Выбрать главу

À la minute où s’effectuait le constat de décès de Valencia, Lily pénétrait dans la chambre commune à Billy et Rumfoord, croulant sous le poids d’une pile de livres. Rumfoord l’avait chargée de les acheter à Boston. Il travaillait à une histoire en un seul volume de l’Armée de l’Air américaine pendant la Seconde Guerre mondiale. Lily n’était même pas née quand s’étaient déroulés les bombardements et les batailles aériennes dont traitaient ces bouquins.

— Les gars, allez-y sans moi, délirait Billy quand la jolie petite Lily se présenta.

Elle était entraîneuse quand Rumfoord l’avait rencontrée et avait décidé d’en faire sa femme. Elle n’avait jamais pu terminer le lycée. Son quotient intellectuel ne plafonnait pas très haut.

— Il me flanque la chair de poule, confiât-elle à son mari au sujet de Billy Pèlerin.

— Et moi, il me rase à mourir, tonna Rumfoord. Il n’arrête pas, dans son sommeil, d’abandonner, de se rendre, de s’excuser et d’implorer qu’on lui fiche la paix.

Rumfoord était tout à la fois général de brigade en retraite des forces aériennes, historien officiel de l’Armée de l’Air, professeur titulaire d’une chaire, auteur de vingt-six ouvrages, multimillionnaire depuis sa naissance et l’un des meilleurs navigateurs de compétition de tous les temps. Son livre le plus connu traitait des règles d’or de la vie sexuelle et sportive pour tout homme de plus de soixante-cinq ans. Il en était à citer Theodore Roosevelt dont il tenait par bien des côtés :

— Je pourrais tailler un homme mieux foutu que lui dans une banane.

La liste des documents à rapporter de Boston comportait un exemplaire du discours dans lequel le président Harry S. Truman divulguait à l’humanité qu’une bombe atomique avait frappé Hiroshima. Lily s’en était procuré une copie et Rumfoord lui demanda si elle l’avait lu.

— Non.

Elle ne lisait pas couramment, et c’est une des raisons pour lesquelles elle avait renoncé à ses études.

Rumfoord la pria expressément de s’asseoir et de le parcourir sur-le-champ. Il ne savait rien de ses difficultés à déchiffrer. Il n’avait sur elle que des lumières restreintes mais elle constituait, face au monde, une preuve supplémentaire de sa vitalité.

Lily prit un siège et fit semblant de se plonger dans les élucubrations de Truman, qui donnaient à peu près ceci :

Il y a seize heures qu’un avion américain a largué une bombe sur Hiroshima, une base importante de l’armée japonaise. Cette unique bombe était plus efficace que vingt mille tonnes de T.N.T. Elle possédait plus de deux mille fois la capacité d’explosion du Grand Chelem britannique, le plus gros engin jamais utilisé dans l’histoire de la guerre. Ce sont les Japonais qui ont déclenché la première attaque aérienne à Pearl Harbor. Nous leur avons rendu la pareille, et avec les intérêts. Mais ce n’est que le début. Cette bombe ajoute une puissance de destruction radicalement nouvelle à la force de frappe grandissante de nos armées. Elle en est au stade de la production industrielle, sous la présente forme, et à celui de l’expérimentation sous des formes plus redoutables encore.

Il s’agit d’une bombe atomique. En elle est maîtrisée l’énergie fondamentale de l’univers. La puissance dont le soleil tire son pouvoir se déchaîne sur ceux qui ont porté la guerre en Extrême-Orient.

Avant 1939, les savants s’accordaient à penser qu’on pouvait en théorie libérer l’énergie atomique. Mais personne ne détenait de méthode utilisable dans la pratique. Dès 1942 cependant, nous savions que les Allemands cherchaient fiévreusement à ajouter la désintégration de l’atome à toutes les machines de guerre grâce auxquelles ils comptaient réduire le monde en esclavage. Ils ont échoué. Remercions la Providence de ce que le Reich n’a disposé de V1 et V2 que fort tard et en nombre limité, et plus encore de ce qu’il n’a jamais acquis la bombe atomique.

La bataille des laboratoires comportait des risques aussi grands pour nous que les combats terrestres, aériens ou navals ; nous l’avons emporté dans les laboratoires comme ailleurs.

Nous sommes maintenant en mesure de faire disparaître plus rapidement et plus complètement tous les centres de production que les Japonais ont érigés en surface dans n’importe quelle ville, affirmait Harry Truman. Nous raserons leurs docks, leurs usines et leurs voies de communication. Qu’on ne s’y trompe pas : nous réduirons à zéro le potentiel de guerre nippon. C’est dans le but d’épargner...

Et ainsi de suite.

Parmi les livres que Lily s’était procurés pour Rumfoord figurait La Destruction de Dresde, d’un Anglais du nom de David Irving. C’était une édition américaine publiée par Holt, Rinehart et Winston en 1964. Ce qui intéressait Rumfoord, c’était des extraits des préfaces de ses amis Ira C. Eaker, général en retraite, anciennement chef de division de l’Armée de l’Air américaine, et Sir Robert Saundby, général de l’Armée de l’Air britannique, chevalier commandeur de l’ordre du Bain, chevalier de l’ordre de l’Empire britannique, croix de guerre, Distinguished Flying Cross, Air Force Cross.

Je les trouve difficiles à comprendre ces Anglais ou ces Américains qui se lamentent sur le sort des victimes civiles ennemies mais n’ont pas une larme pour nos vaillants équipages disparus en luttant contre un adversaire féroce, écrivait quelque part son ami le général Eaker. Je maintiens que Monsieur Irving aurait bien dû, tout en traçant le tableau horrible de la mort des habitants de Dresde, garder à l’esprit le fait que des V1 et V2 se déversaient au même instant sur l’Angleterre, massacrant sans discernement les civils, hommes, femmes et enfants ; ce pour quoi d’ailleurs on les avait conçus et lancés. Peut-être serait-il bon de se souvenir aussi de Buchenwald et de Coventry. L’introduction d’Eaker se terminait ainsi : Je regrette profondément que les bombardiers britanniques et américains aient tué 135 000 personnes dans le bombardement de Dresde, mais je n’ai pas oublié qui a provoqué la dernière guerre et je déplore beaucoup plus encore la perte de cinq millions de vies alliées au cours de l’effort déployé pour vaincre le nazisme et en extirper jusqu’aux racines.

C’est la vie.

Quant au général Saundby, entre autres, il disait ceci :

Nul ne peut nier que le bombardement de Dresde fut une tragédie. Après la lecture de ce livre, peu croiront qu’il ait relevé d’une impérieuse nécessité militaire. Ce fut un de ces événements épouvantables qui se produisent parfois en temps de guerre et sont le résultat d’un malheureux concours de circonstances. Ceux qui donnèrent leur approbation n’étaient ni pervers ni cruels ; en revanche, il se peut qu’ils aient été trop éloignés des implacables réalités de la guerre pour concevoir pleinement l’impitoyable pouvoir destructeur atteint par les bombardements aériens au printemps de 1945.

Les tenants du désarmement nucléaire semblent convaincus que s’ils parvenaient à leurs fins, la guerre serait contenue dans des limites tolérables. Qu’ils étudient ce livre et se penchent sur l’exemple de Dresde où une attaque aérienne menée avec des armes conventionnelles fit 135 000 victimes. Dans la nuit du 9 mars 1945, un raid lancé sur Tokyo par des bombardiers lourds américains chargés de bombes incendiaires et explosives causa la mort de 83 793 personnes. La bombe atomique larguée sur Hiroshima en tua 71 379.