Выбрать главу

Chara consulta Laed du regard. Il commençait déjà à dégrafer les attaches extérieures de sa combinaison.

« Je ne t’oblige à rien, Chara…

— Personne ne m’a jamais obligée à quoi que ce soit, Laed Haudebran ! »

Elle retira sa combinaison avec des gestes nerveux, rageurs. Elle ne portait en dessous qu’une courte robe sans manches d’où s’évadaient des jambes musclées. Elle la fit passer par-dessus sa tête, dévoilant un corps presque aussi blanc que le visage de l’androïde. Laed la contempla pendant quelques secondes avant de se dévêtir, refoula la tentation de poser la main sur ses seins ronds et fermes.

Deux petites machines surgirent dans la pièce, précédées d’un grésillement étouffé. Surprise, Chara eut un mouvement de recul, se prit les pieds dans sa combinaison, s’agrippa au bras de Laed pour ne pas tomber.

« Robots ménagers de la première génération, précisa l’androïde. Chargés d’éliminer les foyers de germes, virus, bactéries, protistes. Les micro-organismes risqueraient à terme d’infecter les liquides matriciels et de perturber les échanges entre les différents éléments de l’analyseur central. »

Des volets s’ouvrirent sur le flanc arrondi de l’une des machines, des bras articulés en jaillirent, des pinces à six doigts saisirent les combinaisons et les vêtements, broyèrent les tubes d’oxygène, les hublots, réduisirent les étoffes en boules de la grosseur d’un poing. Puis un troisième bras articulé, plus court, ramassa un à un les éclats de verre et un quatrième s’empara du foudroyeur. La deuxième machine, plus volumineuse et de forme cylindrique, contourna Laed et Chara, se plaça devant la brèche, expulsa deux tuyaux télescopiques. L’un cracha une longue flamme bleutée, bourdonnante, l’autre vomit une matière flasque qui durcit rapidement et combla peu à peu l’ouverture.

« Suivez-moi », ordonna l’androïde.

Laed et Chara lui emboîtèrent le pas. Il marchait sans bruit, d’une allure aérienne accentuée par les ondulations de sa cape. Il les entraîna dans une première pièce où une dizaine de robots s’affairaient devant des tables jonchées de plaques dorées et minuscules.

« Atelier de réparation, commenta l’androïde. Les analyseurs consomment une grande quantité de nanotecs. »

La pièce suivante était entièrement occupée par une immense caisse noire traversée par deux passages étroits où luisaient des rangées de veilleuses rouges.

« L’un des sept vérificateurs sanitaires. Il va analyser vos germes, préparer une solution chimique adaptée, la pulvériser dans tout le poste de commande. Prenez chacun un couloir et n’en sortez que lorsque vous en recevrez l’ordre. L’analyse prendra quinze secondes. »

Laed discerna de l’inquiétude dans le regard de Chara. Lui-même n’était guère rassuré mais il s’efforçait de ne pas le montrer. Lorsqu’il s’avança, il eut l’impression de s’enfoncer dans la gueule d’un monstre des légendes astafériennes, qu’Abzalon décrivait comme des êtres aux mâchoires gigantesques, aux pattes griffues et à la peau écailleuse, et il éprouva la même sensation de terreur que lorsqu’il était suspendu, enfant, à la voix grave de son grand-père. Il s’immobilisa au milieu du passage sur une vitre circulaire éclairée par une lumière douce. Un courant frais lui effleura le visage, des picotements montèrent de ses pieds, grimpèrent le long de ses jambes, se répandirent sur son bassin, sur son torse, sur ses épaules. Il n’éprouva aucune douleur, seulement le sentiment désagréable d’être fouillé, évalué. Au bout d’une quinzaine de secondes, les veilleuses virèrent au jaune.

« Avancez », dit l’androïde resté en arrière.

Lorsque Laed et Chara furent passés de l’autre côté de la machine, il s’engagea lui-même dans l’un des deux couloirs, s’arrêta sur la vitre lumineuse, attendit, pour les rejoindre, que les veilleuses aient changé de couleur.

Ils remontèrent une coursive incurvée où des appliques, réparties tous les deux mètres, diffusaient un éclairage tamisé. Elle débouchait sur une gigantesque salle en forme de coupole. Le regard de Laed fut immédiatement attiré par les fenêtres colorées serties dans le tablier métallique d’une large table semi-circulaire.

« Les trente écrans de contrôle, souligna l’androïde. Ils nous permettent de vérifier à tout instant les paramètres du vol et l’évolution des variables du vaisseau : population, foyers d’épidémies, stocks alimentaires, oxygène, évacuation, pour n’en citer que quelques-uns. Nous communiquons directement avec l’analyseur central par les nanotecs. »

D’autres meubles et objets étranges peuplaient la salle où ne traînait pas un grain de poussière, des robots s’agitaient sans un bruit derrière des ouvertures ogivales, des serpents étincelants sinuaient dans les rainures du plancher. Laed n’y prêtait pas attention : il fixait jusqu’au vertige la baie concave qui couvrait pratiquement toute la cloison du fond.

« Le joyau de L’Estérion, affirma l’androïde. Son vitrail spatial. Seize épaisseurs d’un verre plus solide que le milénarium. Léger effet de loupe permettant de corriger la distorsion du bouclier magnétic.

— Vous lisez dans mes pensées ? grommela Laed.

— Pas tout à fait. Nous disposons d’un programme destiné à décoder les expressions humaines, l’intensité du regard, les mouvements des lèvres, le comportement. J’ai été conçu par l’AndroVox mais modifié par une équipe de l’Hepta.

— L’Hepta ?

— Le mouvement mentaliste.

— Qu’est-ce que c’est ? Tous ces points lumineux ? »

Le bras de l’androïde jaillit de l’échancrure de sa cape, se pointa avec une lenteur solennelle vers la baie vitrée.

« Les étoiles. »

Laed et Chara contournèrent la table semi-circulaire, se précipitèrent vers la baie, collèrent leur nez sur le verre.

« Mon Dieu, Laed, s’écria Chara. C’est… c’est l’espace. »

CHAPITRE XXI

L’ARCHANGE

Elle vient, j’entends son pas, je sens son souffle. Je ne suis plus raccroché à la vie que par le doux fil d’encre qui s’écoule de ma plume.

L’écriture est sans doute ce que je regretterai le plus lorsque la visiteuse aura posé la main sur mon épaule. J’abandonnerai mon nécessaire, mon cher journal, l’odeur particulière de l’encre, le crissement musical de la plume sur le papier. Mon existence se sera résumée à quelques lignes jetées sur des pages inutiles. Je n’aurai pas eu d’influence sur les événements, ou si peu : j’aurai conduit les épouses et les ventres-secs par le passage de la troisième cuve, j’aurai tué le moncle Gardy, épousé le cours des événements avec un sens aigu de l’opportunisme, telles auront été mes seules contributions à l’aventure des maudits d’Ester.

Les dieux, l’Omni, l’Un, l’ordre cosmique, l’Astafer, l’ordre invisible ont finalement accordé leur bénédiction à ces maudits-là : nous avons appris, d’abord par l’intermédiaire d’Ellula, par nos nouveaux correspondants ensuite, que l’océan Osqval avait submergé les continents Nord et Sud et exterminé des milliards d’Estériens. Les satellites Xion et Vox sont devenus les derniers refuges du système d’Aloboam, des refuges inconfortables, ô combien ! Les biosphères n’auront jamais l’attrait ni la majesté de l’océan bouillant, des vastes plaines, des massifs montagneux, des fleuves paisibles, des déserts brûlants… Le peuple estérien, du moins ce qu’il en reste, est désormais condamné à survivre dans de misérables bulles jusqu’à la dilatation de l’A. Juste retour des choses. (Tu juges, Artien…)

Laed, le petit-fils d’Abzalon, m’a procuré une grande joie l’autre jour. Chara et lui s’étaient introduits dans le poste de pilotage et en étaient ressortis au bout de six mois, alors qu’on les croyait définitivement disparus.