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Ses optiques projetèrent chiffres et graphiques dans son champ de vision. Une séquence de diagnostics complète prenait plus d’une heure, mais Billy connaissait les valeurs normales de chacun des nombres. Il s’intéressa d’abord aux systèmes électriques, puis aux biologiques. Tout lui parut normal ou proche de la normale, à l’exception de deux points : une tension sanguine locale et les températures d’une minuscule pompe circulatoire. Billy mena le diagnostic général à son terme avant de réafficher ces nombres pour les examiner de plus près. Il demanda à l’armure une séquence complète sur les abdominaux, dont il attendit les résultats non sans nervosité.

D’autres chiffres apparurent, surtout des indications de pression. Mais Billy comprit ce que signifiaient ces points décimaux aux mauvais endroits : un caillot de sang s’était coincé dans la lancette en forme d’anche.

Billy sortit de son armure.

Il s’était abstenu de la régler à cent pour cent, même s’il l’avait beaucoup portée durant la semaine, et peut-être avait-il bien fait : cela aurait sollicité davantage la glande dans les élytres et peut-être propulsé le caillot dans une artère. Billy aurait pu mourir.

Le Besoin restait néanmoins très puissant.

L’armure était désormais flasque dans ses mains. Il retourna les élytres flexibles pour déployer la lancette, un long microtube étroit encore humide de sang.

Dans lequel le caillot s’était coincé.

Billy alla dans la cuisine faire chauffer une casserole d’eau sur la gazinière. Quand elle bouillit, il ajouta une poignée de sel Morton afin d’obtenir la salinité approximative du sang humain. C’était du « SAV d’urgence », une technique qu’il n’avait jamais testée, même s’il se souvenait l’avoir apprise.

Une fois l’eau suffisamment refroidie pour qu’il puisse la toucher, Billy plongea la lancette dedans.

Les micropompes réagirent à la chaleur. Des filets de sang sombre suintèrent dans la casserole.

Billy ne pouvait dire si le caillot s’était dissous.

Il nettoya la lancette, qu’il rétracta. Il se remit ensuite les élytres sur le corps, les referma et relança les diagnostics.

Les chiffres avaient meilleure allure. Pas parfaits… mais bien entendu, cela restait difficile à dire tant qu’il ne s’était pas enfoncé la lancette dans le corps pour laisser son sang y circuler.

Billy activa ce système-là.

Il sentit la lancette se glisser sous sa peau. Cela piquait un peu… peut-être restait-il un peu de sel collé au microtube malgré ses stérilisants et anesthésiques. Mais au moins…

Ah.

… cela semblait fonctionner.

Billy fut pris d’un étourdissant sentiment de triomphe. Il ressortit aussitôt de l’appartement.

Il avait perdu beaucoup de temps. Il se faisait tard. Un camion de nettoyage urbain était passé : Billy vit le reflet d’une demi-lune sur l’asphalte vide et mouillé.

Simple contretemps, se dit-il. J’ai vraiment réagi comme un enfant, en ayant aussi peur d’une défaillance mineure. Réaction toutefois compréhensible : tout son courage venait de l’armure.

Il repensa à la glande secrète dissimulée dans les replis des élytres.

Elle restait en sommeil quand l’armure était rangée, ses tissus baignant dans des produits chimiques qui suspendaient la vie. Mais la glande était vivante, cultivée quelque part dans une usine, supposait Billy, en modifiant à un point extrême une mutation de thyroïde ou de thalamus. Quand elle vivait, elle se nourrissait du sang de Billy, prélevé dans une artère par l’intermédiaire du stylet, puis traité et réinjecté par la lancette. La glande sécrétait les substances chimiques qui, comme ce soir-là, transformaient Billy en excellent chasseur.

Que cette glande soit vivante pourrait toutefois signifier qu’elle était vulnérable au vieillissement, à la maladie, aux tumeurs et aux toxines… Billy n’en savait absolument rien. Malgré tous les diagnostics intégrés à l’armure, de tels problèmes relevaient nécessairement des docteurs militaires.

Il n’y en avait aucun dans les environs.

Il se demanda si le caillot avait endommagé sa glande. Si un autre risquait de se former. Peut-être que oui… peut-être cet incident avait-il été un rappel de sa propre mortalité.

Mais non, se dit Billy, c’est faux, je suis la Mort. Voilà ce que je suis ce soir. Et la Mort ne peut mourir.

Il rit tout haut, débordant de joie. C’était bon de repartir en chasse.

Il gagna l’endroit où s’était rendue sa proie et interrompue la chasse. En ajustant la bande passante de ses optiques, il vit, très vague, une poussière de lumière bleue sur le seuil. Il y en avait aussi sur l’escalier.

Ce soir, se dit Billy, tout se rencontre.

Ce soir, enfin, il tuerait quelqu’un.

13

Catherine sortit à reculons du bûcher, se retourna et prit ses jambes à son cou, ce qui la fit trébucher sur les stolons et s’égratigner sur les épines. Elle ne s’en rendit pas compte. Elle avait trop peur.

La chose dans le bûcher était…

Innommable.

Inhumaine.

Un simulacre frémissant d’être humain.

Elle courut jusqu’à perdre haleine puis s’appuya à un tronc d’arbre en toussant et en suffoquant. Ses poumons l’élançaient et les orties avaient mis ses bras nus en sang. La forêt l’entourait, muette, vaste, ridiculement ensoleillée. Les cimes des arbres remuaient dans la brise.

Elle s’assit dans les aiguilles de pin, les mains sur les épaules.

Reprends-toi, s’admonesta-t-elle. Cette chose bizarre ne peut pas te faire de mal. Elle est incapable de bouger.

Elle avait vu cette chose couverte de sang et impuissante. Ce n’est peut-être pas un monstre, pensa-t-elle, mais un être humain qui souffre terriblement, un être humain qu’on a estropié et dépouillé de sa peau…

Mais un humain estropié n’aurait pas dit « Aidez-moi » de cette voix calme et sérieuse.

La chose était blessée. Eh bien, oui, évidemment… elle aurait dû être morte ! Catherine avait vu l’intérieur de son corps sous sa peau et son cerveau sous son crâne. Qu’est-ce qui aurait pu faire cela à un être humain, et quel être humain aurait pu y survivre ?

Rentre à la maison, s’ordonna Catherine. À la maison de Mémé Peggy. Quoi qu’elle décide de faire – appeler la police ou bien une ambulance –, elle pourrait le faire de là-bas.

À la maison, elle pourrait penser.

À la maison, elle pourrait verrouiller les portes.

Elle les verrouilla et chercha de quoi se calmer sur les étagères de la cuisine. Elle dénicha une carafe en verre taillé remplie aux deux tiers d’eau-de-vie de pêche, « pour les nuits d’insomnie », disait Mémé Peggy. Catherine en avala l’équivalent d’un bon verre directement au goulot. Elle sentit le liquide lui réchauffer les entrailles comme une vaillante petite chaudière.

Elle alla dans la salle de bains du rez-de-chaussée essuyer le sang sur ses bras et vaporiser de l’antiseptique sur la dentelle de ses coupures. Sa chemise était déchirée : elle en changea. Elle se lava la figure et les mains.

Elle fit ensuite le tour de l’étage pour revérifier les portes, s’arrêta au passage devant le téléphone. Je devrais sans doute appeler quelqu’un, se dit-elle.

Les secours d’urgence ?

La police de Belltower ?

Mais pour leur dire quoi ?

Elle y réfléchit plusieurs minutes, paralysée par l’indécision, jusqu’à ce qu’une nouvelle idée se fraye un chemin en elle. Une impulsion, mais raisonnable. Elle ressortit la carte de visite de Doug Archer d’un tiroir du bureau et composa le numéro inscrit sur celle-ci.