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— Quel chauffage ?

— La chaudière, la machine au sous-sol qui fabrique l’air chaud qui monte par les bouches de chaleur. Je n’ai pas l’impression que ça fonctionne.

— Peut-être que non.

— Tu n’as pas froid ?

— Je ne m’en étais pas aperçu.

— Dieu du ciel, quel gosse tu fais ! Si on te laisse seul ici, tu vas périr de froid, périr de faim.

Et tout et tout. Ça la titillait de le dépouiller de son amour-propre sous prétexte de piété filiale.

Barbara téléphona aux fumistes, força Billy à se coucher et lui fit promettre de conserver la couverture électrique jusqu’à ce que tout soit en ordre. Elle tourna le thermostat de la couverture au cran le plus élevé, tant et si bien qu’on aurait pu faire frire un oeuf dans le lit de Billy.

Quand Barbara est partie en claquant la porte, Billy a regagné le zoo de Tralfamadore. De la Terre, on venait de lui amener une compagne. C’était Montana Patachon, la vedette de cinéma.

Montana est bourrée de calmants. Des Tralfamadoriens munis de masques à gaz la transportent à l’intérieur, l’installent sur le fauteuil relax jaune de Billy, se retirent à travers le sas pneumatique. Dehors, la foule se réjouit. Les records d’entrée au zoo ont été pulvérisés. Pas un habitant de la planète qui veuille manquer l’accouplement des Terriens.

Montana est nue, et Billy aussi, évidemment. Il faut avouer qu’il a un scoubidou de belle taille. On ne peut jamais prévoir qui gagnera le gros lot.

La voilà qui bat des paupières. Ses cils sont effilés comme des lanières de fouet.

— Où suis-je ? s’informe-t-elle.

— Tout va bien, la rassure Billy avec douceur. Je vous en prie, n’ayez pas peur.

Montana ne s’est rendu compte de rien au cours de son voyage. Les Tralfamadoriens ne lui ont pas parlé, ne se sont pas montrés à elle. Le dernier épisode dont elle se souvient est un bain de soleil au bord d’une piscine à Palm Springs, en Californie. Montana n’a que vingt ans. Au cou, elle porte une chaîne d’argent à laquelle pend un médaillon en forme de coeur. Logé entre ses seins.

Elle tourne la tête, découvre les myriades de Tralfamadoriens qui se pressent contre la paroi du dôme. Ils applaudissent en ouvrant et fermant vivement leurs petites mains vertes.

Montana hurle à pleine gorge.

Toutes les petites pattes vertes se serrent bien fort car sa terreur n’est pas belle à contempler. Le directeur du zoo jette l’ordre à un conducteur de grue campé là d’abaisser un dais bleu sur la coupole afin de la plonger dans un simulacre de nuit terrienne. La vraie nuit ne s’étend sur le zoo que pendant une heure terrienne toutes les soixante-deux.

Billy allume un lampadaire. La lumière, issue d’une source unique, donne un relief aigu aux formes baroques du corps de Montana. Cela rappelle à Billy l’architecture extravagante de Dresde avant le bombardement.

Avec le temps, Montana en vint à aimer Billy et lui accorda sa confiance. Il ne l’avait jamais touchée avant qu’elle ne manifeste clairement qu’elle n’était pas rebelle. Après un séjour sur Tralfamadore équivalent à une semaine terrienne, elle a timidement exprimé le désir qu’il couche avec elle. Il s’est exécuté. Ce fut divin.

Billy est passé de cette couche de délices à un lit de l’année 1968. Son propre lit à Ilium, et la couverture électrique chauffait à mort. Il était baigné de sueur, une lueur vacillait dans son esprit : sa fille le fourrait au lit, lui conseillait d’y rester jusqu’à ce que la chaudière soit réparée.

On frappait à la porte de sa chambre.

— Oui ? grogna Billy.

— C’est le fumiste.

— Oui ?

— Ça marche au poil maintenant. La chaleur monte.

— Bon.

— Une souris avait grignoté un fil du thermostat.

— Sans blague !

Billy a reniflé. Son lit bouillant sentait la champignonnière. Il avait fait un rêve érotique où figurait Montana Patachon.

Le lendemain matin, Billy a décidé de retourner à son cabinet du centre commercial. Les affaires prospéraient, comme de coutume. Ses assistants se débrouillaient fort bien. Son apparition les fit sursauter. Sa fille leur avait confié qu’il ne reprendrait peut-être jamais le travail.

Mais Billy pénétrait dans la salle de consultation d’un pas léger, les priant d’introduire le premier client. Ils lui dépêchèrent un petit garçon de douze ans accompagné de sa mère veuve. C’était de nouveaux venus, inconnus à Billy. Il leur posa quelques questions, apprit que le père du gamin avait été tué au Vietnam, dans une mémorable bataille de cinq jours dont l’enjeu était la butte 875, près de Dakto. C’est la vie.

Tout en examinant les yeux de l’enfant, Billy lui contait d’un air détaché ses aventures à Tralfamadore. Il assurait à l’orphelin que son père était encore bien vivant dans certains fragments du temps dont il aurait maintes occasions d’être témoin.

— Ça te console, n’est-ce pas ? demanda Billy.

C’est à ce moment-là que la mère a battu en retraite et déclaré à la réception que Billy, à n’en pas douter, perdait la boussole. On a reconduit Billy chez lui. Sa fille a entonné de plus belle sa litanie :

— Papa, papa, qu’est-ce qu’on va bien faire de toi ?

6

Et alors :

Billy dit qu’on l’a envoyé à Dresde, en Allemagne, le lendemain de son injection de morphine dans l’enclave britannique, au centre du camp d’extermination de prisonniers russes.

Billy a fait surface à l’aube de ce jour de janvier. Le petit hôpital ne possède aucune fenêtre et les chandelles fantomatiques se sont éteintes. La seule lumière provient de trous en têtes d’épingle percés dans les murs et du rectangle imparfait qui encadre la porte mal ajustée. Paul Lazzaro, ce bout d’homme avec un bras cassé, ronfle dans un lit. Dans un autre il y a Edgar Derby, le professeur qui finira devant le peloton.

Billy se redresse. Il ignore complètement sur quelle planète et en quelle année il se trouve. Quel que soit le nom de cet astre, il y fait froid. Pourtant ce n’est pas la température qui a éveillé Billy. C’est un magnétisme d’origine animale qui le chatouille de partout, le fait frissonner. Cela lui cause des douleurs au plus profond des muscles, comme s’il s’était livré à des exercices violents.

Cette influence bizarre naît derrière son dos. Si on demandait à Billy d’en deviner la source, il jurerait qu’un vampire pend la tête en bas, le long du mur.

Billy rampe jusqu’à l’extrémité de son lit de camp se préparant à faire volte-face pour voir de quoi il s’agit. Il ne tient pas à ce que le monstre lui tombe sur la figure et se mette à lui arracher les yeux ou lui dévorer le nez. Puis il pivote sur lui-même. Le point de départ des radiations a vraiment l’allure d’une chauve-souris. C’est le manteau d’imprésario de Billy, avec son col de fourrure. Il est accroché à un clou.

Maintenant Billy recule vers l’objet, en le surveillant par-dessus son épaule ; il sent croître la puissance d’attraction. Il affronte la chose, agenouillé sur la couverture, s’enhardit jusqu’à la tâter ici et là. Il s’efforce de déterminer avec précision l’endroit d’où jaillissent les ondes.

Il localise deux petites bricoles, deux menues bosses distantes de deux centimètres et dissimulées dans la doublure. L’une d’elles est en forme de pois. L’autre imite un minuscule fer à cheval. Billy capte un message transmis par le fluide. On lui enjoint de ne pas se préoccuper de ce que sont les excroissances. Qu’il se contente de savoir qu’elles peuvent accomplir des miracles en sa faveur tant qu’il ne s’interroge pas trop sur leur nature. Billy Pèlerin n’a aucune objection. Il est plein de gratitude. Il est tout content.