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Dubois est en train de me coltiner à mon lit. Il me jette dessus. Je pousse une sourde plainte et à nouveau je suis enveloppé dans du néant… Puis je devine les mains prestes d’Anne-Marie qui me recouvrent.

Dubois s’essuie le front d’un revers de manche.

— Avec toi, grince-t-il, on a du fil à retordre…

Il paraît étrangement calme maintenant. Il a repris sa tête de cocu content… Il est redevenu le mari docile et gavé d’une espèce d’énorme boulimique.

— Ma parole, soupire-t-il, tu m’as fait sortir de mes gonds. C’est vrai aussi, cette manie de ficher le camp en chemise, tu parles d’un bon renom pour moi ! Et venir me traiter d’assassin ! C’est la fièvre…

Voilà ce pourri qui joue les petits saints Jean, maintenant. Je calcule rapidos le nombre des cartes qu’il me reste à jouer si je veux me tirer de cette impasse. Au fond, je n’en ai qu’une : convaincre Anne-Marie que son patron n’est qu’un assassin ! Pour cela je ne dois pas perdre une minute, pas une seconde. Je joue une partie plus que serrée. Je suis là, dans un lit, sans forces, sans moyens, à la disposition d’un criminel dangereux…

— Tu sais bien que je n’ai pas de fièvre, tête de lard ! C’est toi qui m’as drogué pour que je sois raplapla… Tu voulais que je stoppe ma petite enquête parce que tu as eu peur qu’elle me conduise au pot aux roses ! Eh bien ! il est trop tard… Dès le premier soir, j’ai su que tu avais trempé dans l’assassinat des Vignaz…

Il sursaute ; à nouveau, ses yeux morts s’emplissent d’une vilaine lueur sanglante.

— Je t’en prie, tais-toi… Demain tu iras mieux…

— Demain, je serai crevé, Dubois… Parce que tu ne peux plus t’offrir le luxe de me laisser vivre…

Il se penche au-dessus de moi.

— Eh bien ! parle, puisque ça te soulage…

— Sais-tu comment j’ai compris que tu étais dans le coup ? Non ? Par ta bonne femme, tout simplement.

Ça lui file un frémissement.

— Quoi ?

— Lorsque tu as reçu le coup de fil de Vignaz, tu es revenu à table sans mentionner le nom du client. Quand tu m’as appelé de chez lui, un instant plus tard, je n’ai pas non plus parlé de ce client à ta grosse vache… Et pourtant, quand nous sommes revenus, elle a prétendu qu’elle commençait à s’inquiéter et a dit qu’elle s’apprêtait à téléphoner !

Son visage tourne au vert. Il sent la faille et il a peur. Cette couennerie lui prouve que son meurtre n’était pas parfait…

— Tu piges, Dubois (dont on fait la guillotine) ? Téléphoner où ? A qui ? C’est donc qu’elle savait, sans que toi et moi lui ayons rien dit, où nous étions…

Il ne répond pas.

Je file un léger coup de saveur à Anne-Marie. Elle se tient immobile, de l’autre côté de mon lit… Ses narines sont pincées et ses yeux dilatés. Elle me regarde d’un air farouche… Je vois ses seins mignons se soulever et s’abaisser dans un mouvement régulier…

— Ecoute, doc, j’ai tout pigé. Je vais te faire part de mes déductions. Pour une raison que j’ignore, tu étais en cheville avec Vignaz… Je ne sais pas ce que vous trafiquiez tous les deux, mais la mère Vignaz devait mettre des bâtons dans les roues… Alors, vous avez décidé de la buter… Pour cela, vous avez fait croire qu’elle était neu-neu. Vignaz a répandu le bruit qu’elle avait essayé de se suicider. Toi, tu as affirmé que tu la soignais pour les nerfs. Vous avez tout combiné… Tu lui as même fait acheter le rasoir qui allait servir à lui ouvrir les veines… C’était vraiment beau comme mise en scène…

« Au début de l’après-midi, tu es allé chez elle… Elle devait être fatiguée à la suite de la potion que son mari lui avait fait prendre de ta part. Elle attendait son médecin, ô ironie ! Tu lui as refilé un narcotique et tu l’as plongée dans la baignoire… Là, tu lui as sectionné le poignet et tu as attendu… Ça aussi, Dubois, ça m’a troublé. Vois-tu, à mes débuts, quand je marnais dans un commissariat de quartier, j’ai vu plusieurs fois des fondus qui avaient voulu se saigner… Tous s’entaillaient à plusieurs endroits, et les deux poignets ! C’était du sale boulot, souvent inefficace… Alors que là, il n’y avait qu’un coup de rasoir, mais impeccable, car il était porté par un maître de l’art…

Le doc a retrouvé enfin son visage calme. Celui que possédait « mon ami ». On dirait qu’il écoute une histoire qui ne le concerne pas. Il ne me quitte pas des yeux et je lis dans son regard une sorte d’admiration paisible… Il lirait tout cela dans un journal que ça n’aurait pas plus d’effet sur son attitude.

Je poursuis.

— Bon, tu l’as saignée… Tu es reparti en vitesse, ton coup fait. Vignaz ne devait retrouver le cadavre qu’à l’heure où il rentrait d’ordinaire. Il t’appelait, tu arrivais et tu faisais les premières constatations… Ça justifiait tes empreintes au cas où tu les aurais laissées quelque part… Bravo, ça aussi, c’était pensé en papa !

« Le mec t’a appelé, en effet… Il a attendu… Là s’arrêtait son rôle, à lui… Mais le tien continuait, car tu l’avais inscrit au tableau de chasse. Il devait mourir…

« En arrivant, tu lui as sauté dessus avec cette vigueur que j’ai pu apprécier… Tu l’as étranglé avec le fil du téléphone, puis tu m’as appelé. Car ce soir-là, Dubois (dont on fait les manches de rasoir), tu ne m’avais prié à dîner que pour te couvrir !

« Tu es, quoi que tu en penses, un timoré, un raté… Tu as toujours eu peur de tout le monde et de n’importe quoi… Tu craignais de faire une bêtise ou bien que la police n’épluche trop ton emploi du temps. Il fallait que quelqu’un, hors du moindre soupçon, certifie bien que tu avais été appelé par Vignaz… Il était normal que, découvrant ces deux macchabées, tu fasses appel à un commissaire dînant à quelques minutes de là. Tu te disais que j’étais le plus bath des paravents… Mais tu t’es gouré. Le paravent t’est tombé sur la gueule, mon chéri… Tu avais simplement oublié que le mystère et moi nous sommes des ennemis irréductibles. Dès que j’en vois un quelque part, je me mets à frétiller et à aboyer. Un bon petit chien de chasse, ton pote San-Antonio. Au lieu d’entonner ton grand air des suicidés, je me suis mis à renifler le double meurtre… Je t’ai sorti des arguments qui t’ont donné à réfléchir… Ô ironie ! le flic chargé de l’affaire abondait dans ton sens, mais moi, que tu avais prévu comme bouée de sauvetage, je m’apprêtais à tout foutre par terre !

« Alors, comme lorsqu’on a franchi la marge, on n’en est plus à un crime près, tu as décidé de me rayer des listes d’état civil.

Il a une protestation faible et crétine.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— La vérité, mon grand bandit, rien que la vérité, toute la vérité, tu m’excuseras de ne pas lever la main pour jurer…

« Tu sais que je vais vite en carriole. Si je pouvais avoir un accident, t’étais peinard… Prétendant aller chercher une bouteille de champe à la cave, tu t’es muni d’une scie à métaux et tu es allé scier mon arbre de direction. Ne mens pas… Il flottait, cette nuit-là… Lorsque tu es revenu avec ton champagne, tu avais les épaules de ta veste criblées de gouttes de pluie, alors que, logiquement, tu n’aurais pas dû sortir de l’immeuble… Or, cette flotte, tu ne l’avais pas récoltée en revenant de chez Vignaz, car à cet instant, tu portais un imperméable.

Je me tais…

Il y a un silence terrible, vous savez, comme au cirque pendant un numéro extrêmement périlleux.

— Tiens ! fais-je, je pense encore à autre chose. Tu soignais, paraît-il, la mère Vignaz pour les nerfs, mais il n’y avait pas la moindre médication pour le système nerveux chez elle.

Dubois regarde Anne-Marie, en souriant…