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— Fais vite !

Je comprends pourquoi il ne veut pas téléphoner d’ici ; il craint d’apprendre une sale nouvelle… Oh ! misère ! Que m’arrive-t-il ? J’ai la désagréable impression que ma chance proverbiale m’a complètement abandonné.

L’arrivée d’Anne-Marie fait diversion.

Elle tient une seringue à la main.

— Qu’est-ce que c’est ? m’inquiété-je.

— Pénicilline !

Elle rabat le drap et frotte un tampon d’éther sur ma cuisse. Elle a un drôle de doigté pour planter une aiguille hypodermique dans les noix de ses contemporains.

Je ne sens qu’un léger choc.

Elle se penche sur moi et ses lèvres avides cherchent les miennes. Mais je n’ai pas la moindre envie de lui rouler des patins ce matin… Comme dirait Casanova, j’ai d’autres chats à fouetter…

Elle pige ma dérobade car elle murmure :

— Le docteur m’a dit que vous étiez en souci au sujet de votre mère. Il ne faut pas. Elle va se manifester avant longtemps…

Elle me prend le poignet et compte mes pulsations. Ça me donne l’idée de compter avec elle. Je totalise quatre-vingt-huit…

— Cent vingt ! annonce-t-elle.

J’ai dû me gourer dans mes calculs ou alors en oublier…

— Vous avez besoin d’un repos complet. Laissez-vous soigner !

C’est si grave que ça ?

Je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais vous êtes plutôt mal en point.

— J’avoue que…

Toutes mes pensées vont à Félicie… Quelque chose me dit qu’elle a disparu à cause de moi, à cause de la mission que je lui avais confiée ! Pas de doute maintenant, il y a un zig tapi dans l’ombre et qui se manifeste lorsqu’il voit agir dans ses plates-bandes. Un type impitoyable… Il couvre ses arrières avec un soin jaloux. Maintenant, il est temps de demander du renfort.

Je donne à Anne-Marie le téléphone du grand patron.

— Appelez-moi ce numéro tout de suite !

Elle secoue la tête.

— Non !

— Ça alors !

— Le docteur m’a donné des instructions formelles. Il vous faut le repos total.

— Je me reposerai après. Pour commencer, téléphonez ou bien…

Elle hoche la tête.

— Ou bien ?

— Ou bien je suis capable de me lever pour le faire !

— Jeune présomptueux…

Elle me caresse les lèvres du bout de ses doigts délicats qui sentent l’éther.

— Les ordres sont les ordres : repos intégral !

Elle me regarde et dévisse la grille du combiné. Elle recueille la plaque sensible, revisse le tout.

— Espèce de petite garce !

— Essayez donc de téléphoner maintenant !

Si j’avais pour trois ronds de force, je lui sauterais dessus et lui filerais une toise méritée ! Me prendre pour une crêpe à ce point, non, je vous jure ! Il me fait marrer, le corps médical, avec ses mesures de sécurité, sa pénicilline, son repos intégral, ses thermomètres fureteurs et ses infirmières « furetées »…

Elle part avec la plaque sensible. Il me semble que je suis abandonné de tout le monde… Le temps poursuit son cheminement impitoyable, écrasant tout…

Félicie ! Où es-tu, ma pauvre vieille ?

Je deviens dingue, ma parole…

D’autant plus que je sombre à nouveau dans du mou, dans du flou !

Un cauchemar, voilà ! Un abominable cauchemar. Plus rien n’existe…

Si… la nuit ! Je ressors de la nuit pour trouver la nuit. Au bout d’un certain temps, mes yeux s’accoutument à l’obscurité et le rectangle plus clair de la croisée finit par se découper sur un fond de néant.

Dans la chambre voisine, la jeune maman donne à téter à son pilon. Elle lui parle, doucement, amoureusement, d’une voix chantante qui m’émeut.

Je ne distingue pas ses paroles, mais je devine leur sens obscur…

J’attends, dans le noir, bercé par cette musique de femme heureuse. Dubois paraît enfin… Il tient un verre à la main.

— Alors ? je crie presque. Et ma mère ?

Il me passe la main sur le front…

— Rassure-toi. On l’a retrouvée… Elle s’est cassé une jambe. Décidément, vous tenez une série noire pas ordinaire.

J’attrape la main de Dubois.

— Tu ne me bourres pas le mou, au moins ?

— Parole que non ! Je suis venu à plusieurs reprises pour t’annoncer la nouvelle, mais tu dormais… Ta maladie suit son cours.

— Où est-elle ?

— Hôpital Beaujon… J’irai la voir demain matin. J’ai téléphoné à Martinet, le chef de clinique du service où elle se trouve. Elle a une fracture du péroné, rien d’alarmant…

— Comment est-ce arrivé ?

— Dans l’escalier du métro, elle a raté une marche, tout simplement.

Je suis ivre de joie… Ma brave daronne ! Me voilà enfin tranquillisé sur son compte.

J’avais décidément des mirages avec mon histoire du gars-araignée, tapi dans l’ombre… Cauchemar, toujours ! Sur toute la ligne. Maintenant ça va mieux.

— J’ai faim ! annoncé-je, j’ai rien briffé de la journée !

— Diète encore demain, tant que tu auras de la température…

— J’ai de la température ?

— Un peu, mon neveu ! Près de quarante… Avec la pénicilline, ça doit tomber. Tiens, avale…

— Quézaco ?

— Un calmant !

— Encore ! Mais je suis calme, doc. D’un calme olympien…

— Bougre d’entêté ! Vas-tu boire, oui ou non ?

Je saisis le verre… Dubois me regarde.

— Un peu de courage, eh, poule mouillée !

— Sois gentil, passe-moi la bouteille de whisky pour entifler tout de suite après, ta saloperie est tellement amère !

Il va à la table. Pendant ce temps, je soulève le bord du matelas et je verse le contenu de mon glass sur le sommier en faisant claquer ma langue.

Il revient, tenant le whisky.

— C’est abominable, ton truc !

— Tu me l’as déjà dit…

Il me tend un coup de raide. Je gobe le nectar avec allégresse. En voilà un bien mérité… S’il croit que je vais me droguer, Dubois, il peut aller se faire faire cuire des œufs par sa baleine !

Ces toubibs, c’est tout sirop et consort ! Pas un pour racheter l’autre ! Ils ne rêvent que de vous faire ingurgiter de la drouille et de vous piquouser les meules avec leur Pravaz !

Il se retire, le Dubois (dont on fait les planches de cercueil) avec la satisfaction du devoir accompli…

La veilleuse qu’il a oublié d’éteindre répand un grand disque bleuté dans la chambre… Sur le mur, se projettent des ombres bizarroïdes : celle de mon flacon de whisky, entre autres, me suggère une sorte de gros type ventru. Un type menaçant auquel, par un effort d’imagination extravagant, je parviens à constituer une gueule de gargouille !

Je ferme encore mes paupières… Mais macache… Je pige pourquoi il voulait me faire boire sa tisane de sommeil, Dubois ! Après avoir pioncé toute la journée, je suis vidé de tout besoin de repos. La noye s’annonce gentillette. Avec ça, mon épaule qui remet la sauce à fond d’accélération.

Je bigle la pendule : dix plombes.

Dans la strass voisine, ça pionce… Pas un bruit… Le silence intégral !

Je me sens mieux et je m’ennuie.

J’aperçois le thermomètre sur ma table de chevet. Faut croire que je me mets à faire la déformation des malades, car voilà que j’empoigne l’instrument. Je le secoue pour faire descendre le mercure et je me colle le tube dans cet endroit qui sert aux poules à approvisionner les restaurants en omelettes !

J’attends la minute de vérité, comme disent les gars qui aiment à donner de l’importance aux faits qui n’en comportent pas. Je récupère le thermomètre. Je n’en crois pas son tube de mercure… Il indique 36°8 ! Il marche à la minute ou à l’année, cet appareil ?