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Mais le maraudeur visa, en un mouvement un peu irrégulier, avec sa mortelle main droite.

Merde, se dit Tom, où est passé mon flingue ?

Il l’avait laissé sur la route.

Masse inadaptée de polystyrène et d’impossibilité. Elle ne lui avait pas servi à grand-chose, de toute manière. Elle se trouvait à plusieurs mètres. Qui auraient tout aussi bien pu être des kilomètres.

Le maraudeur visa, mais sans tirer, et quitta les gravillons de l’allée de Tom pour approcher d’un pas boiteux, quoique régulier. Si je bouge, se dit Tom, il me tue. Si j’essaye d’attraper le pistolet ou de rouler dans le fossé, il me tue. Et si je reste là… il me tue.

Il allait décider d’essayer d’attraper malgré tout le pistolet, en comptant sur la surprise et le travail des cybernétiques pour lui donner une chance contre cette mortelle main droite… quand le miracle se produisit.

Le miracle fut annoncé par une lumière.

Une lumière qui projetait sur les pins de grandes ombres bizarres qui oscillaient à la manière d’une énorme créature vivante. Tom entendit ensuite le bruit d’un moteur, d’une automobile qui descendait Post Road depuis la nationale et sondait de ses phares le virage peu prononcé au sud de la maison des Simmons.

La voiture arrivait vite.

Tom se tourna dans sa direction en même temps que le maraudeur. Les phares les aveuglèrent. Tom saisit l’occasion pour se jeter sur la gauche, dans le fossé au bord de la route. Il releva la tête et vit le maraudeur s’avancer soudain dans sa direction tandis que l’automobile semblait tout d’abord dévier sa trajectoire… puis les pneus crissèrent sur l’asphalte, l’automobile fit une nouvelle embardée, et le maraudeur se retrouva pris dans la lumière de ses phares tel un fragment de rêve, immobile jusqu’à ce que l’impact le projette dans les airs comme un étrange oiseau brisé.

En temps ordinaire, l’armure de Billy l’aurait protégé de l’impact… du moins en partie. Peut-être d’ailleurs l’avait-elle fait : la collision ne l’avait pas tué. Pas complètement.

Mais il était brisé. Brisé à l’intérieur. L’armure et le corps étaient brisés.

Du sang sortit de son armure par les articulations en miettes. La glande dans les élytres avait été broyée, le dernier de ses stimulants dissous. Billy n’était plus que Billy.

Il se releva malgré tout.

Sentit ses côtes se déplacer dans sa poitrine.

Il se tourna vers la maison. Il ignora Tom Winter, ignora la folle rotation du ciel nocturne, s’efforça d’ignorer la douleur. Il n’imaginait pas d’autre destination que le tunnel, grâce auquel, dans sa confusion, il croyait pouvoir s’échapper ou rentrer chez lui.

Il se dépêcha de franchir la porte ouverte, cette barre de lumière. Cette porte qui contenait une porte qui était une porte dans le temps qui était tout ce que lui-même avait jamais voulu, un rembobinage de sa vie, un moyen de rentrer chez lui. Il l’imagina comme une route, se la représenta en esprit avec une clarté soudaine. Une route poussiéreuse et sinueuse allant sous un ciel bleu dégagé se perdre au loin dans les montagnes desséchées.

Un sanctuaire. Une porte pour défaire ce qu’il était devenu.

Ôtant les fragments cabossés de son armure, il pénétra dans la maison.

Sans réfléchir, sans le moindre calcul, Tom ramassa son arme et suivit le maraudeur à l’intérieur.

Forcé de justifier son acte, il aurait peut-être avancé que le maraudeur risquait de s’enfuir, de repartir par le tunnel à Manhattan, où il se serait soigné et aurait réparé son armure. Ce qu’il venait de subir ne marquait pas forcément la fin de l’histoire, perspective trop douloureuse pour qu’il puisse l’envisager. Aussi Tom se releva-t-il afin de suivre le maraudeur à l’intérieur sous le poids aveuglant de sa propre chair brûlée. Il atteignait la porte quand Doug Archer, Joyce et Catherine arrivèrent devant la maison et lui crièrent de s’arrêter, mais il les entendit à peine. Ils ne comprenaient pas. Ils avaient raté le plus important.

Il descendit les marches avec la tête qui tournait un peu. Il souffrait, sans pourtant que la douleur approche de lui : il s’inquiéta du choc. Il devait être sous le choc. Quoi que cela veuille dire ou puisse vouloir signifier plus tard. Cela n’avait pas d’importance pour le moment. Il s’obligea à marcher.

Quelques mètres plus loin dans le tunnel, il trouva le maraudeur.

Qui s’était effondré – sans doute pour la dernière fois, se dit Tom – contre le mur blanc et vierge. Il n’avait plus d’armes ni d’armure, il était nu et blessé. Tom sentit ses doigts s’ouvrir, entendit sa propre arme tomber par terre. Le maraudeur ne releva pas la tête.

Tom tendit la main pour s’appuyer à quelque chose, mais la paroi était trop lisse, si bien qu’il perdit l’équilibre et tomba lourdement sur les fesses.

Nous voilà tous deux à terre, se dit-il.

Il frôlait la perte de connaissance. La douleur était très pénible. Il évita de regarder à nouveau les dégâts subis par le côté gauche de son corps. Son vertige lui conférait une certaine objectivité. De la viande roussie, pensa-t-il. Il ne s’était encore jamais considéré comme de la « viande ». Des côtes grillées au charbon de bois. Cela lui donna envie de rire, mais il eut peur du bruit de son rire dans ce tunnel vide.

Ce transit dans le temps. Non un tunnel sous la terre, mais quelque chose de plus étrange. Un étrange endroit pour y rester allongé avec une blessure peut-être mortelle non loin de l’homme qui vous l’a infligée.

Il vit le maraudeur bouger. Consterné, Tom leva la tête.

Mais le maraudeur n’était pas hostile, juste effrayé, il essayait d’écarter son corps brisé de ceci :

Cette apparition soudaine.

Ce halo lumineux de la forme d’un être humain.

Qui s’approchait du maraudeur à une vitesse épouvantable.

Un fantôme temporel, pensa Tom, fatigué au-delà de la terreur. Doug l’avait appelé ainsi. Un fantôme de quoi ? De quelque chose d’originaire de cette fracture dans le monde. D’une sorte d’humanité déconnectée de la durée.

Quelque chose de trop grand pour tenir dans l’idée qu’il s’en faisait. Tom sentit la grande taille de l’apparition alors qu’elle flottait à quelques pas de lui. Elle était grande dans une dimension qu’il ne pouvait percevoir, elle était multiple là où elle semblait une.

Il en sentit la chaleur lui baigner le visage.

Il la sentit l’examiner… et cesser de s’intéresser à lui.

Il la vit flotter au-dessus du maraudeur, vit qu’elle contenait cet homme effrayé dans un voile de sa propre et insupportable lumière.

Puis elle disparut, et le maraudeur avec elle.

Tom entendit des voix crier son nom, dont celle de Joyce. Il se tourna avec une gratitude fiévreuse vers ces voix et aurait essayé de se relever si les ténèbres ne l’avaient emmené.

TROISIÈME PARTIE

Le temps

24

Lorsque Tom s’éveilla, il ne restait rien de sa blessure sinon de la peau neuve et rose ainsi qu’une sporadique douleur fantôme. Les cybernétiques l’avaient soigné, lui expliqua Ben. Il venait de dormir trois semaines et demie.

La maison aussi avait été guérie. Les dégâts causés par la fumée et les flammes avaient complètement disparu. Les vitres avaient été remplacées et remastiquées. La maison était impeccable… d’une propreté irréprochable.