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— Ne péchez pas par excès d’optimisme, Major.

Il caresse ses tempes brunes, où fleurissent quelques touffettes grises.

— Croyez-vous en Dieu, mister commissaire ?

— Je fais semblant, avoué-je, mais je fais si bien semblant de croire en Dieu que Dieu croit que je crois en lui, ce qui est le but recherché, n’est-il pas ?

— En ce cas, je pense être en mesure de vous dire que c’est lui qui m’a placé sur votre route.

— J’en ai le pressentiment.

— Je suis l’homme qu’il vous faut.

— Vous pourriez donc nous venir en aide ?

— Probablement.

— De quelle manière ?

— J’ai besoin de main-d’œuvre qualifiée.

— Pour ?

Il hoche la tête, sort de sa poche un étui à cigarettes qui, bien qu’appartenant à un gars de l’I.S. ne tire pas de balles, ne projette pas de gaz asphyxiant et n’est pas un poste émetteur. Il contient benoîtement des cigarettes dont l’odeur en se consumant me paraît être celle des Camel[8].

— Moi aussi, je vais vous faire quelques confidences, my dear (c’est moi que j’ajoute my dear, pour faire plus britannique, sinon il me dit « mon cher », mais me le dit en anglais).

— Votre confiance répondant à la mienne prouve que nous sommes liés par une sympathie réciproque, tourné-je, sur mon tour à blabla.

— Bien entendu, votre discrétion m’est acquise ?

— Complètement, Major.

— Mes supérieurs m’ont envoyé ici parce qu’ils ont informés qu’un coup fumant s’y prépare.

— On va détrôner le roi ?

Il a un lugubre sourire pour condoléances attristées.

— Mieux que le roi.

— Bigre, qui donc ?

— Dieu.

— Pardon ?

Timothée inventorie ses poches et finit par dégauchir (comme on dit en anglais), un dépliant touristique célébrant les merveilles de Bangkok. Il le déplie (puisqu’il s’agit d’un dépliant, à quoi bon se gêner ?) et me présente une rubrique bien définie. Elle traite du temple Wat Trimit, lequel abrite le célèbre Bouddha d’or, aimable statue de 3 mètres de haut, pesant 5 tonnes et demie, évaluée à quelque 20 millions de dollars. Ce haut morcif fut découvert par un bonze, au cours de je ne sais quels travaux entrepris en bordure du fleuve. Il était recouvert d’une forte épaisseur de plâtre chargée de déjouer les concupiscences. Ce bon bonze (acidulé), pas empêché du bulbe, a eu l’idée de casser un bout du plâtre. Et qu’a-t-il trouvé dessous ? Du jonc, mon pote ! Du gold véridique ! On a vite débarrassé la divine statue de sa cangue camoufleuse et on l’a installée dans le temple Wat Trimit, en pleine ville chinoise, là que se trouve le crématoire du quartier, la morgue, le séminaire des bonzes Pilatt, tout ça…

Je rends la brochurette à mon honorable collègue et attends qu’il s’explique.

— Un groupe de petits malins a décidé d’embarquer le Bouddha d’or, confirme-t-il.

— Sympa, dis-je, mais mal commode, non ? Cinq tonnes et demie, faut au moins se mettre à deux pour coltiner l’objet ! Et trois mètres de hauteur, pardon, c’est pas de la tarte.

— Ils ont trouvé une astuce diabolique…

— Il faut être effectivement le diable pour s’attaquer à Bouddha.

Timothée (à la menthe) me vote un sourire reflétant essentiellement son apitoiement. Il aime trop les sciences exactes pour se contenter d’à peu près.

— Quels gens se sont attaqués à une entreprise aussi hardie ?

— Des Français, mon cher, ne vous en déplaise, associés à quelques Italiens et à un Turc. Ce sont eux qui ont fomenté le coup, l’ont organisé et qui le réalisent, avec l’assistance de l’éternel Chakri Spân, bien entendu.

— Juste ciel, un bouddhiste s’attaquer à Bouddha !

Il hausse les épaules.

— Chakri Spân n’est pas bouddhiste, mais plus ou moins pakistanais et japonais à la fois.

— Comment l’I.S. a-t-elle été prévenue de la chose ?

— Par un loustic londonien, spécialiste du chalumeau, qui fut contacté par le cerveau de la bande, un nommé Iraiggaps. Il avait accepté de participer à cette sauterie, mais il a été arrêté dans l’intervalle pour une mauvaise affaire. Comme c’est un garçon claustrophobe, il a monnayé son information, ce qui est humain.

— Pourquoi s’est-il confié à l’I.S. plutôt qu’au Yard ?

— Il s’est confié au Yard ; mais l’affaire nous a été transmise et c’est moi qui l’ai héritée, étant spécialiste de cette région du monde. Disons qu’elle est mon fief.

Béru surgit inopinément, les lèvres graisseuses, la bouche pleine, le pantalon dégrafé.

Il a entendu la dernière réplique de notre ami et il l’interpelle :

— Si v’seriez espécialiste du patelin, pouvez pas m’dire où qu’ils foutent leurs chiottes ? J’ai z’une envie d’bédoler qui m’prend t’à la gorge et j’arrive pas à dégauchir les chiches.

— Il est probable que vous les trouverez au rez-de-chaussée, informe Brandson.

Béru le remercie par quelques pets dont l’extrême prudence en dit long sur l’urgence de son problème et sort en continuant de se préparer aux sublimes abandons.

— Vous avez là un collaborateur assez singulier, n’est-ce pas ? émet Timothée (au jasmin).

— Disons même que c’est un cas, renchéris-je. Mais il a des aspects positifs. Alors, dear friend, cette diabolique opération « Bouddha d’or » ?

Brandson allume une nouvelle Camel (que surtout m’en envoyez pas, hein, les mecs de chez Camel ? je saurais pas qu’en foutre, et mes pauvres ne fument que du scaferlati ordinaire).

Il l’allume avec une aisance tout à fait britannique. L’attitude d’un gentleman reste ce qu’il y a de plus beau à voir sur notre planète, après la chatte d’une jeune fille.

— Je vous pose la devinette, commissaire : si vous étiez truand et que vous projetiez de voler une statue d’or pesant 5 tonnes 5, scellée sur un socle et bouclée dans un temple bien gardé, de quelle manière vous y prendriez-vous ?

Je branle tu sais quoi ? Oui ? Bon. Alors, je le branle et réponds :

— Ma foi, ne pouvant disposer d’une grue, je la découperais en morceaux transportables.

— Bravo. Seulement il faut beaucoup de temps pour morceler un monument pareil. Or, le temple Wat Trimit est au cœur d’un complexe religieux plein d’allées et venues le jour, et gardé la nuit.

— Alors ?

— Alors il a fallu faire montre de génie, et ces coquins en ont à revendre. Ils agissent par petites étapes, de nuit. Cela fait un mois qu’ils sont à pied d’œuvre. Vous êtes allés visiter le « Bouddha d’or » ?

— Je n’en ai pas encore eu le temps.

— La statue se trouve dans une sorte de chapelle, si je puis employer ce mot, surélevée, à laquelle on accède par une volée de marches. Chakri Spân a offert des travaux de rénovation extérieure. Cela se fait dans ce pays. On gagne son paradis en restaurant des statues religieuses ou en offrant des objets du culte. Au cours des travaux, un trou a été percé, à l’extérieur, qui a été refermé d’une manière permettant de le rouvrir sans difficulté. Ce trou se transforme en un souterrain qui va jusque sous le formidable socle de la statue. Vous suivez ?

— En rampant, mais je suis !

— Donc, nos petits bricoleurs peuvent pénétrer dans la statue et la découper de l’intérieur.

— Formidable, mais ça change quoi ?

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8

C’est pas un appel du panard pour la maison Chameau  : je ne fume que des Davidoff number one.