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Et caetera. Sans jamais laisser l’attention du client se détourner de l’automobile qu’il tenait manifestement à acheter, expliqua Klein. « Bien entendu, on gagnera de l’argent sur le financement quoi qu’il arrive. On pourrait presque lui donner cette putain de bagnole. Sa reprise est très, très chouette. Mais le fait est qu’on ne laisse pas de l’argent sur la table. »

Le client tendait une autre proposition. « Je ne peux pas faire mieux pour le moment, affirma-t-il. C’est à peu près ma dernière offre. »

Alberni étudia le chiffre. « Vous savez quoi ? Je vais aller en parler avec mon directeur commercial pour voir ce qu’il en pense. Avec un peu de chance, je pense qu’on pourrait arriver à un accord. »

Alberni se leva et quitta la pièce.

« Tu vois ? dit Klein. Il les pousse, mais en leur donnant l’impression de leur faire une fleur. Toujours chercher le levier. »

Alberni entra dans le bureau de Klein et s’assit. Il évalua longuement Tom du regard. « Vous lui apprenez à ne pas faire ses besoins n’importe où ?

— Tom a beaucoup de potentiel. Je le vois bien.

— C’est le frère du propriétaire. Ce qui lui fait un max de potentiel.

— Allons, Chuck », dit Klein d’un ton désapprobateur. Mais comme Alberni s’en sortait très bien au niveau ventes, il pouvait se permettre ce genre de remarques.

Tom resta coi.

L’interphone était toujours branché. Dans la pièce voisine, le client prit la main de sa femme, qui paraissait nerveuse. « Si on repousse la terrasse de cèdre à l’année prochaine, dit-il, on devrait pouvoir allonger mille dollars de plus.

— Bingo, fit Alberni.

— Tu vois ? demanda Klein. Il ne reste rien sur la table. Absolument rien.

— Vous les espionnez ? demanda Tom. Quand ils se croient seuls ?

— Parfois, répondit Klein, c’est le seul moyen de savoir.

— Ce n’est pas contraire à l’éthique ? »

Alberni éclata de rire. Klein dit : « Contraire à l’éthique ? Et alors ? Nom d’un chien, t’es qui, tout à coup, Mère Teresa ? »

Il pointa à l’heure de sortie et prit la nationale jusqu’au centre commercial du port. À la quincaillerie, il choisit un pied-de-biche, un mètre ruban, un burin et un marteau. Il paya avec sa carte de crédit et fit le reste du trajet avec ces outils qui bringuebalaient dans le coffre.

L’extrémité nord-est de la maison, pensa Tom. Au sous-sol. C’est là qu’ils vivent.

Il passa au micro-ondes un dîner surgelé qu’il mangea sans y prêter la moindre attention : du poulet saisi, de la purée gélatineuse, un morceau de « dessert ».

Il rinça la barquette, qu’il jeta.

Rien pour eux, ce soir.

Il enfila un Levi’s passé et une chemise de coton déchirée avant de descendre au sous-sol avec ses nouveaux outils.

Il identifia un mur mitoyen qui traversait le sous-sol et s’assura, en mesurant sa distance depuis l’escalier, qu’il se trouvait juste en dessous d’un mur similaire entre la chambre et le salon. Il remonta mesurer la largeur de la chambre au nord-est de la maison : 4 mètres 50, à quelques centimètres près.

Mesurer la même distance au sous-sol posa davantage de difficultés : il lui fallut s’agenouiller derrière la platine arrière bosselée du lave-linge Kenmore et tenir le mètre ruban en place à l’aide d’une brique. Il refit deux fois la mesure et obtint trois résultats identiques :

Le mur nord-est du sous-sol était placé à plus de quatre-vingt-dix centimètres des fondations.

Il déplaça des cartons de rangement ainsi qu’une étagère de lessive et d’eau de Javel, puis les planches des étagères elles-mêmes. Lorsqu’il eut terminé, la buanderie évoquait Beyrouth, toutefois le mur était entièrement à nu. On aurait dit un mur ordinaire, composé de plaques de plâtre fixées sur des madriers et recouvert d’une peinture blanc mat. Les apparences peuvent être trompeuses, se dit Tom. Mais il en aurait sans trop de mal le cœur net.

Il ôta un morceau de revêtement à coups de burin et de marteau. C’était bien du plâtre, dont la poussière lui tomba dessus en pluie pendant qu’il travaillait, se mêlant à sa sueur jusqu’à le rendre d’un blanc terreux. Impossible aussi de se méprendre sur le creux derrière le mur, trop profond pour la lumière du plafonnier. À l’aide du pied-de-biche, il arracha des morceaux plus conséquents de plaques de plâtre et finit par se retrouver jusqu’aux chevilles dans des débris farineux.

Il avait pratiqué un orifice d’environ quatre-vingt-dix centimètres de diamètre et s’apprêtait à partir à la recherche d’une torche pour regarder à l’intérieur quand le téléphone sonna.

Il crut d’abord à une réaction furieuse de la maison elle-même, un cri d’indignation devant l’agression qu’il lui infligeait. Ses oreilles bourdonnaient des efforts qu’il venait de fournir et il n’avait aucun mal à imaginer l’atmosphère emplie de vrombissement d’insectes, du bruit d’une ruche profanée. Il secoua la tête pour se débarrasser de cette pensée et remonta quatre à quatre au rez-de-chaussée.

Quand il décrocha, il entendit la voix de Doug Archer. « Tom ? J’allais raccrocher. Qu’est-ce qui se passe ?

— Rien… j’étais sous la douche.

— Et la bande-vidéo ? J’ai attendu de tes nouvelles toute la journée, mon pote. Qu’est-ce qu’on a ?

— Rien.

— Rien ? Nada ? Queud ?

— Absolument rien. Très embarrassant. Écoute, je suis désolé de t’avoir impliqué là-dedans. On devrait peut-être juste laisser courir quelque temps. »

Il y eut un silence. Puis Archer dit : « Je n’arrive pas à croire que tu me dises ça.

— Je pense qu’on a dramatisé, voilà tout.

— Tom, il y a quelque chose qui ne va pas là-haut ? Un problème quelconque ?

— Aucun.

— Je devrais au moins passer récupérer le matériel vidéo…

— Peut-être ce week-end, dit Tom.

— Si c’est ce que tu veux…

— C’est ce que je veux. »

Il coupa la communication.

S’il y a un trésor ici, se dit-il, il est à mot.

Il retourna au sous-sol.

La maison bourdonnait et vrombissait autour de lui.

4

Parce que c’était lundi, parce qu’elle avait perdu son boulot à Macy’s, parce que c’était une journée glaciale de printemps avec une pluie intermittente… et peut-être parce que les étoiles, le kismet ou le karma l’avaient décidé, Joyce s’arrêta pour dire bonjour au type étrange qui frissonnait sur un banc du Washington Square Park.

Le crépuscule gris et humide avait chassé tout le monde, à part les pigeons. Même l’anonyme octogénaire barbu apparu la semaine précédente pour vendre de la « poésie » sur une boîte en carton était parti, ou mort, ou monté au ciel. Un autre jour, le parc aurait peut-être regorgé de gratteurs de guitare, d’étudiantes à l’université de New York, d’adolescentes venues d’écoles privées des quartiers chics faire (ce quelles s’imaginaient être) glamour, mais pour l’instant, le parc appartenait à Joyce ainsi qu’à cet homme étrange et tranquille qui la regardait d’un air ahuri.

Bien entendu, s’arrêter bavarder avec lui était idiot, voire dangereux. C’était New York, après tout. Les types bizarres n’y manquaient pas, d’une bizarrerie rarement subtile ou intéressante. Mais Joyce avait une excellente intuition en ce qui concernait les gens. « Joyce au regard perçant, comme l’avait appelée Lawrence. La Florence Nightingale de l’amour. » Si elle rejetait l’implication (alors même qu’elle se retrouvait peut-être bien en train de recueillir une nouvelle fois un animal abandonné), elle acceptait le jugement. Elle savait à qui se fier.