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Sa permanence téléphonique indiqua qu’il rappellerait environ une heure plus tard. Déconcertée par ce délai inattendu, Catherine s’installa à la cuisine, devant la carafe d’eau-de-vie, pour essayer de trouver une explication sensée à ce qu’elle avait vu dans le bûcher.

Peut-être avait-elle fait une erreur d’interprétation. Cela arrivait, non ? Les gens voyaient des choses étranges, surtout en situation de crise. Peut-être quelqu’un avait-il été gravement blessé. Peut-être n’aurait-elle pas dû s’enfuir.

Mais Catherine, grâce à son œil d’artiste, se rappelait la scène aussi nettement que si elle l’avait croquée sur une toile : des moisissures sombres et floues sur de vieux journaux, des rayons de soleil qui traversaient les murs verts de mousse, et au milieu, tout de roses, de bleus et d’étranges jaunes ou cramoisis, quelque chose d’à moitié fini qui prononçait les mots Aidez-moi tandis que son larynx montait et descendait dans sa gorge transparente.

Doux Jésus en side-car, se dit Catherine. Oh, ça dépasse vraiment les bornes. C’est dément.

Elle avait vidé la moitié de la carafe quand Doug Archer frappa à la porte. Catherine lui ouvrit, toujours profondément effrayée, même si la tête lui tournait un peu. « J’étais dans le coin, alors je me suis dit : autant passer plutôt que rappeler… Hé, ça ne va pas ? »

L’instant d’après, sans le vouloir, Catherine s’appuyait contre lui. Il la redressa et la conduisit au canapé.

« J’ai trouvé quelque chose, parvint-elle à dire. De terrible. D’étrange.

— Vous avez trouvé quelque chose, répéta Archer.

— Dans les bois… Au sud, plus bas.

— Racontez-moi ça », dit Archer.

Catherine lui raconta en bredouillant, soudain embarrassée par son semblant d’hystérie. Comment diable pourrait-il comprendre ? Assis l’air attentif dans le fauteuil de Mémé Peggy, Archer n’était malgré tout qu’un étranger, en fin de compte. Peut-être avait-elle été idiote de l’appeler. Quand il lui avait demandé de le contacter si elle remarquait quoi que ce soit d’étrange, voulait-il parler de cela ? Il s’agissait peut-être d’une conspiration. Belltower, dans l’État de Washington, occupé par des extraterrestres hostiles. Peut-être, sous son Levi’s impeccable et sa veste bleue de l’agence immobilière, Archer était-il aussi transparent et bizarre que la chose dans le bûcher.

Lorsqu’elle arriva au bout de l’histoire, Catherine se sentit néanmoins soulagée de l’avoir racontée.

Archer affirma la croire, mais peut-être cherchait-il uniquement à se montrer poli. « Je veux que vous m’y emmeniez », dit-il.

Cette perspective raviva la peur de la jeune femme. « Maintenant ?

— Bientôt. Aujourd’hui. Et avant la nuit. » Il hésita. « Vous avez pu vous tromper sur ce que vous avez vu. Peut-être quelqu’un a-t-il vraiment besoin d’aide.

— J’y ai pensé. C’est possible. Mais je sais ce que j’ai vu, monsieur Archer.

— Doug, rectifia-t-il distraitement. Je persiste à penser qu’on doit y retourner. S’il y a la moindre possibilité que quelqu’un soit blessé là-bas. À mon avis, on n’a pas le choix. »

Catherine y réfléchit. « J’imagine que non », convint-elle à contrecœur.

Mais l’après-midi touchait désormais à sa fin, ce qui rendait la forêt peut-être encore plus sinistre. Revigorée par l’eau-de-vie et de nombreuses paroles apaisantes, Catherine conduisit Archer au pied de la colline, lui fit traverser le cours d’eau, les fourrés de ronces et les bosquets de grands douglas, jusqu’au bord du pré où se dressait le bûcher.

Celui-ci n’avait pas changé, à part dans l’imagination de la jeune femme. Il était moussu, antédiluvien, petit, et tout à fait ordinaire. En le regardant, elle imagina des monstres.

Ils restèrent un moment figés dans un silence crispé.

« Quand on s’est rencontrés, rappela Catherine, vous m’avez demandé de faire attention à ce qui pourrait se produire d’étrange. » Elle le regarda. « Vous vous attendiez à ça ? Aviez-vous la moindre idée de ce qui se passait ici ?

— Je ne m’attendais à rien de la sorte, non. »

Il lui parla d’une maison qu’il avait vendue à un certain Tom Winter, lui raconta le passé étrange de cette maison, sa propreté perpétuelle, la disparition de Tom Winter.

« C’est près d’ici ? s’enquit-elle.

— À quelques centaines de mètres en direction de la route.

— Il y a un lien ? »

Archer haussa les épaules. « Il se fait tard, Catherine. On ferait mieux de s’occuper de ça tant qu’on peut. »

Ils s’approchèrent de la porte en bois brut du bûcher.

Archer voulut actionner le loquet, mais Catherine l’en empêcha. « Non. Laissez-moi faire. » C’est toi qui l’as trouvé, Catherine, aurait dit Mémé Peggy. Il t’incombe de t’occuper de lui.

Déjà la chose à l’intérieur était devenue « lui ». Catherine avait chassé l’image de son esprit pour se concentrer sur la voix.

Aidez-moi.

Catherine inspira à fond et ouvrit la porte.

Le soleil s’étant peu à peu approché de la cime des arbres, il y avait moins de lumière qu’au matin à l’intérieur du bûcher, bourdonnante pénombre verte où flottait une odeur de terreau. Catherine plissa le nez et attendit que ses yeux s’habituent. Doug Archer regardait par-dessus son épaule. Au moins, sa présence la rassurait un peu.

Pendant un instant, elle n’entendit que le battement rapide de son propre cœur, ne vit qu’ombre et désordre.

Puis Archer força la porte à pivoter complètement sur ses gonds, ce qui laissa pénétrer davantage de lumière oblique.

Le monstre gisait sur le sol de terre battue à l’endroit exact où elle l’avait laissé dans la matinée.

Catherine cilla. Le monstre aussi. Elle entendit Archer dans son dos inspirer d’un coup sous l’effet de la surprise. « Sainte Mère de Dieu », lâcha-t-il.

Le monstre posa un instant ses yeux pâles et humides sur Archer, puis regarda de nouveau Catherine.

« Vous êtes revenue », constata la chose. (L’homme)

C’était ce que Catherine, confusément, trouvait de plus horrible, de véritablement insupportable, cette voix sortant de cette gorge-là. Il parlait comme quelqu’un qu’elle aurait pu croiser à un arrêt de bus. Comme un épicier affable.

Elle se força à regarder, au-dessus de lui, le tas de journaux moisis. « Vous disiez avoir besoin d’aide.

— Oui.

— J’en ai amené. »

Ce fut tout ce qu’elle trouva à dire.

Archer passa devant elle pour s’agenouiller et se pencher sur l’homme. Si c’en était un. Faites attention ! pensa-t-elle.

Catherine entendit sa voix trembler quand il demanda : « Qu’est-ce qui vous est arrivé ? »

Le regard de Catherine revint se poser sur la tête de l’homme, sur la coiffe de tissu translucide à l’endroit où aurait dû se trouver le crâne, sur le cerveau en dessous… du moins supposait-elle que cette vague masse blanchâtre était son cerveau. La créature prit là parole. « Ce serait trop long à expliquer.

— Que voulez-vous de nous ? demanda Archer.

— J’aimerais que vous me rameniez dans la maison, si possible. »