède un’entr’jambe comme je les raffole, me confie l’Admirable. On d’vine qu’elle a une moule à ventouses ; ces p’tits sujets, ça t’gobe le polak pour ainsi dire. Tu rent’dedans comme dans un moulin, au trot angliche…
Brave Béru ! Son visage irradie (rose) le désir. Il salive.
Après la dame aux sauriens, c’est un combat de boxe thaïlandaise. Va surtout pas te figurer que je te raconte le spectacle pour tirer à la ligne. Au contraire, compte tenu de tout ce qui me reste à te bonnir, faudrait que je gazasse, mon lapin. C’est loin d’être terminé, cette historiette. Si tu savais où je vais te mener tout à l’heure, Carcasse, tu tremblerais bien plus encore ! Le père Turenne en bédolerait dans ses frusques. Et je suis limité en papelard, mézigue, je te l’ai déjà expliqué dans des œuvres anthumes. Deux cent vingt-quatre pages, et démerde-toi Nestor ! Bourre ! Tasse bien, que ça rentre tout ! Ecris petit. Biffe ! Pourquoi m’assois-je sur ma littérature, tu le sais ? C’est uniquement pour la compresser. Faut que ça y aille entièrement. Rebondissements, pas rebondissements ; descriptions poussées, épisodes à ramifications, personnages qui s’imposent ou pas. Ils s’en torchonnent le rectum, à la Fabrication. Calibrage, mon pote ! Nécessité absolue. Dans ma carrière, ce qui leur importe, c’est pas le Prix Nobel, mais le prix de revient. Les prix littéraires, c’est pour ceux qui vendent pas. Les tirages sur japon impérial aussi. Mézig-pâteux, on peut pas se permettre de fignoler. Grosse cavalerie ! Calibrage et empaquetage sont les deux mamelles de ma maison-nourricière. J’écris à la machine, on me vend à la machine, on me lit à la machine. La machinalité de mon œuvre, c’est ce qui frappe aux dix premiers abords. Je suis machiné de fond en comble, tu sais ? J’aurais dû signer Machin, si j’avais pu prévoir que je recevrais des chèques au lieu de lauriers. On ne me fait pas de compliments, mais des virements. J’y ai pris habitude. Y a pire. Cette bougression pour te dire que si je te narre le spectacle de ce centre attractif, c’est qu’il était professionnellement indispensable d’en passer par là. Tu vas le constater, sans contester, en vrai contesté que tu es.
Donc, un combat de boxe succède.
Tu as probablement assisté à ce genre de fantaisie soit à la téloche soit au cinématographe, non ?
Ces matchs sont à la boxe occidentale ce que ce livre est au « Soulier de Sapin » de Jérôme Claudel.
Les deux boxeurs se pointent. Bon, très bien. En culotte classique. Ils sont pieds nus, et leurs nougats, crois-moi, n’ont jamais connu les produits Palmolive. Ces fiers combattants ont le front ceint d’une couronne d’étoffe à l’arrière de quoi se dresse un toupet de plumes.
Avant de grimper sur le ring, ils se prosternent dans la poussière. Et puis, ils escaladent les marches. Une fois entre les cordes, voilà ces pauvres gamins qui se livrent à toute une pantomime. Se mettent à genoux et prient à en perdre la foi, le foie et le gésier. Puis ils se lèvent et entreprennent, chacun pour soi, une danse bizarre, que scande un orchestre très syncopé. D’ailleurs, l’orchestre ne cessera pas pendant le combat. Le rythme t’use les nerfs. Les deux tagonistes se saluent, une fois achevées leurs ablutions spirituelles ; l’arbitre prie un petit coup avec eux, manière d’unissonner, ensuite les boxeurs ôtent leurs couronnes et, gong ! le combat commence. Alors, là, tu te fends la pipe. Les pinceaux fonctionnent plus que les poings, comme dans la boxe française. Quand ils rompent les corps à corps, ils se paient un petit pas de danse avant de repartir à l’assaut.
Très joyce. Mais vite fatigant à contempler. Monotone, quoi. Surtout avec cette musique de mes deux qui te mouline le système.
Cette lenteur, ce rituel agacent le Gravos.
Quand il y a un échange avec les panards, il se dresse et vocifère :
— La châtaigne ! A la châtaigne, bande de manchots !
Un coup de saton mieux administré (ou mieux reçu) que les précédents fait tituber le plus petit. Sa Majesté s’arrache de notre travée pour aller « manager » le possible vainqueur.
— Finis-le, fainéant ! lui lance-t-il. Vas-y de la cacahuète, boug’ de con ! Mais profite d’ton avantage, fesse d’rat ! Tu voyes pas qu’il est rinçaga, ton mec ! Tu souffl’ dessus, et y s’allonge ! Nom d’Bouddha, t’vas m’le finir, moui ! Un taquet au bouc et y va à dame ! Allez, cogne, bordel ! Cogne donc, c’est pas ton père !