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— Il l’était, a assuré Dubois, mal à l’aise, car il craignait un éclat de mon collègue.

Ça n’a pas raté. Le Mignon s’est foutu en croquemitaine aussi sec.

— De quoi ?

Je suis intervenu pour calmer les palpitations du toubib…

— Il a trouvé le gars étendu… Son premier réflexe a été un réflexe de médecin, et même un réflexe tout bonnement humain : dégager le malheureux…

— Ah ?

Le visage bouffi de Mignon était tendu et neutre comme une peau de tambour.

— C’est moi qui lui ai conseillé de remettre les choses en état pendant qu’il avait encore en mémoire la scène à son arrivée.

— L’appareil se trouvait comment ? s’est inquiété le commissaire.

Dubois lui a montré. Le socle pendait de l’autre côté de la console et la fourche l’avait bloqué entre le mur et le rebord du meuble. Vignaz avait dû décrire un tour mort à son cou et se renverser. Oui, avec un peu de volonté, il avait pu mourir ainsi… Surtout si la secousse avait été violente…

— Bon, a soupiré Mignon. Autre chose : d’après vous, la femme est morte quand ?

— Dans l’après-midi… sur la fin, vers les six ou sept heures !

— Elle a souffert ?

— Certainement pas…

— Comment se fait-il qu’elle se soit mise dans son bain en chemise de nuit ?

Dubois a haussé les épaules.

— Vous oubliez une chose : elle ne se baignait pas ; elle se suicidait… Ce qui comptait pour elle, c’était de ne pas souffrir.

— C’est juste… Enfin, je verrai le rapport du légiste.

Il penchait ferme pour les deux suicides, Mignon. Ça l’arrangeait… D’autre part, en toute conscience professionnelle, on ne pouvait conclure autrement sur les données dont il disposait pour l’instant.

— Lorsque vous êtes arrivé, docteur, Vignaz était mort depuis longtemps ?

— Cinq minutes au plus…

— Vous n’avez rencontré personne dans l’escalier ?

— Non…

— Ce qui ratifie, à mon avis, la thèse du suicide, c’est qu’il a pris la précaution d’ouvrir la porte avant de mourir… Bon, c’est tout pour ce soir, je vous verrai demain…

On s’est serrés la paluche et on s’est quittés sur ces bonnes paroles.

LE TOUT ÉTAIT D’Y PENSER !

Une petite flotte perfide résine doucement sur Paname…

Une horloge crache dix plombes à regrets… Pour prouver que le compte y est bien, elle recommence illico.

— Tu viens finir de boulotter ? demande Dubois.

— Je n’ai pas grand-faim, tu sais…

— Je te comprends… Excuse-moi pour cette charmante soirée !

— Oh ! y a pas de mal, doc…

— Viens au moins boire une fine et dire bonsoir à la patronne !

Pas moyen de résister… L’un suivant l’autre au volant de nos charrettes respectives, nous regagnons l’appartement des Dubois. C’est moi qui arrive le premier parce que je manie un peu mieux le volant que mon camarade. Je me serre entre deux portes cochères et j’attends le toubib… Il se pointe, soucieux, sa trousse à la main.

Nous grimpons chez lui sans parler, la tête basse… La mère Dubois ne tortore plus. Elle est là, mafflue, moustachue, adipeuse, avec une vague inquiétude dans l’œil.

— Ah ! vous voilà ! s’écrie-t-elle avec sa voix de gendarme asthmatique, je m’apprêtais à vous téléphoner… Rien de grave ?

Je souris.

Rien de grave ! Tu parles, Charles !

— Les Vignaz se sont suicidés, annonce Dubois en jetant sa trousse sur la cheminée.

— Tous les deux ?

— Oui…

— C’est pas possible.

— Vous les connaissiez ? j’interviens.

Elle écrase une larme grosse comme une pendeloque de lustre vénitien.

— Oui… Lui était un ami de mon mari…

Elle s’assied, les flûtes fauchées par l’émotion. Son visage gonflé exprime la plus grande des peines.

— C’est incroyable ! Alors elle y est parvenue ?

— Tu vois, ma pauvre Gertrude…

— Vous savez, dis-je, quelqu’un qui veut se suicider y arrive toujours… D’autant plus que, dans ce cas, on lui a donné un sérieux coup de main.

Dubois qui s’est assis dans un fauteuil décroise ses longues jambes.

— Qu’est-ce que tu dis, San-Antonio ?

— Je dis que ces braves gens ne se sont pas suicidés… Je dis que quelqu’un les a tués !

— Mais…

C’est un peu comme si je me déculottais au milieu d’un salon littéraire… Ils font des yeux presque horrifiés, mes deux amis.

— On les a tués ? répète Dubois d’une voix de rêve.

Je le regarde… Il est presque attendrissant. On s’est connus au régiment, lui et moi… Il était lieutenant… Il avait déjà cette calvitie de clown et cet air de pauvre zig… On lui faisait les pires blagues, les aminches et moi… Et puis, un jour, je l’ai surpris s’essuyant les chasses furtivement. Alors, j’ai pris ses patins et nous sommes devenus une paire de copains.

Ce soir, il a sa pauvre gueule ravagée d’autrefois. Il semble trouver la vie grise et les gens dégueulasses.

— Fais pas cette frime, Dubois… Qu’ils se soient suicidés, tes potes, ou qu’on les ait butés, ça revient exactement au même !

— Mais… comment arrives-tu à une aussi effroyable conclusion ?

— Pas dur !.. J’ai farfouillé un peu partout dans l’appartement, tandis que tu téléphonais à la Rousse.

Il ouvre des carreaux grands comme des vasistas.

— Alors ?

Ce drame, c’est son drame… Il est un peu dans la situation du mec qui vient d’acheter un sécateur au Bazar de l’Hôtel-de-Ville et qui, en dépliant le paquet, chez lui, découvre qu’il s’agit en réalité d’une mitrailleuse jumelée.

— Primo, fais-je, j’ai trouvé un rasoir électrique dans le placard de la salle de bains…

— Qu’est-ce que ça a à voir avec ces meurtres ?

— Vignaz se rasait électriquement, donc il n’avait pas de rasoir à manche… Or sa femme s’est, paraît-il, tranché le poignet avec un rasoir à manche…

— Il l’avait peut-être conservé ; on se rase depuis relativement peu de temps avec des rasoirs électriques !

— D’accord, mais, outre le rasoir électrique, j’en ai trouvé un autre, mécanique… Il serait vraiment surprenant que Vignaz ait auparavant utilisé les deux autres formes de rasage…

— L’instrument se trouvait peut-être chez lui depuis longtemps… Il pouvait appartenir à son père… On ne jette pas ces choses-là.

J’examine l’argument et le trouve valable.

— Oui… Tu as peut-être raison… Pourtant le rasoir qui gisait sur le carrelage de la salle de bains paraît assez récent… Le haut de la lame est damasquiné. Je crois qu’il s’agit d’un rasoir allemand…

— Elle a pu l’acheter ; cet article est en vente libre, que je sache ?

— D’accord, Dubois, elle a pu l’acheter… Si elle avait mijoté de s’ouvrir les veines, il est possible, en effet, qu’elle ait fait cette curieuse emplette. Pourtant je ne le pense pas… Un suicide, vois-tu, c’est certes l’aboutissement d’un état d’âme particulier, l’extrémité d’une dépression, mais l’acte lui-même est subit… On se tue en état de crise… Or, on ne prépare pas une crise…

La mère Dubois est en train de tremper des sucres dans sa tasse de café. Elle les gloutonne les uns à la suite des autres comme si elle voulait vider sa tasse sans avoir à la toucher.

Dubois caresse son crâne en forme de suppositoire. Il est soucieux.