Repairs, ça signifie bien réfection, non ?
Je tords le blair.
— On l’a dans le Laos ! je soupire.
— Biscotte ?
— C’est fermaga.
— Eh bien tant mieux, riposte l’Infâmure.
— Expliquez-vous, baron ?
— En somme, on cherche quoi t’est-ce, dans l’immédiat ? Un coinc’teau où s’planquer la viande, non ? Ben, en v’là t’un, libre à la vente. T’as ton p’tit outil, Mec ?
Sa phrase n’est pas achevée que je brandis déjà mon sésame légendaire.
L’introduis dans la serrure.
L’appartement est coquet.
Je ne connaissais que la partie « travail ».
Le coin privé, à savoir une sorte d’aimable studio-cuisine séparé du reste par un bout de vestibule, est encore plus accueillant.
Follement intime, même. C’est son mignon repaire, à la belle Suzy. L’endroit où elle fait relâche, ses dures journées finies. Une fois l’ognon briqué, la bouche rincée, elle passe une robe de chambre et se blottit dans le studio, lequel est copieusement pourvu en bimbeloteries, pomponnettes, coussins, lampions, statuettes, tout ça, bien, parfait, oriental, sentant des parfums dégueulasses pour nos narines nationales, avec un Bouddha assis dans le fond, un canapé bas, des poupées d’étoffe à frime asiatique, des théières, des boîtes laquées, des froufrous, des naninanères en tout genre, et puis des photos de famille : papa, maman, le grand frère, la petite sœur, sous des palétuviers roses, sur des pousse-pousse, à vélo, charmants, rieurs.
Mais ce qui gâte le tout, c’est le cadavre à Suzy. Alors là, crois-moi, ça détruit l’harmonie. Oh ! que oui.
Il eût mieux valu pour la pauvrette qu’elle demeurât à l’hosto où l’expédia le terrible membre béruréen. Hélas, elle n’y fit qu’un bref séjour, le temps qu’on lui colmatât les déchirures provoquées par sa hardie tentative, chère fille courageuse, assoiffée de bien faire. Espèce de Jehanne d’Arc du cul ! Mme Curry ! Héroïque péripatétitienne, soudeuse d’aller jusqu’au bout de sa mission, que dis-je ! Jusqu’au fondement ! Et qui se fit péter le sphincter (Tracy) à vouloir trop prouver sa bonne volonté.
Eh bien ! Elle est décédée, là, sur son sofa profond comme un tombeau, justement. Couchée à plat ventre, une jambe hors de la couche, la tête de côté pour montrer sans équivoque son visage blanchi par le trépas. (J’ai pleuré sur trépas). Crime de sadique ! On l’a criblée de coups de poignard ; un poignard à lame recourbée, au manche incrusté, qui se trouve auprès du cadavre et qui devait, naguère, orner le mur. On peut lire, dessus « Souvenir de Manille ». Crime de sadique, oui, car on lui a enfoncé dans le centre d’accueil son combiné téléphonique. Oui : elle a reçu un coup de téléphone dans l’oigne, la malheureuse. Le goumi du Gros ne constituait qu’un préalable du destin, qu’une espèce de mise en condition ! Elle a pris tout le combiné — ou presque — dans le prosibe. N’est plus apparente que la partie émettrice. Le fil tire-bouchonne jusqu’au socle. Elle est branchée sur le réseau, Suzy. Le tuiiiit tuiiiit de l’appareil ajoute encore à l’effroyable de cette vision ; la dramatise davantage.
Bien que morte, elle a la ligne. Raccrochez, c’est une terreur !
Nous demeurons provisoirement sans voix ; mais le naturel reprenant le dessus, je finis par soupirer :
— Eh bien, mon cochon !
A quoi, le Gros ajoute :
— C’est l’cas d’y dire…
Puis il déclare :
— On n’a pas le fion bordé d’nouilles, décidément !
La comparaison paraît mal venue devant celui de Suzy Wrong. Quand je pense que des mecs rouscaillent parce qu’on tarde à leur poser le téléphone !
Pauvre petite souris jaune, si gentillette, experte, ardente à la tâche. Pourquoi ai-je le sentiment que ce meurtre est une mise en scène ? On a voulu laisser croire à un crime de sadique, mais en fait il s’agit d’une froide exécution (et maintenant c’est la môme qui est froide) signée Chakri Spân, je gage ?
Pas dif à conclure… La môme se trouvait dans la chambre de Johannes Brandt. Si Chakri Spân a liquidé les valets de chambre, susceptibles de signaler sa présence à l’étage au moment du pseudo « suicide » de l’Allemand, à plus forte raison était-il plus prudent de neutraliser sa conquête d’une nuit.
— Tu vois, Gros, je pense que Chakri Spân a buté le Chleu dans un moment de rogne. Il avait rancard avec lui pour un safari chez Herr Hotik, le fusil dans la chambre est éloquent sur ce point. Et puis il y a eu maldonne. Le Teuton a dû menacer de dévoiler le poteau rose et Chakri l’a passé par-dessus le bastingage. Ensuite, il a dû faire faire le ménage pour se tenir le nez au propre.
— Exaguetement ce dont j’étais t’en train d’réfléchir, approuve le Véhément.
Nous évacuons la chambre-studio. Nous voici dans ce logement comme dans une nasse. En sortir, ce serait aller au-devant des pires calamités. Y demeurer, c’est attendre l’inévitable. Me fais-je bien comprendre, malgré mon langage un tantisoit sibyllin ? Oui ? Tu es sûr ? Merci.
C’est alors qu’on sonne à la lourde.
Tout autre que moi, auteur complaisant, soucieux de respecter les tabous du genre, s’empresserait de changer de chapitre.
Songe : un coup de sonnette à cette période de l’action, merde, faut l’oser ! On est là, nous deux, Gradu et ma Pomme, traqués par les polices, accusés d’autant de meurtres qu’en fit commettre Adolf Hitler, coincés dans un mini-bordel en compagnie d’un cadavre sauvagement devenu cadavre ; y a de quoi se la badigeonner au mercurochrome et se la mettre en vente au marché Biron, tu trouves pas ?
Ben non, j’enchaîne recta, moi.
Et même tu sais pas ? Alors là, je vais bien te faire frémir : j’ouvre la porte.
Poum ! Sans tergi ni verser, commako, sec ! Entrez, vous êtes chez vous !
La vie n’est qu’un recommencement. Je finis par m’étonner de m’en étonner encore.
Qui donc est venu carillonner céans, lors de notre première visite ? T’en souviens-tu, toi que voilà ? L’Anglais de l’Oriental ? Oui ! Gagné !
Eh ben, c’est encore lui. Toujours très Britiche, toujours comme il faut, la raie impec sur le côté, fringué de bleu foncé, limouille blanche, cravate en ficelle, grolles à larges semelles.
Il ne sourcille même pas en nous aspergeant, non rasés, poudreux, sanguinoleurs, les vêtements encore humides. Lui, ce serait la Zabeth II qui délourderait, il garderait son self, l’artiste. Intact. Dirait simplement « Mes respects, Majesté », mais sans écarquiller les vasistas. Plus les choses sont singulières pour ces gens-là, plus ils comportent comme si elles étaient normales.
— Vous tombez bien, my dear, lui fais-je. Donnez-vous le pêne d’entrée[7].
— Miss Wrong n’est pas là ? questionne le Britiche.
— Elle est au téléphone, réponds-je.
Ce qui est, dans un sens, l’expression de la vérité. On s’installe au salon.
L’Anglais murmure :
— Lovely night indee !
J’en conviens d’un hochement de tête.
Il ajoute, sur le ton des soupirs (comme s’il se trouvait en gondole) :
— Well, well, well, well.
Ce qui est typiquement rosbif. La converse, chez eux : c’est immuablement « Beau temps, n’est-ce pas ? » et pour le reste du séjour « well, well, well, well ». Par salve de quatre, toujours. Quatre well. T’as déjà remarqué ? Le temps d’une exhalaison.