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— Ça n’est pas un policier, mais un feuilletoniste, dit-il.

Elle hoche la tête.

Je me fous à bramer :

— Anne-Marie, faites quelque chose ! Ce type est un assassin ! Il veut me tuer… C’est pour que je sois à sa main qu’il m’a déménagé de l’hôpital pour m’amener ici… C’est pour m’isoler qu’il vous a ordonné de neutraliser l’appareil téléphonique.

Soudain, je blêmis.

— Et ma mère, dis, crapule ! Ma mère, qu’en as-tu fait ? Tu ne vas pas me raconter qu’elle s’est cassé les cannes et qu’elle est à Beaujon ! Qu’est-elle devenue ? Tu l’as emmenée, hier, et depuis on ne l’a plus revue…

Il hausse les épaules.

— Anne-Marie, murmure-t-il, faites-lui sa piqûre calmante…

Elle sort de la pièce.

Je tourne vers Dubois (dont on fait les assassins) mon visage brillant d’un noble courroux.

— Tu t’imagines que tu vas t’en tirer comme ça, ordure ?

— Tu es stupide, mon pauvre San-Antonio, murmure Dubois.

— Oui, j’ai été stupide de me laisser amener ici. Je voulais étudier d’un peu plus près ton comportement…

Il rit.

— Et maintenant, te voilà pris au piège comme une araignée qui s’empêtre dans la toile qu’elle a tissée…

— Tu avoues, salaud ?

Il avance vers moi sa main solide, aux doigts en spatule.

— A toi, je ne peux rien cacher.

Sa tranquillité, son regard brillant me font peur.

— Qu’as-tu fait de ma mère ?

— Ne te tourmente pas pour elle, elle est bien.

— C’est toi qui le dis !

— Et je dis vrai…

Il se penche un peu plus.

— J’ai des projets, pour toi, mon petit Sherlock Holmes… Ou plus exactement UN projet… Et pas ordinaire… Tu verras !

TORPEUR.

Je regarde encore une fois Dubois, de cet œil incrédule avec lequel on suit les numéros de haute voltige. La question me vient : « Est-il fou ? »

C’est la réponse que je cherche dans ce visage bizarre, où se reflètent à la fois la résignation et la cruauté. Je l’exprime tout haut, cette question.

— Dis-moi, Dubois, nous avons été amis pendant dix ans. Nous avons vécu ensemble les moments qui rapprochent deux hommes. Je ne me doutais pas que tu étais un assassin en puissance et pourtant j’ai le pif pour renifler cette catégorie de mecs… Bon, tu es un meurtrier, c’est comme ça. Mais ce que je ne pige pas, c’est que tu t’acharnes sur moi… Réponds-moi franchement, es-tu fou ?

Il a un léger sourire…

— Non, San-Antonio, mumure-t-il, en toute sincérité je ne pense pas être fou… Un dément procède sans mobiles justifiables de la morale… de la raison… de l’intérêt. Moi, j’ai agi par intérêt… J’ai beaucoup d’argent, sais-tu ?

A le contempler, on se rend à l’évidence. Ce garçon est d’une cupidité folle. Ah ! il m’a bien eu avec ses airs de chien battu et ses mises négligées d’apôtre !

L’argent ! Ses yeux brillent… Il est heureux du mot… Ça l’excite de le prononcer.

— Tu as vu juste, fait-il, tout s’est effectivement passé comme tu l’as dit… Vignaz, pour son trafic, avait besoin d’un correspondant en France. Il m’a entretenu de son projet au cours d’un séjour de repos en France. J’ai accepté… Et ainsi, je suis devenu riche… Mais je ne suis pas partageur… C’est pourquoi je n’ai pas hésité à me livrer au pire pour conserver le total.

Il se délecte en disant « total »… Ça doit représenter un vache pacson, parole !

— Tu crois que je t’en veux, dit-il, que je m’acharne sur toi ? Oui, c’est un peu vrai…

« Pourquoi ? Tu prétends ne m’avoir rien fait ? Ridicule, mon cher… Tu m’as fait mal pendant dix ans !

Je le considère avec curiosité, certain maintenant qu’il est dingue, le pauvre malheureux…

— Tu dis ?

Mais il me détrompe rapidement.

— Tu m’as fait souffrir, San-Antonio, en me montrant ce qu’était un homme, un vrai… Un homme libre, un homme fort ! Toi, tu traverses la vie à bras raccourcis… Tu cognes sur ce qui t’entrave, tu renverses les filles, tu bois, tu chantes… Tu lis tes exploits dans la presse… Car tu accomplis des exploits ! Tu n’as peur de rien, ni de personne…

Il baisse la tête.

— Moi… Moi, j’ai une gueule de pauvre type. Lorsque quelqu’un me voit pour la première fois, il se demande si je suis gâteux ou idiot… Depuis que je suis adulte, les miroirs me renvoient en plein cœur une triste figure navrée, navrante… Moi, je n’ose pas élever la voix. Je n’ose pas dire à une femme qu’elle est belle. Je n’ose pas dire à un homme qu’il m’empêche de passer. Je subis… Je descends du trottoir en m’excusant. Je bouffe les plats que me cuisine ma monstrueuse épouse, car j’ai épousé un monstre, je le sais… Je ne vois du monde que ce qu’il y a de plus laid : les plaies des hommes… Je palpe des corps malades… Je…

Il y a des larmes sur ses joues. Tout d’un coup je pige. Des années et des années de refoulement ont crevé… Il s’est libéré dans le crime.

Dans la pièce proche, le nouveau-né se met à geindre.

— Et ça, dis-je à Dubois. C’est une plaie ?

— La pire de toutes !

— Alors, parce que t’es pourri de complexes, tu ne trouves rien de mieux que de bousiller ceux qui sont équilibrés… Tu me fais penser au roi devenu borgne qui fit crever les yeux à ses sujets pour continuer de les dominer… Oui, c’est ça… Tu te sens minus et tu veux régner sur des morts. C’est facile… Quand un tyran se sent faible, il procède de la même manière…

Dubois (dont on fait les allumettes) s’enflamme !

— C’est vrai, dit-il.

« Mais ce que tu diras ne changera rien à rien… Au contraire, tu me donnes la certitude que j’ai trouvé le chemin de ma liberté !

Je pouffe, bien que n’ayant pas la moindre envie de me gondoler.

— La liberté ! T’as de ces mots, doc ! Tu as lu ça dans des manuels, non ?

Je bouge un peu la main et je saisis la sienne, posée sur le bord du lit.

— Je vais te donner un dernier conseil, bonhomme… Tu vas aller dans ton burlingue. Ecris sur une feuille de papier tes dernières volontés… Et avale une merdouille quelconque qui t’enverra au pays des anges… C’est tout ce qui te reste comme liberté !

Il retire vivement sa main et ricane.

— Mes dernières volontés ! Mais tu rêves, San-Antonio… Ce sont mes premières qui se manifestent ces temps-ci… Jusqu’ici je n’avais eu que la volonté des autres ! Que leur loi, leur fantaisie !

Anne-Marie entre. Elle tient une seringue à la main…

— Voici le calmant, docteur, dit-elle.

Je sens une sueur glacée dans mon dos.

— Anne-Marie, reprenez conscience, voyons ! Vous m’assassinez !

Elle a un regard navré vers le docteur. Est-elle sa complice ou bien son aveuglement est-il à ce point intégral qu’elle ne s’aperçoit pas du tragique de la situation ?

Je rue dans les brancards car je ne veux pas de cette piqûre.

— Non ! Non ! haleté-je.

— Il est hypernerveux avec ça, émet Dubois.

Il se penche sur moi et me cloue les jambes sur le matelas. Je cherche à le repousser, mais mes côtes et mon épaule me font trop mal…

— Dépêchez-vous ! ordonne-t-il à son assistante.

Un petit choc… Une sensation de froid dans la cuisse. Voilà qui est fait… J’ai eu droit à l’injection. Je ne peux plus rien pour mon salut… A partir de maintenant je ne suis plus qu’une guenille impuissante… Advienne que pourra… Je cesse de réagir. Une intense résignation, un calme souverain m’envahissent.