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« C’est mieux, dit-il. Merci. J’appelle au sujet de Tom. J’appelle parce que je pense qu’il est en train de partir salement en sucette et que, cette fois, je ne sais pas quoi faire. »

De l’urgence, et maintenant cet aveu. « Il s’est remis à boire ? demanda-t-elle.

— C’est bien ça le plus bizarre. Je ne crois pas. Il disparaît plusieurs jours d’affilée, mais il revient propre et sans gueule de bois. Il se terre dans cette maison qu’il a achetée sur Post Road. Il ne voit presque personne. Comme un reclus. Et ça a une mauvaise influence sur sa vie. Il a manqué plusieurs journées à la concession et le directeur commercial est salement en rogne contre lui. Plus des choses que je ne sais pas expliquer. Tu as déjà rencontré des gens qui s’en foutent complètement ? À qui tu peux dire bonjour, ou que ton oncle est mort, et ils te diront peut-être un mot aimable, mais tu vois bien qu’ils s’en fichent ?

— J’en ai déjà rencontré, oui », admit Barbara. Toi, par exemple, gros con, pensa-t-elle.

« Tom t’a déjà paru faire partie de ces gens-là ?

— Non.

— Eh bien, il est comme ça maintenant. Il n’a pas d’amis, pas d’argent, il est sur le point de perdre son boulot… et rien de tout ça ne compte. Il plane dans une autre dimension. »

Cela ne ressemblait pas du tout à Tom. Il avait toujours essayé d’anticiper, les conséquences l’obsédaient. À cause de la manière dont ses parents étaient morts, selon elle, ou peut-être cela provenait-il d’une anfractuosité plus profonde de sa personnalité, en tout cas Tom avait toujours redouté l’avenir, s’était toujours méfié de lui. « Ça pourrait encore être l’alcool.

— Je ne suis pas stupide. Même quand il le fait de manière très discrète, je sais quand mon frère biberonne. C’est tout autre chose. La dernière fois que je suis allé chez lui, tu sais ce qui s’est passé ? Il a refusé de me laisser entrer. Il a ouvert la porte, m’a fait un grand sourire et m’a dit : “Va-t’en, Tony.”

— Donc, il est heureux ?

— Ce n’est pas le mot. Détaché. Tu veux savoir le fond de ma pensée ? Je me demande s’il n’aurait pas envie de se suicider. »

Barbara déglutit. « Tu vas peut-être un peu vite.

— Il est en train de partir, Barbara. Il ne veut même pas me parler, mais c’est l’impression que j’ai. Il se fiche de ce qui se passe dans le monde parce qu’il lui a déjà dit adieu. »

Le combiné sembla un poids mort dans sa main. « Qu’est-ce que Loreen en pense ?

— C’est elle qui m’a persuadé de t’appeler. »

Alors c’était grave. Si Loreen n’avait rien d’un génie, elle était sensible aux gens. « Pourquoi, Tony ? demanda-t-elle. D’où est-ce que ça sort ?

— Qui sait ? Peut-être que Tom pourrait te le dire.

— Tu veux que je lui parle ?

— Je ne peux plus dire à personne ce qu’il faut faire. J’ai largement dépassé ce stade. Si tu t’inquiètes, tu sais où le trouver. » Un bourdonnement et un ronronnement : Tony avait raccroché.

Son mariage était terminé. Elle ne devait rien à Tom. C’était injuste de lui lâcher cela sur les genoux.

Elle fit sa valise, qu’elle descendit à l’accueil, où elle retrouva Rafe, à qui elle expliqua la situation aussi aimablement que possible. Il dit qu’il comprenait. Il mentait sans doute.

Sa main tremblait quand elle mit le contact.

Elle dut s’arrêter deux fois pour consulter le plan de Belltower pris à la station-service. Le temps qu’elle trouve la maison de Tom, dix heures allaient sonner en ce dimanche matin. Le calme régnait sur Post Road, le ciel était dégagé et l’été arrivait à toute vitesse. Barbara descendit de voiture et inspira à fond. L’air sentait le cèdre.

La maison avait l’air paisible aussi. Très propre, presque immaculée. Sans mousse sur le toit et avec un revêtement extérieur qui semblait presque récuré. Tom avait toutefois laissé la pelouse pousser un peu.

Elle rangea ses clefs de voiture dans son sac. Je ne m’attendais pas à me sentir aussi nerveuse.

Mais il n’était pas question de renoncer. Elle remonta l’allée, frappa à la porte. Sagement, toc toc toc. Puis, n’obtenant aucune réponse, plus fort.

Le bruit résonna et s’éteignit dans l’atmosphère de ce matin dominical. Aucune réaction, sinon le bruissement des arbres.

Elle s’était préparée à toutes les éventualités, sauf à celle-là. Il est peut-être sorti. La porte du garage était fermée et verrouillée… impossible de voir si son automobile se trouvait à l’intérieur.

Impossible de savoir si Tom était encore vivant. Les paroles de Tony lui revinrent comme une malédiction : Je me demande s’il n’a pas envie de se suicider. Peut-être arrivait-elle trop tard. Mais cette pensée, macabre et injustifiée, provenait de ses propres peurs, aussi la chassa-t-elle fermement de son esprit. Tom devait être sorti un moment. Elle décida d’attendre dans sa voiture.

Au bout d’une demi-heure à essayer de trouver une position confortable, et à commencer à avoir faim par-dessus le marché, elle entraperçut un mouvement dans la maison derrière la fenêtre la plus proche.

Agacée que Tom n’ait pas répondu quand elle avait frappé – mais peut-être n’avait-il pas entendu –, elle courut à la fenêtre jeter un coup d’œil.

C’était la cuisine. En mettant sa main en coupe contre la vitre, Barbara vit Tom, de dos. Sa chemise n’était pas rentrée dans son pantalon, un jean en lambeaux. Il se pencha sur quelque chose par terre, quelque chose qu’elle vit détaler… un chat, peut-être ? Bizarre : Tom n’avait jamais aimé les animaux domestiques.

Les gens changent, se dit-elle.

Elle frappa à nouveau à la porte, le plus fort possible.

Quelques instants plus tard, Tom ouvrit.

Son sourire disparut quand il la vit. « Mon Dieu, fit-il.

— Je suis là depuis un moment. J’ai frappé…

— Je devais être en bas. Mon Dieu. Entre. »

Elle pénétra dans la maison en s’excusant presque, intimidée par la stupéfaction de Tom. J’aurais dû téléphoner. « Je ne voulais pas te prendre au dépourvu comme ça, mais…»

Il agita la main. « Ne t’inquiète pas. Je n’étais pas toujours là… et je ne réponds pas toujours au téléphone. »

Barbara accepta cette excuse, si dérangeante soit-elle. Il désigna le canapé d’un geste. Elle s’assit.

Le mobilier de la pièce était neutre, presque impersonnel. Barbara reconnut quelques objets venus de leur appartement à Seattle : une rangée de 33-tours de jazz, l’ampli stéréo assemblé par Tom durant la période où il s’intéressait à l’électronique. Il s’agissait toutefois d’un mobilier démodé, sans style, et d’une propreté impeccable : elle supposa que Tom l’avait acheté avec la maison.

« Je devrais te dire pourquoi je suis venue. »

Tom secoua la tête. « Je devine. Tony t’a appelée, pas vrai ? » Elle fit signe que oui. « J’aurais dû m’y attendre, poursuivit-il. Je suis désolé, Barbara. Pas de te revoir. Que tu aies fait tout ce chemin pour rien.

— Tony s’inquiète. Ça lui arrive d’être un brave type de temps en temps. Loreen s’inquiète aussi, à ce qu’il dit.

— Ils ne devraient pas. »

Elle préféra ne pas insister sur ce point. « C’est une chouette maison.

— Je devrais sans doute te faire visiter. »

Il lui montra la cuisine, la chambre, celle d’amis, la salle de bains… le tout d’une propreté irréprochable, démodé, et un petit peu stérile. Barbara hésita au sommet des escaliers mais Tom resta en retrait. « C’est juste le sous-sol. Rien d’intéressant. »