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Il resserra la dernière vis, rempocha la pièce de monnaie et grimpa derrière Joyce les escaliers vers l’entrée de l’immeuble.

Il se représenta la porte du haut, celle qu’il avait ouverte avec une carte de crédit et la clef de Joyce. Pensée terrifiante : et si elle s’était refermée ? Si le pêne s’était remis en place et qu’il n’arrive plus à le rouvrir ?

Il vit alors le rai de lumière venu du hall, vit Joyce tendre la main vers la porte, vit celle-ci ouverte, et ils déboulèrent au même moment dehors, chancelant dans la lumière, cramponnés l’un à l’autre.

12

Billy arriva chez lui les nerfs quelque peu calmés et résista pendant deux jours au besoin pressant de revêtir l’armure.

Il se dit qu’il avait besoin de temps pour réfléchir, qu’il n’aurait rien à gagner à agir sur une impulsion.

En vérité, il craignait presque autant l’armure que la profanation du tunnel.

Il la craignait autant qu’il la voulait.

Les journées s’allongeaient, chaudes, vides, avec un ciel à la fois radieux et maussade. Son appartement était chichement meublé : il possédait un canapé, un lit en cuivre, un téléviseur Westinghouse et un réveil. Il laissa les fenêtres ouvertes : une brise chaude vint soulever les rideaux de dentelle blanche. Billy passa l’interminable après-midi à écouter le tic-tac du réveil et le bruit de la circulation en bas dans la rue.

À écouter les vains gémissements de sa propre et insupportable soif.

Il craignait son armure parce qu’il en avait besoin.

Il en aurait toujours besoin… mais, et Billy n’aimait pas y penser, l’armure vieillissait.

Billy l’entretenait de son mieux. Il la gardait propre et au sec, il lançait tous les diagnostics intégrés. Il était toutefois absolument impossible, à cette époque techniquement primitive malgré son extravagance, de réparer la moindre avarie sérieuse. Déjà, certaines des sous-routines les plus complexes ne fonctionnaient plus du tout, ou seulement de manière sporadique. Les fonctions principales de l’armure finiraient par faiblir, malgré leurs multiples redondances… laissant Billy avec sa soif intense, son besoin terrible, et sans aucun moyen de les satisfaire ou de les supprimer.

Pour retarder cette apocalypse, Billy s’était astreint à garder l’armure rangée, à ne s’en servir qu’avec parcimonie et uniquement lorsque son corps l’exigeait.

Pour le moment, il résistait à l’envie parce qu’il voulait réfléchir. Il lui vint à l’idée que les moyens d’affronter cette crise ne manquaient pas. De toute évidence, un autre voyageur temporel était arrivé à New York. Mais cela pouvait être n’importe qui ou n’importe quoi, et s’intéresser ou non à Billy. Peut-être qu’en réalité personne ne se souciait de lui. Peut-être l’intrus le laisserait-il tranquille.

L’autre possibilité (plus probable, selon lui) était que le voyageur temporel savait tout de Billy et des secrets arrachés par celui-ci à la femme avec l’éclat de verre dans la tête… que le voyageur temporel voulait le punir ou le tuer. Billy n’avait aucune preuve de cela et quelques-unes du contraire : l’intrus n’avait pas cherché à dissimuler sa présence alors que c’est ce qu’aurait fait un bon chasseur, pas vrai ? Sauf si le chasseur était tellement omnipotent qu’il n’en avait pas besoin.

Cette idée le terrifia.

J’ai le choix entre deux possibilités, se dit Billy. M’enfuir ou me battre.

S’enfuir posait certains problèmes. Oh, il pouvait prendre l’avion pour Los Angeles, Miami ou Londres, il savait comment faire. Il pouvait se construire une vie ailleurs… du moins tant que l’armure continuait à fonctionner.

Mais il n’arriverait pas à vivre en sachant qu’ils pourraient encore le retrouver… les voyageurs temporels, les constructeurs du tunnel ou d’autres inconnus. Il n’avait pas trop envie de finir ses jours dans la peau d’une proie. Il était resté à New York pour cette raison : pour s’occuper du tunnel, vérifier les issues.

Par conséquent, il pouvait se battre.

Certes, il ignorait qui (ou ce que) pouvait être l’intrus. Mais cette difficulté ne durerait peut-être pas. La majeure partie des dispositifs d’analyse de son armure fonctionnait encore : il devait pouvoir récolter un grand nombre d’informations en examinant les indices laissés dans le tunnel.

Tout dépendait de l’armure, pas vrai ?

Sa bouée de sauvetage. Sa vie.

Il finit par la sortir de sa cachette.

Il avait échangé la boîte en carton contre une caisse en bois d’un volume avoisinant les cinquante litres trouvée dans une boutique de l’Armée du Salut. La caisse était fermée par un cadenas. Billy croyait beaucoup aux cadenas, beaucoup plus solides à ses yeux que les verrous électroniques de sa propre époque. Il gardait la clef attachée à un passant de sa ceinture. Billy sortit la caisse du fond du placard et l’ouvrit avec sa clef.

Les trous par lesquels la lancette et le stylet pénétraient dans son corps avaient presque cicatrisé… mais ils ne le firent souffrir qu’une minute.

Il enfila plusieurs couches de vêtements amples par-dessus l’armure pour la dissimuler.

Billy savait à quoi il ressemblait ainsi habillé. À un alcoolique, un clochard. En le voyant, les gens détournaient le regard. Ce qui n’était pas plus mal.

Dessous, l’armure régulait la température de sa peau, l’empêchait d’avoir trop chaud, le gardait sur le qui-vive.

L’armure était « éteinte »… bien loin de ses capacités de combat complètes. Ses routines de régulation fonctionnaient toutefois de manière automatique. L’armure analysait en permanence son sang et ses impulsions nerveuses. Une glande située dans l’un des élytres synthétisait de nouvelles hormones qu’elle perfusait dans son organisme. Billy était vigilant, heureux, confiant.

Éveillé.

La vie, c’est le sommeil, songea Billy. Et l’armure, le réveil. Étrange comme il oubliait systématiquement cela dans les longs passages ternes de son existence, pour s’en souvenir dès qu’il revêtait l’armure. C’était comme sortir de transe.

Tous ses doutes s’évanouirent. Il ressentait ce que, imaginait-il, devait ressentir un loup : une concentration extrême associée au vertigineux plaisir de la chasse.

Il se rendit à l’immeuble qu’habitaient ses retraités, au carrefour du temps et du temps.

Il installa deux nouvelles serrures achetées la veille dans une quincaillerie : un barillet neuf pour la porte dans le hall d’entrée et un cadenas neuf pour celle du sous-sol. Si par hasard l’un des locataires le voyait en train de travailler, Billy était prêt à s’excuser pour sa tenue… mais personne ne vint, sinon un garçon livreur qui, un carton de provisions pour Amos Shank dans les bras, monta l’escalier et repartit sans un mot.

Billy passa ensuite au sous-sol, où personne ne venait jamais.

Il installa le nouveau cadenas, dont il accrocha la clef à sa ceinture. Désormais, il tintait à chaque pas.

Il descendit les marches de pierre jusqu’au niveau le plus bas du bâtiment, le deuxième sous-sol où commençait le tunnel et où une de ses grenades offensives avait détruit une paroi, bouchant l’espace vide derrière celle-ci… et où des gravats avaient été retirés par la suite pour dégager un passage.