Выбрать главу

Puis on frappa à la porte.

Billy se retourna, mais déjà Lawrence Millstein se levait en criant.

Il cria : « Non ! Bordel, Joyce, va-t’en ! »

Billy le tua. La porte s’ouvrit sur la silhouette d’une femme que découpait la lumière du couloir, une femme énorme au teint bistre qui portait une robe à fleurs et d’épaisses lunettes. « Lawrence ? » lança-t-elle en plissant les yeux pour mieux voir dans la pénombre de l’appartement. « C’est Nettie… la voisine ! »

Billy la tua avec son rayon de poignet, mais sa main trembla et le rayon ne trancha pas proprement, plutôt comme un couteau ébréché, ce qui répandit du sang partout. Nettie lâcha une espèce de « Ouf ! » avant de tomber en arrière contre le papier peint délavé.

Puis le couloir s’emplit de voix et de chagrin, et même si Billy avait apaisé son armure avec ces meurtres, il savait que sa véritable affaire devrait attendre.

16

Une des femmes présentes sur le palier tira Joyce à l’écart de la porte et des cadavres. À son expression, Tom comprit que Lawrence se trouvait à l’intérieur et qu’il était mort.

Sa première impulsion fut de réconforter la jeune femme… mais la cohue des locataires l’empêcha d’avancer et les sirènes approchaient… Il se fraya un chemin jusqu’au pied de l’escalier puis sortit dans la rue. Il ne pouvait pas se permettre un interrogatoire, même de routine, pas avec un portefeuille rempli de pièces d’identité du futur et personne d’autre que Joyce pour répondre de lui.

Une foule se forma autour de lui à l’arrivée des voitures de police. Tom recula discrètement au milieu des badauds. Il regarda les flics ériger une barrière, il suivit des yeux deux médecins qui se précipitèrent hors d’une ambulance puis s’engouffrèrent dans l’immeuble, les vit un peu plus tard ressortir tranquillement pour aller fumer et rire sous un lampadaire. Les gyrophares rouges donnaient à la rue un aspect lugubre et inquiétant. Tom patienta longtemps sur le trottoir, même quand la foule commença à se disperser.

Tout le monde se tut quand on sortit les cadavres : deux silhouettes informes sous des couvertures.

Joyce réapparut peu après, accompagnée par un homme corpulent en costume marron en direction d’une voiture banalisée. Un inspecteur de police, devina Tom. Il avait dû lui demander si elle connaissait une des victimes, oui, avait-elle dû répondre, celle-là… Elle coopérerait parce qu’elle voulait aider à retrouver l’assassin.

Mais Tom comprit, à la manière dont elle le regarda, puis détourna les yeux, qu’elle ne comprenait pas bien son rôle à lui dans cette histoire.

Lui-même n’avait pas les idées plus claires à ce sujet. Non qu’il eût commis ce crime, mais la mort de Millstein pouvait avoir un lien quelconque avec son propre voyage dans le temps. Il y a trop de possibilités, songea Tom. Dans un monde où existaient des passages entre deux décennies, il pourrait exister à peu près n’importe quoi d’autre… Un monstre malfaisant d’un genre ou d’un autre aurait pu remonter sa piste jusqu’à l’appartement de Millstein.

Les voitures de patrouille repartirent, la foule se dispersa. Une multitude de nuages avaient traversé le ciel depuis le nord-ouest et la nuit fut soudain plus fraîche. Du vent déboula par le croisement avec l’avenue B.

Il va pleuvoir avant l’aube, se dit Tom.

Il songea à son retour à pied à l’appartement, par ces rues dangereuses la nuit.

Il sentit une main se poser sur son épaule… il se retourna d’un coup, surpris, en s’attendant à un flic, voire pire, et fut à nouveau stupéfait.

« Salut, Tom, dit Doug Archer. Il faut qu’on se tire d’ici. »

Tom recula d’un pas et inspira à fond. Oui, tout était possible. Oui, c’était bien Doug Archer, de Belltower, dans l’État de Washington à la fin des années 1980, aussi déplacé dans cette rue sale qu’une amphore grecque ou une urne égyptienne.

Doug Archer, qui semblait avoir une idée de ce qui se passait. Alors ça, c’est balèze, songea Tom.

Il réussit à demander : « Comment tu m’as retrouvé ?

— C’est une longue histoire. » Archer inclina la tête comme pour écouter quelque chose. « Tom, il faut qu’on parte tout de suite. On pourra discuter dans la voiture. Tu viens ? »

Tom jeta un dernier coup d’œil à l’immeuble dans lequel Lawrence Millstein avait trouvé la mort. Une ambulance s’éloigna vers les quartiers résidentiels. Joyce était partie.

Il hocha la tête.

Archer sortit un énorme porte-clefs Avis de sa poche.

Tom sentit l’urgence sans la comprendre quand Archer le poussa à bord d’une Ford de location en forme de caisse à savon. La chaleur avait cessé et une violente averse tomba soudain, agitée de bourrasques. L’aube ne viendrait pas avant encore plusieurs heures.

Ils roulèrent jusqu’à Greenwich Village, où ils se réfugièrent à l’intérieur d’un delicatessen ouvert la nuit.

« Un homme s’est fait tuer », dit Tom, qui essayait toujours d’assimiler la mort de Millstein. « Quelqu’un que je connaissais. Quelqu’un avec qui je me suis saoulé.

— Ç’aurait pu être toi, répondit Archer. Tu as eu de la chance. » Il ajouta : « C’est pour ça qu’il faut qu’on rentre. »

Tom secoua la tête. Il se sentait trop fatigué pour formuler une réponse sensée. Il regarda Doug Archer en face de lui, avec sa coiffure en brosse, sa chemise amidonnée et ses chaussures en cuir noir : sans doute avait-il laissé ses tennis en 1989. « Comment tu sais tout ça ? » Millstein mort et Doug Archer dans la même rue : cela n’avait rien d’une coïncidence. « Je veux dire, qu’est-ce que tu fous ici ?

— Je te dois une explication, reconnut Archer. Et j’espère vraiment qu’on a le temps pour ça. »

Une heure s’écoula sur l’horloge murale pendant qu’Archer lui racontait l’histoire de Ben Collier, le concierge qui voyageait dans le temps.

Une grande partie de ce que lui dit Archer était à peine vraisemblable, pourtant Tom y crut. Il était depuis longtemps devenu moins insensible au miraculeux.

Quand Archer eut terminé, Tom se tint la tête entre les mains pour s’efforcer de mettre un semblant d’ordre dans toutes ces informations. « Tu es venu me ramener ?

— Je ne peux te “ramener” nulle part. Mais, ouais, je pense que ce serait plus sage.

— À cause de ce maraudeur, comme tu l’appelles.

— Il est au courant de ton existence et il a manifestement l’intention de te tuer. »

Cette menace purement hypothétique irrita Tom. « Le tunnel était intact quand j’ai emménagé dans la maison sur Post Road. Il aurait pu le prendre pour venir me tuer dans mon sommeil, s’il existait… s’il était toujours vivant. Je courais un risque à ce moment-là, j’en cours un maintenant… quelle différence ? Du moment qu’il ne peut pas me trouver…

— Mais il peut te trouver ! Nom d’un chien, Tom, il a vraiment failli te trouver… ce soir.

— Tu crois que c’est lui qui a tué Lawrence ? » Tom était assez abasourdi pour tressaillir à cette idée.

« Bordel, ce serait quasi suicidaire d’en douter.

— C’est une supposition…

— Non, Tom, un fait établi. Il était là. Il était tout près quand je t’ai retrouvé. Encore cinq ou dix minutes, le temps que la rue se vide et que tu passes dans une ruelle, et il aurait eu les mains libres pour te descendre.