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Me voilà enfin avec mon futal. Il est ajusté à la diable… C’est la première fois qu’une jolie fille m’aide à m’habiller. D’ordinaire, c’est le contraire qui se produit !

Je retrouve mon inertie initiale. Elle me met mes pompes et arrange ma chemise…

Cela fait, elle va à la porte, jette un coup d’œil dans le couloir et revient en hâte.

— Continuez à faire le mort, pendant le temps nécessaire, dit-elle. Je veille, mais il m’est impossible d’intervenir davantage pour l’instant.

Elle rabat le drap sur moi et s’en va.

J’estime qu’elle a déjà fait beaucoup… Les pensées recommencent à circuler dans mon ciboulot. Je ressens la douleur de mon épaule… Donc, au lieu de me décomposer, je reprends vie puisque je redeviens sensible à la souffrance. Puis je pense !

Anne-Marie était-elle complice, mais n’a-t-elle pas voulu aller jusqu’à m’assassiner, par faiblesse ou sympathie pour moi ? Ou bien a-t-elle enfin réalisé ce qui se passait ?

Je me pose les deux questions tour à tour.

De plus en plus, je suis pour la première éventualité. Cette fille ne pouvait être gourde au point de ne pas comprendre l’homme qu’est Dubois après mes accusations et la démonstration que j’ai faite de sa culpabilité.

Seulement, elle n’osait enrayer cette machine à tuer au service de laquelle elle s’était placée… Probable que le toubib du diable la tient bien en main…

En tout cas, elle s’est ressaisie et j’ai confiance en elle. Je ne peux faire autrement… C’est ma seule carte. Une carte sur laquelle je ne comptais plus.

Maintenant, que va-t-il se passer ? Mystère et fromage mou !

Voilà des jours que j’attends… Moi, l’impatience faite homme, je suis condamné à l’immobilité à outrance. Je n’ai pas droit à un battement de cils… Pas droit à un éternuement ! Je joue au mort, sur un lit, et les gens ne vont pas tarder à venir me donner l’eau bénite avec un rameau de buis…

Je commence à piger le calcul d’Anne-Marie…

Dubois, me croyant mort, est tranquille. Il va donner l’alerte. Mon boss, mes potes vont se la radiner encore, la larmouze au lampion.

Et lorsque la Sainte Famille Poulardin sera laga, coucou ! On tire le voile et on joue « la Marseillaise », tandis que le gars San-Antonio prouve aux populations qu’il n’est pas décédé… Bien joué, oui… Si la petite donnait l’alarme, on pourrait redouter un coup de détresse de Dubois. Se voyant perdu, il jouerait son va-tout…

Bon, attendons…

C’est marrant de sentir revenir en soi une vie enfuie. Ça crépite au fond de mon être… Je suis sans forces, mais cette faiblesse peut disparaître avec des calories… Qu’on me fasse avaler du tonifiant et je me récupérerai !

Une crainte me prend. Pourvu que Dubois ne vienne pas me palper… Il s’étonnerait de me trouver chaud…

Je lutte contre la crainte…

DUBOIS (DE SAPIN).

Voilà des heures, des heures que je suis immobile, jouant le mort au point de ne plus me sentir capable de penser…

J’entends la porte s’ouvrir… Dubois entre avec des messieurs. Sont-ce mes collègues ? Je n’ose essayer de remuer.

La conversation m’édifie illico.

— Je vous laisse prendre les mesures, messieurs, murmure Dubois d’un ton apitoyé.

LES MESURES !

Ces deux mots me font enfin réaliser le côté grand-guignolesque de ma position… Ces gars font partie des Pompes Funèbres ! Alors là, on choit dans les bégonias ! Vous mordez un peu le topo, mes mecs ?

La maison Borniol qui vient m’essayer un costar en planches… C’est à hurler de rire et de peur… Dubois s’éloigne. Les gars retirent le drap et me jettent un regard.

— Il est abîmé, observe l’un des types, que mon plâtrage impressionne.

— Il a la blancheur Persil, renchérit l’autre. C’est lui le fameux commissaire San-Antonio ?

J’ai envie de me manifester… Seulement quelque chose me retient : essayez de piger un peu si vous le pouvez : j’ai peur de ne pas pouvoir parler, comprenez-vous ? Je peux leur montrer que je vis, mais je ne suis pas certain de pouvoir leur donner l’alerte. Ils seront tellement sidérés qu’ils appelleront Dubois…

Alors ce sera la vraie finale de mon petit ballet ! Non, ATTENDRE ! ATTENDRE ! A T T E N D R E !

— Paraît que c’était un crack de la Sourde ! dit le croque-mort.

J’entends le coulissage métallique d’un mètre-ruban.

— Ben, tu vois, observe l’autre qui doit être philosophe sur les bords… Crack ou pas, ils finissent dans un pardingue de sapin !

— Pardon, rectifie le premier : de chêne… C’était une huile, ne l’oublions pas…

— Chêne ou sapin, dit le second, qui à mon avis est tourmenté par des idées extrémistes, ça ne l’empêchera pas de donner à bouffer aux asticots… Qu’est-ce qu’il a eu, un accident ?

— Oui, t’as pas vu dans le journal ?

— Non…

— Qu’est-ce que tu lis ?

— L’Huma…

— Si tu prenais le Parisien, comme moi, tu serais à la page de tout ça…

— Charrie pas… Bon, tu inscris ?

— Vas-y…

— Un quatre-vingts…

— Un quatre-vingts…

— Soixante…

— Soixante…

Je vous recommande cette sensation. Il me semble que si j’en réchappe, j’aurai de la modestie à revendre pour le restant de ma vie. Etre l’objet d’un dialogue pareil, ça vous pousse à coups de pompe dans les meules sur le chemin de la méditation.

Leurs mesures prises, les deux loustics se retirent. Ils m’ont gentiment recouvert avec le drap et je les entends parlementer dans le couloir avec Dubois.

Le silence se tend à nouveau… Tiens, au fait, depuis que j’ai repris conscience, je n’ai plus perçu un seul bruit en provenance de la chambre… L’heureuse maman a dû regagner ses pénates avec son lardon. Elle commence à se lever. Elle le berce, l’alimente. Et dans quelques jours son bonhomme recommencera à lui grimper dessus pour perpétuer l’espèce. Le morveux aura des petits frères qui grossiront les rangs de l’armée française, et des petites sœurs qui grossiront du bide à leur tour parce que c’est commak depuis l’époque quaternaire et que ça n’est pas près de finir, malgré les délicatesses au plutonium de ces messieurs ! Des fantassins et des pétasses ! La voilà, l’humanité à l’état pur.

Et enfin, c’est la nuit. Personne n’est encore venu m’assister…

Dubois entre. Il tient un cierge allumé à la main et le place sur la table de chevet…

Avant de se retirer, il se penche sur le lit… Pourvu qu’il ne me touche pas ! Je me voudrais glacé comme un nez de chien.

— San-Antonio, appelle-t-il.

Qu’est-ce que ça veut dire ?… Mais l’alerte se tasse immédiatement. Ça n’est pas à moi qu’il parle, mais à ma mémoire concrétisée par cette boursouflure oblongue sous le drap.

— San-Antonio, tu as été très malin, mais j’ai fini par l’être plus que toi. Mon intelligence a dépassé la tienne.

Son intelligence ! Son argent ! SA VICTOIRE ! Il est mégalomane, l’ancien lieutenant Dubois (dont on fait les sabres).

Maintenant que du côté cerveau je suis redevenu d’aplomb, j’ai envie de lui répondre des trucs pas gentils. Cette fois, je suis certain de pouvoir parler… Pas à haute voix, mais ce serait tout de même suffisant pour lui dire qu’il est Dubois, envers et contre tout ! Le crime, c’est la force des faibles. Ceux qui veulent se manifester sans en avoir la force n’ont que la ressource de tomber, monter étant trop épuisant !