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Il finit par s’arrêter, s’orienter et prendre la direction du seul compartiment où il pourrait profiter d’une sagesse que nul autre ne saurait lui dispenser dans la flotte.

Tout en bas, enfouies aussi profondément au cœur de l’Indomptable qu’un compartiment pouvait l’être et non moins bien protégées que le reste du vaisseau, se trouvaient les petites chambres où l’on pouvait puiser réconfort et inspiration. Geary se demandait encore pourquoi il s’y rendait à présent. Voir le commandant de la flotte faire preuve d’une piété bienvenue ne pouvait sans doute pas nuire à l’équipage, au contraire, mais Geary avait toujours trouvé embarrassant tout ce qui ressemblait à un témoignage public d’adoration. En outre, si la flotte en concluait qu’il aspirait davantage, et désespérément, à un conseil éclairé qu’il n’était poussé par la piété, cette initiative risquait de se retourner contre lui. D’autant que c’était partiellement vrai.

Il ferma la porte et s’assit sur le traditionnel banc de bois d’un des minuscules habitacles, le regard rivé sur la flamme vacillante de la chandelle qu’il avait allumée pour aider les esprits de ses ancêtres à se réchauffer. « Autant que je sache, finit-il par déclarer à haute voix, aucun de vous n’a jamais été un chef militaire légendaire. J’ignore encore pourquoi je me suis retrouvé affublé de ce titre. Tout ici se ligue contre nous : nos réserves de cellules d’énergie sont si basses que je ne peux me permettre aucune manœuvre fantaisiste pour duper les Syndics, et l’ennemi a visiblement étudié mes tactiques de combat et s’efforce de les contrecarrer. Je crains fort que l’issue la plus propice pour la flotte ne soit une victoire à la Pyrrhus. La moins favorable… »

Il haussa les épaules. « Il me faut une idée nouvelle. Inattendue. La seule qui me vienne à l’esprit et que nous autoriserait la situation logistique, ce serait de prendre l’ennemi par surprise avec une de ces attaques auxquelles cette flotte s’était habituée, en fonçant droit dans la gueule du loup. Mais, même si ça fonctionnait, le coût en serait énorme. Mes croiseurs de combat ne tiendraient pas le choc, compte tenu des dommages qui leur ont déjà été infligés, et je ne dispose plus d’assez de cuirassés pour leur servir de boucliers. »

Il patienta un instant en regardant la bougie diminuer. « Dommage que je ne puisse me contenter de jeter mes cuirassés à la tête des Syndics, mais eux aussi ont besoin de soutien contre une telle puissance de feu ennemie. Il faudrait que les croiseurs de combat se trouvent à leurs côtés, même si charger dans un tel nid de frelons serait stupide de leur part. Mais j’ai déjà constaté que les commandants de mes croiseurs de combat continuaient de le faire en dépit de mes ordres, parce qu’ils restent persuadés que l’honneur l’exige. J’ai besoin que mes croiseurs de combat évitent de charger directement l’ennemi. Je dois frapper les Syndics avec mes cuirassés et les contraindre à s’interroger sur mes intentions. Mais le moyen de faire tout cela, surtout en évitant de rendre la bataille si complexe que je me retrouverais incapable de la contrôler ? J’ai perdu les pédales à Cavalos, je me suis laissé submerger par la complexité des combats, et je suis resté trop longtemps indécis. Si cela se reproduit ici, les conséquences pourraient être encore pires. Il me faut trouver une autre approche. »

Une approche différente. Sur quoi l’appuyer ? Quels étaient ses avantages ? Ni la supériorité numérique, ni la puissance de feu, ni les munitions, ni le carburant. Aucune base alliée à proximité. Vaisseau pour vaisseau, les bâtiments syndics étaient grossièrement comparables à leurs homologues de l’Alliance, encore que leurs avisos fussent substantiellement plus petits et moins efficaces que les destroyers de la flotte. Mais, en revanche, ils tendaient à disposer de davantage d’avisos, puisqu’ils étaient moins chers et d’une taille plus réduite. Les vaisseaux de l’Alliance étaient certes dotés d’une plus grande capacité individuelle à contrôler et réparer leurs avaries, mais effectuer des réparations sur un vaisseau gravement endommagé avant que les Syndics ne le frappent à nouveau n’en exigeait pas moins un certain temps.

Mettre le doigt sur un possible avantage de la flotte lui prit une bonne minute. Mes spatiaux sont d’excellente qualité, plus chevronnés que la norme ne l’a imposé au cours des dernières décennies, où ils trouvaient souvent la mort au combat avant d’avoir pu acquérir de grandes compétences. Mais j’ai réussi à garder les miens en vie.

La plupart, en tout cas.

Et ils se battront comme de beaux diables, jusqu’à la mort. Certains de mes subordonnés sont également de bons meneurs d’hommes. Tous les commandants de vaisseau m’écouteront dorénavant. Je peux compter sur eux pour exécuter mes ordres. Dans certaines limites. Il marqua une pause pour tenter de trouver une autre idée puis se rappela la destruction du portail de l’hypernet de Lakota par la flottille de surveillance syndic, alors que la flotte s’en trouvait à plusieurs heures-lumière. Et les Syndics te craignent, reconnais-le. C’est encore un autre avantage. Ils s’attendent de ta part à une réaction imprévisible, à des exploits que nul autre ne pourrait réaliser.

Comment exploiter cet avantage ? Quelles tactiques inattendues pourraient-elles encore me permettre de vaincre, compte tenu des ressources limitées avec lesquelles je dois composer ? Dommage que je ne puisse imaginer une façon intelligente de combattre à l’ancienne mode, quand la flotte, avant que je n’en assume le commandement, chargeait encore l’ennemi comme un taureau. Maintenant qu’ils m’ont vu opérer de Caliban à Cavalos, les Syndics ne s’attendront jamais à…

Puis-je réellement le faire ?

Il regarda danser la flamme de la chandelle, tandis que les idées virevoltaient dans sa tête. Il y a peut-être un moyen. Sans doute cette méthode ne sera-t-elle pas entièrement gratuite en termes de dépense des cellules d’énergie, mais elle sera de loin moins coûteuse que toute alternative, du moins si les vaisseaux et les systèmes de manœuvre peuvent la finaliser, et si je parviens à mettre au point les instructions requises avant que nous n’atteignions les Syndics.

Et si Desjani ne me tue pas en comprenant ce que mon plan pourrait signifier pour l’Indomptable.

Merci, ô mes ancêtres. Je vous ai entendus. Geary se leva, se pencha sur la bougie pour la souffler et regagna précipitamment sa cabine. Il lui restait à procéder à de nombreuses simulations.

La besogne lui prit un bon moment. Il lui fallait sans cesse tenter différentes approches, et les manœuvres étaient beaucoup trop complexes pour qu’un homme pût les concevoir sans l’assistance des systèmes de combat. Quand il passa en revue les instructions requises, l’étourdissant tourbillon de vecteurs et de vélocités ne composa aucun tableau cohérent. Mais, lorsqu’il les passa dans le simulateur, le résultat lui parut probant, même si son expérience professionnelle et son entraînement se rebellaient à la perspective de tous ces vaisseaux louvoyant à haute vélocité juste avant le contact avec l’ennemi. Toutefois, toutes les manœuvres étaient à la portée de ses bâtiments, même des unités endommagées et des poussifs auxiliaires de la flotte, pour qui il avait réduit au minimum les modifications de cap et de vélocité exigées.