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La lourde s’ouvre et quelqu’un pénètre dans la chambre. Chiche que c’est la mère Dubois ! J’espère que ce tas de graisse ne va pas venir me casser les bonbons ! Flemmard en diable, j’évite de me retourner. Qui que ce soit, je m’en fous… Je suis en rogne après l’humanité et j’ai besoin d’aigrir doucement dans la tiédeur du pageot, en serrant les dents sur ma souffrance. Farouche comme un cador malade ! Je suis taraudé par cet obscur besoin de m’abîmer dans la plus noire mélancolie. La personne qui vient d’entrer n’est pas la camarade de lit de Dubois car sa démarche est souple. Ça n’est pas encore Félicie, qui n’a pu faire l’aller-retour Paris-Saint-Cloud.

Après tout, qu’est-ce que ça peut me faire ? Il s’agit certainement d’une infirmière…

J’occupe une position favorable et ma douleur se calme tout doucettement. Je ferme les yeux… Mais, au lieu d’en écraser, je renifle à plusieurs reprises et cet exercice m’apporte comme une espèce de félicité car ça pue bon dans le secteur. La gonzesse qui vient d’entrer ne se fiche pas de la lotion de péquenot sur la hure !

Du coup, ma curiosité est en éveil. Je me retourne sur le dos et je fais la grimace. La pépée qui se tient debout au pied du lit est tellement chouïa que la surprise m’a vrillé l’épaule.

— Ça ne va pas ? demande-t-elle.

C’est une fille grande et mince… Elle a des cheveux blond-roux, des yeux noirs chargés d’éclats et ayant une forme délicate… Quant à sa taille, elle tiendrait dans un coulant de serviette !

De plus, elle possède des petits seins que je devine fermes, un ventre plat, des fesses rondes et l’air de préférer s’asseoir sur les genoux d’un beau garçon plutôt que sur un paratonnerre. Elle répète, d’une voix mélodieuse, un peu rauque sur les fins de mots :

— Vous vous sentez comment ?

— Mieux depuis que je vous regarde…

Elle sourit, comme la jouvence de l’Abbé.

— C’est vrai ?

— Je ne me souviens pas avoir proféré une vérité plus véritable !

— Le docteur m’avait bien dit que vous étiez un numéro dans votre genre, mais j’avoue que…

Elle est surprise, c’est ce qu’il faut. Les gonzesses, il faut toujours les surprendre si on veut les intéresser.

— Vous êtes infirmière ? je questionne.

— Je suis l’assistante du docteur Dubois, rectifie-t-elle.

— Ce que ça doit être chouette d’être assisté par une personne de votre gabarit. On vous appelle comment, sur les registres d’état civil ?

— Anne-Marie…

— On peut s’en servir dans la vie courante ?

— Pourquoi pas ?

Je ne parviens pas à détacher mes coquilles de cette poulette. Rappelez-vous que les fées avaient pris un car collectif pour radiner à son berceau, même que la fée Carabosse s’était fait excuser, because rien ne cloche dans ce petit lot du ciel ! Elle a une légère trentaine. C’est le bel âge pour la femme, n’importe quel Balzac de service vous le dira. A ce stade de son existence, elle n’a plus de pudeur, plus de scrupules, ne fait pas de chichis et marne du prose comme une artiste… Elle est épanouie, fraîche, frémissante…

— Dubois m’avait caché ça, dis-je.

Elle rougit quelque peu, ce qui ne lui va pas mal du tout.

— C’est vrai ?

— Sans quoi, vous pensez, je serais venu soigner mon rhume des foins tous les matins.

— Allons, allons, ne vous agitez pas… Une fracture de l’épaule est une chose délicate…

— Ce n’est pas ma faute si votre présence me court-circuite !

— Alors, je vais sortir !

— Gardez-vous-en bien, je serais capable de vous emboîter le pas…

— Phénomène !

Elle s’approche sous le prétexte louable en soi d’arranger mon oreiller, mais elle prend soin de ne pas se présenter du côté de mon bras bloqué… Ce qui fait que ma main valide cramponne sa géométrie dans l’espace.

— Voulez-vous bien rester tranquille !

Au lieu d’obéir, je plonge délicatement sous ses jupes. Je palpe avec émotion une jambe admirable, ronde, ferme, chaude, veloutée par un bas arachnéen[4].

Tant de douceur me file un émoi insolite. C’est tout ce qu’il y a de gênant dans ma situation…

Elle recule un peu son valseur et ce mouvement de retrait ne fait que fortifier mon émoi, tant il est vrai que le désir s’accroît[5].

Elle me susurre d’une voix qui ferait goder une séance du dictionnaire de l’Académie :

— Voulez-vous bien être sage !

Pour ça, les nanas ne se renouvellent pas beaucoup. Remarquez qu’on ne le leur demande pas !

Soyez sage ! Vous n’êtes pas sérieux ! Restez tranquille ! Combien de fois ai-je entendu ces chansonnettes jusqu’à présent !

Des milliers de fois à coup sûr !

Intérieurement ça me fait cintrer. Et extérieurement… Voilà cette vache qui se fait la valise, me plantant là avec ma grosse frénésie de père de famille en permission !

— Eh ! fais-je, vous n’allez pas me laisser jouer au cirque Amar !

Mais elle n’a pas le moindre regard pour mon infortune et disparaît dans un éclat de rire…

Je souris à mon tour. Chouette ! Envolé le bourdon… Maintenant que j’ai reniflé de la femelle de choix, je me sens… non pas un autre homme, mais un homme, tout bêtement !

Et c’est la meilleure impression qu’un mec puisse avoir, croyez-en ma bonne vieille expérience de mâle !

Je flotte pendant un bon moment dans une vapeur mauve. La vie continue, avec moi sur la touche… Après tout, je vais me laisser dorloter, comme le dit Félicie…

Justement elle radine, Moman, porteuse d’une valoche qui pourrait héberger une famille de squatters.

Elle en sort des pyjamas, une robe de chambre, un nécessaire de toilette, des nids d’abeille… Puis des bouteilles de champe et de whisky.

La vraie avalanche…

Elle dispose le tout dans la commode de la petite chambre.

— Tu es bien, mon grand ?

— Merveilleusement !

— J’ai aperçu une belle jeune femme, en entrant, poursuit-elle sans me regarder, je suppose que c’est l’infirmière qui s’occupe de toi !

Comme elle me connaît bien, Félicie ! Elle sait que son fils bien-aimé est le champion toutes catégories du bilboquet de salon… Elle se doute bien que ça n’est pas une épaule cassée qui va m’empêcher de lutiner la donzelle aperçue. Et ça la fait rire sous cape, ma vieille. Toutes les mères aiment que leur grand garçon aille s’embourber la fille du voisin. Elles y trouvent comme une espèce de supériorité sur le reste de l’humanité.

— De quoi as-tu besoin ? demande-t-elle.

— De lecture…

— Que veux-tu lire ?

— L’annuaire du téléphone…

Elle ne sourcille pas, habituée qu’elle est à mes caprices fantoches.

— Attends…

Elle s’éloigne et reparaît avec un annuaire de la bonne année.

Je me mets à le potasser de ma main valide. Je cherche le numéro du commissariat de l’arrondissement où j’ai eu mon accident. L’ayant trouvé, je demande à Félicie de composer le numéro à l’appareil mural. Lorsqu’elle m’a obéi, elle me tend l’écouteur.

Je demande Mathieu Bourde, le commissaire. C’est un gars que je connais superficiellement, mais en deux phrases bien senties, je me suis rappelé à son bon souvenir et il me couvre de vœux de prompte guérison jusqu’au menton.

— Dites, vieux, ce sont vos archers qui ont pris ma charrette en charge ?

— Attendez, je vais demander.

Il laisse grésiller sa ligne trois minutes, puis il revient.

— Oui, elle est là, devant le poste de police voisin.

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4

L’auteur prend la ferme résolution, afin de se singulariser, de ne jamais employer l’expression « jambe gainée de nylon » que l’on rencontre dans tous les ouvrages qui se respectent, et même dans ceux qui ne se respectent pas !