LES CONSOLATIONS
Poésies par Sainte Beuve
(Утешения. Стихотворения Сент-Бёва). — Париж, 1830
(1 том в 18-ю д. л.)
Года два тому назад книжка, вышедшая в свет под заглавием Vie, poésies et pensées de J. Delorme, обратила на себя в Париже внимание критиков и публики. Вместо предисловия романическим слогом описана была жизнь бедного молодого поэта, умершего, как уверяли, в нищете и неизвестности. Друзья покойника предлагали публике стихи и мысли, найденные в его бумагах, извиняя недостатки их и заблуждения самого Делорма его молодостию, болезненным состоянием души и физическими страданиями. В стихах оказывался необыкновенный талант, ярко отсвеченный странным выбором предметов. Никогда ни на каком языке голый сплин не изъяснялся с такою сухою точностию; никогда заблуждения жалкой молодости, оставленной на произвол страстей, не были высказаны с такой разочарованностию. Смотря на ручей, осененный темными ветвями дерев, Делорм думает о самоубийстве и вот каким образом:
Pour qui veut se noyer, la place est bien choisie.
On n’aurait qu’à venir, un jour de fantaisie,
A cacher ses habits au pied de ce bouleau,
Et, comme pour un bain, à descendre dans l’eau:
Non pas en furieux, la tête la première;
Mais s’asseoir, regarder; d’un rayon de lumière
Dans le feuillage et l’eau suivre le long reflet;
Puis, quand on sentirait ses esprits au complet,
Qu’on aurait froid, alors, sans plus traîner la fête,
Pour ne plus la lever, plonger avant la tête,
C’est là mon plus doux vœu, quand je pense à mourir,
J’ai toujours été seul à pleurer, à souffrir;
Sans un cœur près du mien j’ai passé sur la terre;
Ainsi que j’ai vécu, mourons avec mystère,
Sans fracas, sans clameurs, sans voisins assemllés,
L’alouette, en mourant, se cache dans les blés; mblés,
Le rossignol, qui sent défaillir son ramage,
Et la bise arriver, et tomber son plumage,
Passe invisible à tous, comme un écho du bois:
Ainsi je veux passer. Seulement, un… deux mois,
Peut-être un an après, un jour… une soirée,
Quelque pâtre inquiet d’une chèvre égarée,
Un chasseur descendu vers la source, et voyant
Son chien qui s’y lançait sortir en aboyant,
Regardera: la lune avec lui qui regarde
Eclairera ce corps d’une lueur blafarde;
Et soudain il fuira jusqu’au hameau, tout droit.
De grand matin venus, quelques gens de l’endroit
Tirant par les cheveux ce corps méconnaissable,
Cette chair en lambeaux, ces os chargés de sable,
Mêlant des quolibets à quelques sots récits,
Deviseront longtemps sur mes restes noircis,
Et les brouetteront enfin au cimetière;
Vite on clouera le tout dans quelque vieille bière
Qu’un prêtre aspergera d’eau bénite trois fois;
Et je serai laissé sans nom, sans croix de bois! {2}
У друга его, Виктора Гюго, рождается сын; Делорм его приветствует:
Mon ami, vous voilà père d’un nouveau-né;
C’est un garçon encor: le ciel vous l’a donné
Beau, frais, souriant d’aise à cette vie amère;
A peine il a coûté quelque plainte à sa mère.
Il est nuit; je vous vois… à doux bruit, le sommeil
Sur un sein blanc qui dort a pris l’enfant vermeil,
Et vous, père, veillant contre la cheminée, Recueilli dans vous-même, et la tête inclinée,
Vous vous tournez souvent pour revoir, ô douceur!
Le nouveau-né, la mère et le frère et la sœur
Comme un pasteur joyeux de ses toisons nouvelles,
Ou comme un maître, au soir, qui compte ses javelles.
A cette heure si grave, en ce calme profond,
Qui sait, hors vous, l’abîme où votre cœur se fond,
Ami? qui sait vos pleurs, vos muettes caresses;
Les trésors du génie épanchés en tendresses;
L’aigle plus gémissant que la colombe au nid;
Les torrents ruisselants du rocher de granit,
Et, comme sous les feux d’un été de Norvège,
Au penchant des glaciers mille fontes de neige?
Vivez, soyez heureux, et chantez-nous un jour
Ces secrets plus qu’humains d’un ineffable amour!
— Moi, pendant ce temps-là, je veille aussi, je veille,
Non près des rideaux bleus de l’enfance vermeille,
Près du lit nuptial arrosé de parfum,
Mais près d’un froid grabat, sur le corps d’un défunt.
C’est un voisin, vieillard goutteux, mort de la pierre;
Ses nièces m’on requis, je veille à leur prière.
Seul, je m’y suis assis dès neuf heures du soir.
A la tête du lit une croix en bois noir,
Avec un Christ en os, pose entre deux chandelles
Sur une chaise; auprès, le buis cher aux fidèles
Trempe dans une assiette, et je vois sous los draps
Le mort en long, pieds joints, et croisant les deux bras.
Oh! si, du moins, ce mort m’avait durant sa vie
Eté longtemps connu! s’il me prenait envie
De baiser ce front jaune une dernière fois!
En regardant toujours ces plis raides et droits,
Si je voyais enfin remuer quelque chose,
Bouger comme le pied d’un vivant qui repose,
Et la flamme bleuir! si j’entendais crier
Le bois du lit!.. ou bien si je pouvais prier!
Mais rien: nul effroi saint; pas de souvenir tendre;
Je regarde sans voir, j’écoute sans entendre,
Chaque heure sonne lente, et lorsque, par trop las
De ce calme abattant et de ces rêves plats,
Pour respirer un peu je vais à la fenêtre
(Car au ciel de minuit le croissant vient de naître),
Voilà, soudain, qu’au toit lointain d’une maison,
Non pas vers l’orient, s’embrase l’horizon,
Et j’entends résonner, pour toute mélodie,
Des aboiements de chiens hurlant dans l’incendie. {3}