Par moments, le véhicule se traînait pour filer une seconde plus tard ou s’arrêter à de multiples reprises : il grimpait, dégringolait, enfilait des lignes droites, amorçait des tournants. Quel que soit le spectacle offert au malheureux Billy à travers sa lorgnette, il ne pouvait que rabâcher : « C’est comme ça. »
Billy comptait bien épater les Tralfamadoriens et leur faire peur au récit des guerres et autres formes de meurtre pratiquées sur Terre. Il pensait les amener à craindre que la férocité, alliée à l’impressionnant arsenal des Terriens, ne parviennent à détruire, en partie ou totalement, le doux univers sans reproche. C’était la science-fiction qui l’influençait ainsi.
Mais personne n’avait soulevé la question de la guerre avant que Billy ne le fît lui-même. Quelqu’un dans le public lui demanda, par l’intermédiaire du gardien, quelle était la connaissance la plus précieuse qu’il avait acquise à ce jour et Billy de pérorer :
— Comment les habitants de toute une planète pourraient-ils vivre en paix ! Vous savez tous que celle dont je suis originaire est occupée depuis la nuit des temps à des massacres sans rime ni raison. J’ai vu de mes propres yeux des cadavres d’écolières ébouillantées vivantes dans un château d’eau par mes concitoyens, très fiers, à l’époque, de lutter contre le mal à l’état pur.
C’était véridique. Billy avait eu droit au spectacle des corps bouillis à Dresde.
— Et j’ai, de nuit, cherché mon chemin, au fond d’une prison, avec des bougies confectionnées à partir de la graisse d’êtres humains assassinés par les pères et les frères des écolières brûlées vives. Les Terriens sont sûrement la terreur de l’univers. Si le reste du système solaire ne court pas de danger immédiat du fait de la Terre, cela ne saurait tarder. Confiez-moi votre secret que je l’emporte chez moi afin de nous sauver tous : comment tout un monde peut-il subsister en paix ?
Billy était conscient de l’élévation de son discours. Il fut sidéré car les Tralfamadoriens fermaient sur leurs yeux leurs petites mains. L’expérience lui avait enseigné ce que cela signifiait : il disait des conneries.
— Voudriez... voudriez-vous me dire... ce qu’il y a là-dedans de si bête ? (Tombé de toute sa hauteur, il s’adressa au gardien.)
— La fin de l’univers n’est pas un secret, assura le gardien, et la Terre n’y est pour rien, si l’on néglige le fait qu’elle aussi est anéantie.
— Alors, comment cela se produit-il ?
— Nous faisons tout sauter au cours d’expériences sur de nouveaux combustibles pour nos soucoupes volantes. Un pilote d’essai tralfamadorien appuie sur un bouton et la Création s’évanouit.
C’est la vie.
— Si vous êtes au courant, reprit Billy, n’y a-t-il pas un moyen de prévenir le désastre ? Comment dissuader le pilote de mettre le doigt sur le bouton ?
— Son doigt est dessus depuis toujours et y demeurera à jamais. Cela fait partie de la structure même du moment.
— Ainsi..., Billy en bafouillait... je suppose que l’idée d’éviter la guerre sur Terre ne tient pas debout non plus.
— C’est évident.
— Et pourtant la paix règne ici.
— Aujourd’hui. D’autres jours nous traversons des guerres aussi horribles que toutes celles que vous avez vues ou qu’on vous a racontées. Nous n’y pouvons rien et en conséquence nous en détournons les regards. Nous traitons ces peccadilles par le mépris. Nous consacrons l’éternité à l’observation d’heures agréables. Comme celle-ci par exemple. Elle ne vous plaît pas ?
— Si.
— Voilà une chose que les Terriens pourraient apprendre à faire s’ils s’y appliquaient suffisamment : négliger les instants pénibles et profiter à fond des bons moments.
— Hum, dit Billy Pèlerin.
À peine endormi ce soir-là, Billy a remonté le temps jusqu’à un moment pas déplaisant du tout, sa nuit de noces avec celle qui répondait auparavant au nom de Valencia Merble. Il avait quitté l’hôpital militaire depuis six mois. Il se portait comme un charme. Il était sorti troisième sur quarante-sept de l’école d’opticiens d’Ilium.
Il était au lit avec Valencia dans un ravissant studio planté au bout d’une jetée du cap Anne, dans le Massachusetts. De l’autre côté de l’eau scintillaient les lumières de Gloucester. Billy était grimpé sur Valencia et lui faisait l’amour. L’une des conséquences de cet acte serait la naissance de Robert Pèlerin qui ne ferait jamais rien de bon au lycée mais deviendrait quelqu’un de bien après son engagement chez les Bérets verts.
Valencia n’était pas douée pour les voyages dans le temps mais elle ne manquait pas d’imagination. Tandis que Billy lui faisait l’amour, elle s’imaginait être une héroïne du passé. Elle était Elisabeth Ire d’Angleterre et Billy était censé être Christophe Colomb.
Billy a émis un son de petite charnière rouillée. Il venait de vider ses vésicules séminales dans l’intérieur de Valencia et de payer son écot au corps des Bérets verts. Si l’on en croyait les Tralfamadoriens, le para totaliserait sept parents.
Il a basculé de dessus sa gigantesque femme dont l’expression d’extase ne s’en trouva pas modifiée pour autant. Il a aligné les boutons de bottine de sa colonne vertébrale parallèlement au bord du matelas et a croisé les mains sous sa tête. Il était à son aise maintenant. C’était sa récompense pour avoir épousé une fille dont personne d’un peu sensé n’aurait voulu. Son beau-père lui avait fait cadeau d’une Buick toute neuve, d’un appartement presse-bouton et l’avait placé à la tête de son cabinet le plus prospère, celui d’Ilium, où Billy pouvait compter ramasser au moins trente mille dollars par an. C’était épatant. Après tout, son père n’était que coiffeur.
Comme l’affirmait sa mère : « Les Pèlerin font leur chemin dans le monde. »
La lune de miel se teintait des mystères d’un été indien doux-amer comme en connaît la Nouvelle-Angleterre. Le nid des amoureux possédait une cloison romantique entièrement composée de portes-fenêtres. Elles s’ouvraient sur un balcon qui dominait la flaque d’huile du port.
Une drague vert et orange qui se détachait dans la nuit en ombre chinoise dépassa leur balcon en ahanant, à moins de dix mètres de la couche nuptiale. Elle gagnait la haute mer guidée par ses seuls feux réglementaires. Les cales vides résonnaient, donnaient richesse et profondeur au chant des machines. Le quai entonna la même chanson et la tête de lit des amants se mit à l’unisson. Elle garda la note longtemps après que la drague se fut éloignée.
— Merci, a proféré Valencia. (Le bois de lit bourdonnait comme un moustique.)
— Je t’en prie.
— C’était bien bon.
— Tant mieux.
Puis elle a commencé à pleurer.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Je suis si heureuse.
— Alors c’est parfait.
— Je ne croyais pas que quelqu’un m’épouserait.
— Hum, a conclu Billy Pèlerin.
— Je vais maigrir pour te faire plaisir.
— Quoi ?
— Je vais suivre un régime. Tu verras comme je deviendrai belle pour te plaire.
— Je t’aime bien comme tu es.
— C’est vrai ?
— Oui.
Billy Pèlerin avait déjà contemplé une bonne partie de leur mariage grâce à ses excursions dans le temps et savait que ce serait tout au long supportable.