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La Mort était toute dorée, sous ces vêtements.

La Mort brillait de mille feux à la lueur des lampadaires.

« Je te connais ! » s’écria Amos Shank en se rendant à peine compte qu’il s’exprimait à voix haute. « Je te connais !…»

Il avait déjà vu cette image. Dans quel vieux livre ?

Guerres antiques. La Cour du Roi-Soleil. Campagnes de Napoléon. Un soldat de l’Antiquité en armure brillante, sur une mauvaise lithographie.

« Agamemnon ! » laissa échapper Amos Shank dans un souffle.

Agamemnon, la Mort, le soldat, masqué et en armure, entra dans l’immeuble sans se départir de son sourire.

Honteux, Amos Shank vérifia de nouveau qu’il avait bien verrouillé sa porte, éteignit les lumières pour la première fois depuis un mois et alla se cacher sous ses couvertures.

19

Billy pénétra dans le tunnel avec son armure à pleine capacité et en abandonnant la plus grande partie de ses craintes.

Il avait trop longtemps vécu dans la peur. Il avait fui des choses auxquelles il ne pouvait échapper. La visite venue du futur était, d’après lui, son châtiment pour une vie d’exil.

Après avoir tué Lawrence Millstein, après l’échec de sa tentative sur sa proie légitime, Billy s’était retiré deux jours dans son appartement, avait éteint son armure, l’avait cachée, s’était replié dans l’ombre. Deux jours avaient suffi. Il ne se sentait pas en sécurité. Il ne restait plus la moindre sécurité, le moindre anonymat… et le Besoin était profond, intense.

Aussi avait-il ressorti son armure de sa boîte et l’avait-il enfilée, avec tous ses armements et accessoires, pour venir à cet endroit, à la source de ses ennuis, sur cette frontière non gardée avec l’avenir.

À l’endroit où s’était repliée sa proie… il le sut aux empreintes de pieds dans les gravats.

L’endroit où commence le règlement de comptes, se dit Billy. Le début ou la fin de quelque chose.

Il franchit les débris de maçonnerie pour s’enfoncer dans la lumière brillante et uniforme de la machine temporelle.

La peur l’avait gardé des années à l’écart du tunnel : la peur de ce qu’il y avait vu.

Le souvenir de cette énorme et lumineuse apparition restait vif dans son esprit. Elle avait bougé lentement, mais Billy l’avait sentie capable de se déplacer à toute vitesse ; elle avait semblé immatérielle, mais Billy avait perçu sa puissance. Il lui avait échappé d’un cheveu, en ayant de surcroît l’impression qu’elle l’avait laissé lui échapper, qu’il avait été évalué et ignoré par quelque chose d’aussi puissant et d’aussi irrésistible que le temps lui-même.

Malgré la témérité conférée par son armure et le courage injecté par la glande artificielle des élytres, cette peur restait fraîche et intacte.

Billy persévéra néanmoins. Le couloir était vide. Au plus profond de celui-ci, avec les deux sorties hors de vue, il se sentit en suspens dans une géométrie pure, une courbure sans dimension significative.

Derrière ces parois, se dit Billy, des années roulent cul par-dessus tête comme des feuilles mortes dans une tempête. L’âge dévore la jeunesse, les dos se courbent, les yeux perdent de leur acuité, les cercueils s’enfoncent d’un bond sous terre. Des guerres passent d’un coup, avec la brièveté et la violence d’un orage. À l’endroit où il se tenait, Billy se trouvait à l’abri de tout cela.

N’était-ce pas ce qu’il avait toujours vraiment voulu ?

Un abri. Un retour chez lui.

Mais c’étaient des pensées vagabondes, traîtresses. Billy les refoula et accéléra le pas.

Les cybernétiques étaient entrées dans le tunnel sous forme d’une fine poussière de polymères, de métal et de longues molécules fragiles. Elles commencèrent presque aussitôt à s’infiltrer dans Billy.

Celui-ci ne se rendit compte de rien. Il respirait, tout simplement. Les nanomécanismes, de même taille qu’un virus, traversèrent les tissus humides de ses poumons pour pénétrer dans son système sanguin. Lorsque leur nombre atteignit un seuil critique, ils se mirent à l’œuvre.

Pour eux, Billy était un territoire immense et complexe, un continent. Ils furent d’abord isolés, quelques pionniers qui colonisaient ce dangereux arrière-pays au bord des fleuves de sang. Ils lurent le langage chimique des hormones de Billy, auquel ils réagirent par leurs propres et légers messages chimiques. Ils franchirent la difficile barrière qui séparait le sang du cerveau. Ils se regroupèrent, de plus en plus nombreux, sur l’interface entre la chair et l’armure.

Billy inhalait mille machines à chaque inspiration.

Il distinguait maintenant la sortie devant lui, une porte ouverte sur l’année 1989.

Billy pressa le pas. Il avait déjà commencé à sentir que quelque chose n’allait pas.

20

Tom fut debout dès qu’il se rendit compte que l’alarme sonnait. Joyce atteignit la porte avant lui.

Les insectes mécaniques avaient assemblé ces alarmes en se servant de trois détecteurs de fumée achetés en quincaillerie. Elles faisaient un bruit aigu et pénétrant. Tom et Joyce avaient dormi tout habillés en prévision de cet événement, pourtant, comme lors d’un incendie ou d’une attaque aérienne, tout sembla imprévu et totalement irréel. Tom s’arrêta le temps de chercher sa montre, en s’efforçant de se rappeler ce que lui avait dit Ben : si l’alarme se déclenche, prenez votre arme et gagnez les limites de la propriété, mais il suivit surtout Joyce qui, d’un geste impatient, l’appelait de la porte.

Ils se dépêchèrent de traverser le salon et la cuisine obscurs pour sortir dans la lumière éblouissante que déversaient les quinze petits projecteurs à vapeur de sodium, achetés eux aussi à Home Hardware et installés dans le jardin.

Tom et Joyce passèrent derrière les projecteurs pour se rendre à l’orée des bois, où ils s’accroupirent dans les hautes broussailles et les fougères humides… près de Doug et Catherine, sortis plus rapidement qu’eux de la maison.

Les alarmes se turent soudain. Les appels des grillons reprirent dans les profondeurs de la forêt. Tom sentit son pouls battre à toute allure.

La maison baignait dans une lumière crue au milieu des silhouettes des pins et d’un éparpillement d’étoiles. Une brise nocturne agitait la cime des arbres. Tom fléchit les orteils sur les aiguilles de pin humides et à moitié décomposées : il était pieds nus.

Il regarda autour de lui. « Où est Ben ?

— À l’intérieur, répondit Archer. Dites, on devrait se déployer un peu… couvrir davantage de terrain. »

Archer en train de jouer au soldat de l’espace. Sauf que ce n’était pas un jeu. « C’est maintenant, hein ? »

Archer lui décocha un sourire nerveux. « Le grand moment. »

Tom se tourna à temps vers la maison pour voir les fenêtres exploser.

Du verre plut sur la pelouse, arc de cercle scintillant dans la lueur des projecteurs.

Il recula d’un pas à l’abri des arbres. Il sentit Joyce l’imiter.

Mais il n’y avait pas vraiment de repli possible.

Voici l’axe des événements, se dit Tom, le présent absolu, et il n’y a rien à faire sinon le prendre en compte.

21

Ben encaissa avec calme l’onde de choc de la grenade. Il s’agissait d’une grenade à impulsion électromagnétique, moins utile au maraudeur que la première fois, les cybernétiques en ayant été protégées. Le souffle remonta l’escalier du sous-sol et fit voler les fenêtres en éclats derrière lui. Ben ressentit l’onde de choc comme une bourrasque d’air chaud et une pression dans les oreilles. Appuyé sur sa bonne jambe, le dos contre la porte, il surveillait l’escalier.