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Les cybernétiques grouillèrent autour du corps du voyageur temporel tombé à terre… afin de le soigner ou de le dévorer. Billy n’en savait rien et il s’en fichait.

Mourant, il se précipita vers la porte.

23

Tom avait contourné la maison et se trouvait devant la façade quand une nouvelle onde de choc fit exploser la dernière fenêtre intacte – mur nord, chambre principale.

Les projecteurs faiblirent, se rallumèrent et faiblirent à nouveau. Tout comme les réverbères sur Post Road.

Il traversa la pelouse de devant puis la route jusqu’au caniveau de l’autre côté. Ben était censé couvrir la porte d’entrée, mais il était venu à l’esprit de Tom que Ben ne représentait pas un obstacle infranchissable et que la porte d’entrée se trouvait à proximité des escaliers du sous-sol. Il avait laissé Doug à l’arrière avec Joyce et Catherine en priant pour que tous trois y soient en sécurité.

Il s’était presque remis d’avoir été arraché à un profond sommeil. Désormais lucide et plus éveillé que jamais, il avait peur et tout à fait conscience de l’étrangeté de sa situation : pieds nus et avec un pistolet laser SOLDAT DE L’ESPACE de supermarché, dans une version modifiée. Les fenêtres de sa maison avaient toutes volé en éclats, si bien qu’il fut tenté de revenir sur la logique de cette aventure. C’est à cause de Joyce qu’il continuait, la vulnérabilité de la jeune femme outrepassant la sienne, à cause aussi de ce qu’il avait pu entrapercevoir du maraudeur dans une rue vide de Manhattan. Ces yeux-là avaient renfermé trop de morts, dont celle de Lawrence Millstein. Des yeux ni vengeurs ni même passionnés, se dit Tom : ils l’avaient regardé passivement, comme ceux d’un passager parti en bus pour un long trajet à travers une région qu’il connaît déjà. Tom n’avait pas particulièrement apprécié Lawrence Millstein, pourtant il supportait mal que celui-ci soit mort en voyant cette gueule parcheminée, ces yeux si blasés.

Il est déjà en train de mourir, se dit Tom. De mourir ou d’être démonté de l’intérieur. Il faut juste le ralentir.

Voilà à quoi il pensait quand la porte d’entrée s’ouvrit, inondant de lumière l’allée de gravier jusque sur la route.

De l’autre côté, Tom se recroquevilla dans le fossé.

Il resta le visage enfoui dans l’herbe humide et les toiles d’araignées recouvertes de rosée le temps de trois respirations, l’esprit occulté par le besoin panique de ne pas être vu, de se faire petit entre les fleurs de carotte et les verges d’or, petit sous la lumière des étoiles, pour laisser passer cette apparition.

Il prit ensuite une quatrième respiration, plus profonde, et releva la tête.

Le maraudeur sortit de la maison avec la détermination embarrassée d’un ivrogne. Un pas, deux, trois. Puis il chancela et tomba.

Tom s’accroupit, le pistolet levé. Bien que de toute évidence handicapé, le maraudeur restait sans doute dangereux. Mais Ben ? Où était-il ? Un filet de fumée bleue sortait par la porte ouverte, derrière la lumière encombrée de papillons de nuit… Il y avait eu du grabuge, là-dedans.

Tom choisit comme couverture un douglas poussant dans la nature au sud de sa propriété et s’élança pour retraverser Post Road en restant penché en avant, une position qu’il avait vue à la télé et qui était censée vous faire former une cible plus réduite, même si cela ne semblait guère probable dans de telles circonstances. Il venait de franchir le gravillon qui bordait la chaussée et de sentir l’asphalte sous ses pieds quand le maraudeur se remit en mouvement. Tom eut une réaction stupide : il se tourna pour regarder. Il ne cessa pas de courir, mais il ralentit. Ne put s’en empêcher. C’était un sacré spectacle, cet homme doré qui se relevait sur un genou, comme une icône byzantine en train de prendre vie avec des grincements, comme une version haut de gamme de l’Homme de fer-blanc dans Le Magicien d’Oz, qui était à présent debout, redressait le dos, tournait la tête en un soudain mouvement bien huilé. Tom ne commença à ressentir la terreur adéquate que lorsque ces yeux le trouvèrent.

Même à la lueur des étoiles, même dans le vague éclat d’un réverbère plus bas sur Post Road, mon Dieu, pensa-t-il, quels yeux ! Ce n’en sont peut-être même pas, se dit-il, juste un reflet ou une réfraction dans ses appareils oculaires, l’illusion d’yeux ; toujours est-il qu’il se sentit épinglé par eux, piégé là sur le macadam.

Le maraudeur leva la main en un geste désinvolte…

Tom se souvint de sa propre arme. Il la leva, sentit qu’il la braquait, eut l’impression de hisser une ancre du fond de la mer, de la remonter péniblement maillon après maillon dans le poids de l’eau. Pourquoi tout était-il si lent ? Il s’aperçut qu’il n’avait jamais tiré avec cette chose, pas même une fois, pour essayer, qu’il avait basculé le petit interrupteur marqué Sécurité sans être absolument sûr que celui-ci faisait partie de l’arme et non du jouet. Il avait négligé de poser certaines questions, sur la portée, par exemple : l’arme était-elle efficace à cette distance ?

Mais il n’avait que le temps de viser approximativement et de presser la détente. Épreuve de force sur Post Road. Une partie de lui-même persistait à trouver tout cela trop ridicule pour être pris au sérieux. Seuls les rêves se déroulaient ainsi.

Il fut touché avant de pouvoir terminer. Son propre tir rata sa cible.

Le coup du maraudeur n’eut pas beaucoup plus de succès : un feston de flammes entre la hanche et l’aisselle de Tom, en passant par son biceps gauche. Il n’y eut pas d’impact, juste une soudaine insensibilité et l’inquiétante prise de conscience que ses vêtements brûlaient. Il tomba sans le vouloir. Se roula comme un chien dans la poussière au bord de Post Road pour éteindre les flammes, malgré les premiers élancements d’une profonde et paralysante douleur éveillée par ce geste.

Quel genre de brûlures ? Premier degré ? Troisième ? Il s’examina, découvrit sous les cendres de sa chemise une péninsule de chair noircie et brûlée. Il ferma les yeux en décidant de ne plus regarder la blessure : cette chair couverte de cloques l’effrayait trop, et la regarder ne servait à rien.

Il se sentait un peu ivre maintenant, la tête lui tournait légèrement.

Il se redressa sur son bras valide pour chercher le maraudeur du regard. Celui-ci était tombé aussi. Tom l’avait raté, mais le combat l’avait ralenti. Je suis là pour ça, se souvint Tom. Pour le ralentir, histoire de donner davantage de temps aux insectes mécaniques en train de travailler dans son corps. Peut-être est-il déjà mort.

Un vague espoir, aussitôt dissipé.

Le maraudeur se releva.

Tom trouva quelque chose d’héroïque à cet acte. C’était un mouvement hésitant, torturé, qui empestait les défaillances, les embrayages en train de patiner, les moteurs en surchauffe, le métal gauchi. Le maraudeur se releva et tourna la tête comme si ses équipements oculaires avaient perdu de leur transparence, un geste plaintif d’oiseau. Puis il ôta son casque et regarda Tom.

Celui-ci ne discerna pas vraiment ses traits, dans cette lumière insuffisante, mais cela lui parut encore pire qu’avec le masque, cette révélation d’un visage humain en dessous. Un visage qui exprimait quoi ? Quelque chose comme le désespoir, se dit Tom. Il ressentit le besoin vertigineux de déclarer un temps mort. Je suis blessé. Vous aussi. Restons-en là.