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— Vous êtes en vacances ? lui demandé-je.

Il secoue la tête négativement.

— Affaire.

— Import-export ?

— Juste.

— Et ça marche ?

— Il y a eu des temps meilleurs.

Mais il y en aura de plus mauvais ?

— Je le crains.

Magnifique dialogue, en comparaison duquel celui des Carmélites n’est qu’une chanson de gestes.

Je décide soudain qu’il est temps de parler un langage plus positif.

— Eh bien, moi, fais-je, j’appartiens à la police parisienne, de même que mon ami ici présent.

— Je sais, dit l’autre en réprimant un bâillement ; je vous ai reconnu dès votre arrivée.

— Reconnu ?

— Moi, je suis de l’I.S. Mon nom est Brandson. Major Timothée Brandson.

A flegme britannique, self-contrôle français et demi.

— Vous êtes mon premier, rétorqué-je.

Il se retient de questionner, mais comme je ne moufte pas, il murmure :

— Votre premier Major de l’I.S. ?

— Non : mon premier Timothée. Je croyais que ce prénom n’existait que dans les polars d’Agaga Christie.

— Il figure également sur mon acte de naissance, assure mon interlocuteur.

Je cherche Béru. Il a disparu. Mais des odeurs en partance de la cuisine me proviennent. Sans doute la jaffe de la Femme-Baleine ne lui a-t-elle pas suffi. Il a toujours un petit creux grand comme l’ancien trou des halles à combler, cécoinsse.

— Venez avec moi, collègue !

J’entraîne mon éminent chosefrère jusqu’au studio de miss Wrong.

— Nous l’avons découverte ainsi, expliqué-je en lui découvrant la morte.

Il s’approche, considère, exactement comme s’il admirait la vitrine de chez Cartier.

Bien sûr, il part d’une nouvelle série de « well, well, well, well ».

— Moche, n’est-ce pas ?

— Plutôt.

— Vous vous intéressiez à elle ?

— Comme vous.

— Pour la même raison ?

— Vraisemblablement.

— Vous aviez vu quelque chose, à propos du suicidé de l’hôtel ?

— J’ai vu qu’il ne s’agissait pas d’un suicide. J’ai vu que quelqu’un le faisait basculer, mais sans distinguer la personne en question. J’espérais des précisions de cette jeune femme. Je suis venu une première fois, elle n’a pu me recevoir. Mes autres tentatives se sont heurtées à sa porte close.

— Parce que Chakri Spân a été plus prompt que vous.

— Ah oui, lui, vous pensez ?

— Vous le connaissez ?

— De réputation. D’après celle-ci, c’est un homme qui touche à trop d’affaires illicites pour espérer battre le record de Mathusalem.

— Je vais vous résumer les chapitres précédents, cher Major, vous pourrez mesurer jusqu’où vont les entreprises de Chakri Spân.

— Quéqu’un veuille-t-il du crabe au curry, du riz aux crevettes, du porc aux germes de soja et du canard ripoliné ? questionne Béru, depuis la cuisine.

Il a déjà la bouche pleine de tout ça.

La mienne ne contient que des mots.

La confiance règne.

Tiens, voilà qui ferait un titre valable pour une de mes conneries, tu ne trouves pas ?

Souvent, il m’en vient… Je me dis : « En v’là un » (car je me cause simplement, sans chichiter). Et puis l’élan me tombe. A seconde vue, je les trouve trop mous, comme « La Confiance règne », justement. Pas suffisamment percutants. D’autres, par contre, sont trop durs, ainsi d’un que pourtant j’adore, et que j’m’ai jamais servi : « Tant qu’il y aura des Zobs ». L’éditeur refuserait. Il aime la juste limite. « A prendre ou à lécher », tu vois, c’est sa longueur d’onde. Corsé, mais acceptable. Faut qu’il veille au grain, l’éditeur. C’est mon Dieu le Père. Je lui demande la permission de tout. Des fois, il l’accorde, mais sans trop d’emballe. Plus souvent, il fait la grimace, émet un bruit de muqueuses ramonées, comme s’il allait me glavioter sur les lattes. « Ahhr, je ne pense pas que ce soit une bonne idée ». Bon, il pense pas que c’est une bonne idée, ça veut dire que tu peux te la refoutre dans le bénouze. Intraitable. J’en vois qui me font des proposes mirifiques ; qui me disent ainsi : « M’sieur l’Antonio, vous aimeriez-t-il que j’écrivisse (et non pas écrevisse) un livre sur vous ? ». Tiens, si je te disais, un jour : le professeur Sauvy, l’un des tout grands esprits de ce temps. Un livre sur moi, il avait envie. Je m’avance pas, va lui demander, je me permettrais pas de bluffer, jamais avec un homme de vraie valeur. Eh bien ! mon nez-dites-heure lui a remisé les velléités, au professeur Sauvy. Poliment. « Non, merci, j’y tiens pas. Ou alors montrez-moi votre texte, au prélavable ; je verrai ». Le bonjour à Alfred, quoi ! Une main de fer dans un gant de fer, monnaie-diteur. Le manager de grand style. L’homme de tous les moments, de toutes les circonstances. Le conseilleur-payeur. L’indomptable. Il vigile sans relâche… Ecris pas la bouche pleine ! il me fait. Ou bien « Mets un tricot de corps, le temps fraîchit »  ; et encore « Tu roules trop vite avec ta Daimler »  ; tout ça… Et puis les chèques et maths. C’est mon second papa. Je l’aime. Lui aussi, j’veux pas qu’y prenne froid. On s’a besoin, lui et moi. On est deux, la vie est plus facile.

Je te cause de lui parce que ça me vient. T’en as rien à branler, je sais ; mais faut connaître les tenants-aboutissants. Ce qu’on appelle le dessous des choses. Voilà le dessous des miennes.

La confiance règne, avais-je commencé.

Entre Timothée et moi, complété-je.

On joue franco pendant que le Gros décrasse toutes les provises disponibles dans l’appartement de la chère Suzy Wrong (une qui ne s’est pas cassée pour trouver un nom de guerre, hein ?).

Je lui ai tout déballé, au copain de l’I.S., point par point, heure par heure, dent pour dent. A l’œil. Mes démêlés avec Chakri Spân ; mes emmêlés avec l’organisateur de safaris et ses clients. La police qui nous traque…

Me mets à sa merci. Ne nous a-t-il point sauvé the lift une première fois ? Et puis, il me connaît de répute. Santonio, l’as des as. Celui sans qui la France ne serait que ce qu’elle est.

Que d’aventures en un lapsus de temps infime !

Y a qu’à nous non ? Si vite, si tumultueux ! Pan, bigne, plooff ! Mitraillette, course sur les klongs, crocodiles, femme-canon, pépé nase ! Bonsoir, méâmes, bonsoir messieurs ! Signé San-Antonio.

Un pied géant, non ? Il va mouiller, l’Edith-heure quand ils vont lui raconter comment que ça cavalcade dans ce polar. Qu’on traîne pas, qu’on fait pas chier le lecteur, mais qu’on balance la péripétie à la truelle. Et en telle quantitoche qu’il va encore falloir imprimer menu, et zob pour les myopes ! N’auront qu’à lire le « Roman de Miro »  ; ou bien s’acheter des loupes. Pas de ma faute si j’ai à dire. Je voudrais t’en écrire des hénormes, que l’action intarisse. On te les fourguerait plus cher, faut comprendre, mais ils te feraient tout le véquende.

Le bon Rosbif, Major Brandson, écoute comme si je lui lisais les cours de la Bourse. Et encore, pas celle de Londres, mais celle de Pétahouchnock. Quand j’en ai fini, il soupire :

— Difficile situation, my friend. Très difficile situation.

— Merci, fais-je, je l’avais remarqué.

— Vous n’avez pas une chance sur cent millions de millions de faire admettre votre bon droit aux autorités d’ici.