Выбрать главу

« Désolé, mais vous restez ici », siffla-t-il avec un sourire venimeux.

Les hommes des premiers rangs se consultèrent du regard, puis quelques-uns d’entre eux, les yeux flamboyants, les poings fermés, s’approchèrent de la passerelle. Verna les arrêta d’un mouvement du bras.

« Obéissez à votre prima si vous ne voulez pas finir avec un trou dans la tête ! glapit Sigmon.

— Tu te décides à tomber le masque, Sigmon ? »

Aucune peur, aucune colère dans la voix de Verna. Le technicien la couvrit d’un regard à la fois intrigué et méprisant. Le vent soulevait quelques mèches de sa chevelure noire et dressait des cornes éphémères de chaque côté de sa tête.

« J’en avais assez de cette sinistre comédie ! cracha-t-il. Mes vrais passagers ne devraient plus tarder à arriver.

— Des dioncles et autres personnalités du Nord, n’est-ce pas ? »

Il se fendit d’une révérence grotesque.

« Je rends hommage à ta perspicacité, vieille sorcière.

— Tu pourras peut-être tuer vingt d’entre nous, trente en étant optimiste, mais nous finirons par te submerger. »

Il eut un petit rire étranglé.

« D’abord il faudrait que trente d’entre vous acceptent de se sacrifier. Ensuite il faudrait que je sois seul. »

D’autres hommes, une dizaine, s’écartèrent de la multitude, se disposèrent en divers endroits du hangar et brandirent également des foudroyeurs. Des murmures de dépit, des gémissements s’élevèrent de la foule pétrifiée.

« Les voici donc, les serpensecs que nous avons abrités en notre sein, lança Verna. Les hommes qui mangeaient, qui dormaient sous notre toit, qui osaient nous regarder dans les yeux.

— Et qui vous baisaient la main, prima ! ricana Sigmon. Certains oiseaux fabriquent les nids, d’autres les parasitent, ainsi va la vie. Les moncles voulaient un vaisseau interstellaire mais ils consacrent leur temps et leur argent à la guerre contre la coalition des satellites. Pourquoi crois-tu qu’ils n’ont pas bougé pendant trois siècles ? Ils m’ont fourni ce dont j’avais besoin, les nouvelles technologies magnétic, ils ont laissé l’arche financer les travaux et ont eux-mêmes organisé le trafic des matériaux, y compris le voleur de temps. Il n’y a pas de petit profit.

— Trois siècles, c’est long. Les robes-noires auraient gagné du temps s’ils avaient été les maîtres d’œuvre du chantier…

— Ils étaient les maîtres d’œuvre ! Mais un chantier officiel serait devenu la cible privilégiée de leurs adversaires. Avec l’arche de Mald Agauer, ils avaient une garantie de tranquillité. Qui aurait soupçonné qu’un vaisseau se fabriquait sur la banquise du péripôle ? De plus, l’Invostex & Cie est passée sous le contrôle de la coalition : toutes ses activités sont désormais concentrées sur le Voxion, à cause de la faible gravité. Mais, à chaque fois qu’elle se lance dans la construction d’un nouveau vaisseau, le Moncle s’arrange pour le bombarder. C’est peut-être long, trois siècles, mais nous avons maintenant une sacrée avance. Nous serons les premiers à mettre les pieds sur le nouveau monde. Et c’est cette chère Mald Agauer qui a tout financé !

— Tu oublies L’Estérion, il me semble. »

Sigmon mima l’explosion en écartant largement les bras et en soufflant sur des cendres imaginaires. Le canon de son foudroyeur accrocha un éclat de lumière qui caressa furtivement le fuselage lisse et blanc de l’Agauer.

« Tu n’es pourtant pas un moncle, Sigmon », ajouta Verna.

Il parut reprendre conscience de la présence de la vieille femme, la dévisagea d’un air hargneux.

« Je suis un clone, Verna Zalar. Un fils de l’éprouvette, un mutant-tec. L’ère humaine s’achèvera avec la disparition d’Ester. Le nouveau monde consacrera l’avènement des clones.

— Pauvre fou, fit Verna. En reniant les humains, c’est vous-mêmes que vous reniez.

— Épargne-moi tes discours de mentaliste, vieille putain ! rugit Sigmon. C’est ce que tu étais à Gloire-de-l’Un, non ? Vous entendez, vous autres ? Votre prima n’était qu’une petite pute à deux estes la passe ! Ton temps est fini : tu as suffisamment pourri la vie des autres. »

Il braqua le canon de son arme sur Verna. Elle ne recula pas, le fixa avec un petit sourire.

« Qu’est-ce que tu attends pour tirer, Sigmon ? »

Il pressa nerveusement la détente mais aucune onde ne surgit de la bouche du foudroyeur. Il lâcha un juron, s’obstina, des cliquetis dérisoires s’envolèrent dans l’air glacial du hangar. Il releva la tête, chercha ses complices des yeux, leur ordonna de faire feu. Ils levèrent leurs armes, débloquèrent les crans de sûreté, couchèrent en joue les hommes, les femmes, les enfants les plus proches, n’obtinrent pour tout résultat qu’une série de déclics qui égrenèrent leurs notes métalliques au-dessus de leurs têtes.

« Vous êtes négligents, reprit Verna. Vous avez oublié de vérifier les magasins magnétic de vos armes.

— Encore un de tes coups, hein ? fulmina Sigmon.

— Une simple précaution. Un accident est si vite arrivé.

— Depuis combien de temps est-ce que tu savais ? »

Il ressemblait désormais à un enfant perdu. Le foudroyeur pendait au bout de son bras et raclait le plancher métallique de la passerelle. En contrebas, des hommes armés de couteaux étaient sortis des rangs pour se regrouper autour de ses complices et leur interdire toute fuite.

« Tu veux dire : depuis combien de temps est-ce que nous savions ? répondit Verna. Depuis le début. Nous avions besoin de matériaux, de plans, de techniciens, le Moncle nous les fournissait. Payer des sommes exorbitantes aux robes-noires ou aux réseaux de contrebandiers, quelle différence ? Avec l’Église, au moins, nous avions certaines garanties.

— Sans moi, vous ne pourrez jamais faire décoller l’Agauer, se rebiffa Sigmon.

— Nul n’est indispensable. Nous avons nourri les serpensecs tant que nous en avions besoin, mais aujourd’hui ils ne nous sont plus d’aucune utilité. Nous avons formé nos propres techniciens, nos propres pilotes.

— Les légions volantes du Moncle seront là d’un moment à l’autre.

— Elles ne se présenteront que demain. Nous avons différé le rendez-vous d’un jour.

— Impossible ! J’étais leur seul contact !

— Les conversations télémentales se prêtent à merveille aux manipulations. J’ai vécu trois cent dix ans et, avant de faire la putain, j’étais un membre actif et même brillant du mouvement mentaliste. Crois-moi, tes amis moncles ne viendront pas te sauver. »

Elle fit un signe de tête et deux Kroptes s’engagèrent sur la passerelle. Sigmon courut en direction du sas mais deux autres Kroptes surgirent du vaisseau et lui en fermèrent l’accès. Il lança sur les environs un regard d’animal traqué, empoigna la barre supérieure du garde-corps, prit son élan. Un Kropte l’agrippa par le pied avant qu’il n’ait le temps de sauter, un autre le saisit par le bras, un troisième l’immobilisa en lui appuyant la pointe d’un couteau sur la gorge, puis ils le traînèrent en bas de la passerelle.