— Où demeure-t-il ? demande Valencia.
— Personne n’en sait rien, réplique Juderose. Autant que je puisse juger, je suis le seul à avoir entendu parler de lui. Il n’a pas publié deux livres chez le même éditeur et chaque fois que je lui écris aux bons soins d’une maison d’édition, elle a fait faillite et la lettre m’est retournée.
Il s’empresse de changer de sujet, félicite Valencia de sa bague de fiançailles.
— Merci, fait-elle et elle étend la main pour que Juderose puisse admirer de près le bijou. Billy a rapporté le diamant de la guerre.
— C’est ce qu’il y a de bien dans les guerres, remarque Juderose. Tout le monde sans exception glane un petit quelque chose.
Quant à Kilgore Trout, il se trouvait qu’il vivait à Ilium, la ville même de Billy, isolé et méprisé. Billy le rencontrera par la suite.
— Billy, lance Valencia Merble.
— Hein ?
— Tu veux bien discuter du motif de notre argenterie ?
— D’accord.
— J’en suis arrivée à un choix entre Couronne danoise et Rosier grimpant.
— Rosier grimpant.
— Pas la peine de nous précipiter. Je veux dire, une fois décidés, c’est ce que nous aurons sous les yeux jusqu’à la fin de nos jours.
Billy se plonge dans les gravures.
— Couronne danoise, lâche-t-il enfin.
— Clair de lune tropical n’est pas mal non plus.
— Tu as raison, concède Billy Pèlerin.
Billy a voyagé dans le temps jusqu’au zoo de Tralfamadore. Il avait quarante-quatre ans et était exposé sous une coupole géodésique. Il gisait mollement dans le fauteuil qui lui avait servi de berceau au cours de sa traversée dans l’espace. Il était tout nu. Les Tralfamadoriens étaient fascinés par son corps, toutes les parties de son corps. Ils étaient là par milliers, au-dehors, à allonger leurs petites mains pour que leurs yeux se repaissent du spectacle. Billy était à Tralfamadore depuis six mois terriens. Il avait pris l’habitude de la foule.
Il n’était pas question d’évasion. De l’autre côté de la paroi, l’atmosphère se composait de cyanure et la Terre tournait à 446 120 000 000 000 000 kilomètres de là.
Dans ce zoo, on montrait Billy dans un simulacre d’environnement terrien. La plupart des meubles avaient été dérobés dans l’entrepôt du Prisunic de Iowa City, dans l’État d’Iowa. Il y avait un poste de télévision en couleurs et un canapé transformable. De petites tables chargées de lampes et de cendriers près du canapé. Un bar et ses deux tabourets. Et, en plus, une table de billard. Une moquette aussi dorée que les réserves d’une banque nationale recouvrait le sol, sauf dans la cuisine, la salle de bains et au centre du plancher où s’ouvrait le couvercle métallique d’une trappe. Des revues étaient disposées avec art sur la table qui occupait le devant du canapé.
Le tourne-disque était stéréo. Et marchait. Pas la télévision. On avait collé sur l’écran la photo d’un cow-boy en train d’en tuer un autre. C’est la vie.
Pas de murs sur la coupole, aucun endroit où Billy puisse se dissimuler. L’équipement vert menthe de la salle de bains s’étalait au grand jour. Billy se leva de sa chaise, pénétra dans les toilettes et pissa un coup. L’assistance ne se tenait plus.
Billy s’est brossé les dents sur Tralfamadore, a mis en place sa prothèse partielle et s’est dirigé vers la cuisine. Sa cuisinière à gaz, son réfrigérateur et son lave-vaisselle étaient aussi de couleur verte. Une image était peinte sur la porte du réfrigérateur. C’était comme ça à l’état neuf. Un couple de la Belle Époque pédalait sur un tandem.
Billy concentrait son regard sur le dessin pour essayer de réagir un peu face aux cyclistes. Rien ne se manifestait. Il avait l’impression qu’il n’y avait pas la moindre opinion à avoir sur ces deux-là.
Billy a mangé un copieux petit déjeuner à base de conserves. Il a rincé sa tasse, son assiette, son couteau, sa fourchette, sa cuillère et la casserole, et les a rangés. Puis il s’est exercé aux mouvements qu’il avait appris à l’armée : sauts divers, flexions profondes des genoux, abdominaux, tractions. Faute de références, la plupart des Tralfamadoriens ignoraient que le corps et le visage de Billy étaient sans attrait. C’était fort agréable à Billy qui, pour la première fois, était fier de sa personne.
Sa gymnastique terminée, il a pris une douche et s’est taillé les ongles des orteils. Il s’est rasé, s’est vaporisé du désodorisant sous les aisselles, cependant qu’un gardien du zoo, juché sur une plate-forme, expliquait le pourquoi et le comment des gestes de Billy. Le gardien débitait son couplet par télépathie et, debout à l’extérieur, se bornait à expédier des ondes de pensée aux badauds. À côté de lui, sur l’estrade, reposait le petit clavier grâce auquel il transmettait à Billy les questions des spectateurs.
Voilà que la première question sortait du haut-parleur branché sur la télévision :
— Est-ce que vous êtes heureux ici ?
— À peu près autant que je l’étais sur la Terre, répondit Billy Pèlerin (ce qui était la pure vérité).
On dénombrait cinq sexes sur Tralfamadore et à chacun revenait une étape en vue de l’élaboration d’un nouvel individu. Dans l’esprit de Billy, ils étaient identiques car les différenciations résidaient toutes dans la quatrième dimension.
Soit dit en passant, l’une des révélations les plus époustouflantes faites à Billy par les Tralfamadoriens avait trait aux besognes de reproduction sur Terre. Ils prétendaient que les équipages des soucoupes volantes n’y avaient pas identifié moins de sept sexes, tous indispensables à la conservation de l’espèce. C’est bien simple : Billy ne réussissait pas à comprendre ce que cinq de ces sept sexes avaient à voir dans la conception d’un bébé, puisque leur champ d’activité se réduisait à la quatrième dimension.
Les Tralfamadoriens tentaient de fournir à Billy des indications qui l’aideraient à se représenter l’accouplement dans l’invisible. Ils répétaient qu’aucun petit Terrien ne pouvait voir le jour sans la présence d’homosexuels masculins. Cependant l’absence de femmes homosexuelles n’empêchait pas les bébés de naître. Si les femmes de plus de soixante-cinq ans venaient à disparaître, plus d’enfants. Mais rien de semblable si c’était les hommes de même âge qui manquaient. Les nourrissons ne survivaient qu’à la condition que d’autres soient morts une heure au plus après leur naissance. C’est la vie.
C’était du chinois pour Billy.
Réciproquement, nombre de choses que racontait Billy étaient de la blague pour les Tralfamadoriens. Ils n’avaient aucune idée de sa notion du temps. Billy avait renoncé à les éclairer sur ce point. C’était au gardien, là-bas, de s’en arranger de son mieux.
Pour l’instant, ce dernier suggérait à l’auditoire d’imaginer une chaîne de montagnes située de l’autre côté d’un désert, par un jour éclatant. Ils pouvaient à volonté examiner un pic, un oiseau, un nuage, ou bien une pierre là sous leur nez, ou même les profondeurs d’un canon qui se creusait derrière leur dos. Mais ce pauvre Terrien perdu parmi eux avait la tête emprisonnée dans une sphère d’acier qu’il lui était impossible d’ôter. Elle ne possédait qu’un orifice pour le regard et un conduit de deux mètres était soudé à ce trou.
La métaphore incluait une liste beaucoup plus longue des infortunes de Billy. Des courroies l’immobilisaient contre une grille métallique rivée à un wagonnet monté sur rails et il était incapable de tourner la tête ou d’atteindre le tuyau. L’extrémité de celui-ci s’appuyait sur un support, lui aussi vissé au chariot. Billy ne distinguait qu’un point minuscule au bout de son tube. Il ne savait rien de sa position précaire, ne se rendait même pas compte de ce que sa situation avait d’étrange.