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Il n’avait aucune peine à imaginer comment réagiraient ses anciens instructeurs à son plan. Le concept était beaucoup trop simpliste et son exécution trop compliquée. Toutes ses protestations, selon lesquelles c’était le meilleur choix qui s’offrait à lui, lui auraient valu de sévères sermons : il faut éviter de se mettre dans une situation où l’option la plus favorable prend un tel aspect. Conseil sans doute parfaitement valable en théorie, ou en temps de paix, mais le monde réel, un siècle de guerre et une longue retraite depuis le système mère syndic se liguaient pour lui imposer cette dure réalité pratique.

Il consulta l’heure et vérifia la position des Syndics, reconnaissant pour une fois aux longs délais exigés pour le franchissement des espaces interplanétaires. Desjani avait appelé pour lui annoncer que, dès que les Syndics avaient repéré la flotte de l’Alliance, quatre heures après son émergence au point de saut, leur flottille principale avait adopté un nouveau vecteur qui intercepterait ses vaisseaux s’ils poursuivaient leur route vers celui de Padronis. Une heure-lumière derrière elle, la plus petite des deux avait finalement effectué une manœuvre similaire. Toutes deux se maintenaient à la même vélocité de 0,08 c que les bâtiments de l’Alliance et, pendant que Geary réfléchissait et procédait à ses simulations, les trois forces avaient continué de se rapprocher. À cette allure combinée de 1,6 c, elles n’entreraient en contact que dans vingt heures environ.

Le mauvais côté de la décision des Syndics (ramener leur vélocité à 0,08 c), c’était qu’ils tentaient manifestement d’accroître leurs chances de faire mouche quand les flottes se rencontreraient. Ils étaient résolus à prendre leur temps, de façon à infliger à l’Alliance le plus de dommages possible.

Geary s’assit, afficha les instructions de manœuvres et les vérifia anxieusement avant d’appeler la passerelle de l’Indomptable. « Veuillez prévenir le capitaine Desjani que sa présence est requise dans ma cabine, s’il vous plaît. »

Il patienta en observant l’ennemi et en se demandant comment il manœuvrerait, d’abord pour opérer le contact puis au plus fort du combat, jusqu’à ce que le carillon de son écoutille retentisse et qu’il laisse entrer Desjani.

Le regard de celle-ci se posa immédiatement sur l’hologramme qui flottait au-dessus de la table. « Quel est le plan ? » demanda-t-elle. À en juger par son expression, elle avait refréné sa curiosité aussi longtemps qu’elle le pouvait.

« C’est… compliqué. » Rien n’était plus vrai. Surtout quand Desjani prit conscience de la position qu’occuperait l’Indomptable au moment du choc des deux flottes.

— Je peux le vérifier pour vous.

— Je vous en saurais gré. » Il fit la grimace, d’avance mécontent de sa réaction probable. « J’essaie quelque chose de nouveau. » Il retomba dans le silence et fixa l’hologramme.

« Très bien, capitaine, déclara-t-elle finalement. Ce n’est pas un problème. Mais, si vous voulez connaître mon opinion, il faudrait au moins que je puisse voir le plan de manœuvre. »

Comme on le lui avait déjà dit, quand Desjani se verrouillait sur une cible, elle ne lâchait pas le morceau. En outre, il tenait à connaître son avis. Autant en finir tout de suite. « D’accord. Je veux seulement vous prévenir : il s’agit d’une approche entièrement nouvelle. »

Desjani était visiblement intriguée. Geary baissa les yeux, poussa un soupir puis pressa sur les touches pour afficher les manœuvres prévues à l’occasion du premier contact avec l’ennemi. Les yeux écarquillés d’incrédulité, Desjani vit la formation de l’Alliance se dissoudre en un essaim d’apparence chaotique à quelques instants du contact. Ses vaisseaux reprenant la formation au dernier moment, elle observa intensément puis son visage se figea. « Vous êtes… » Elle donna un instant l’impression d’avoir cessé de respirer, avant de poursuivre d’une voix si blanche qu’elle semblait presque privée de vie. « Je me vois contrainte de vous demander respectueusement, capitaine, si nous avons perdu votre confiance, mon vaisseau ou moi.

— Non. Absolument pas.

— Ce plan, capitaine…

—… permettra aux cuirassés de faire ce qu’ils font le mieux. »

Desjani vira à l’écarlate. « Les croiseurs de combat ne se cachent pas derrière d’autres bâtiments. Nous menons le bal !

— Pas cette fois. » Il vit se crisper férocement les poings de Desjani. « Capitaine Desjani, je dois absolument frapper les Syndics d’une manière à laquelle ils ne s’attendent pas, sans pour autant conduire ma propre flotte à sa perte. Je n’alloue nullement un rôle secondaire aux croiseurs de combat dans cet engagement. Procédez à la simulation du deuxième jeu d’instructions. »

Elle obtempéra sans le regarder puis prit une profonde inspiration. « C’est effectivement un plan inhabituel, comme vous l’avez dit.

— C’est l’idée générale.

— Je comprends pourquoi vous ne souhaitez pas le communiquer prématurément aux autres commandants de vaisseau. Ils seront extrêmement contrariés. Tout comme moi. Mais je me plierai aux ordres, capitaine Geary. » Desjani semblait quelque peu radoucie, mais elle n’en restait pas moins morose et évitait de croiser son regard.

« Merci, capitaine Desjani. Je ne voudrais pas me trouver à bord d’un autre vaisseau que l’Indomptable, quelles que soient les circonstances. » Elle ne réagit pas, et Geary se demanda s’il devait pousser le bouchon plus loin ; mais il avait exprimé le fond de sa pensée. « Trouvez-vous mon plan solide ? »

Il se rendit compte qu’elle s’efforçait de mettre ses réactions et émotions entre parenthèses pour ne plus voir dans le plan qu’une abstraction. « Si nos vaisseaux sont effectivement capables d’exécuter ces manœuvres dans les délais requis compte tenu des distances impliquées, il surprendra effectivement les Syndics… au moins autant que les nôtres.

— Les systèmes de manœuvre affirment qu’ils en sont capables.

— En théorie. » Elle lui jeta un regard dur. « Il faudra que les pilotes automatiques se chargent de tout. Aucun navigateur humain de cette flotte ne pourrait s’y employer sans de désastreuses conséquences.

— Je comprends.

— S’il vous plaît, capitaine, permettez à l’Indomptable de rester en première ligne.

— Il s’y retrouvera quand nous éclaterons la formation. Il s’agit là d’une passe d’armes boiteuse, Tanya. Combien de combats avons-nous livrés ensemble sur ce vaisseau ? Combien de fois l’Indomptable a-t-il mené le bal et occupé le centre de la formation alors que les Syndics nous arrivaient droit dessus ? »

Desjani fixait le pont, la tête toujours baissée. « Je n’aurais pas dû m’attendre à ce que vous compreniez, j’imagine.

— Bon sang, Tanya, dans un monde idéal, je recourberais les cieux pour vous faire plaisir, mais j’ai des responsabilités envers cette flotte et l’Alliance. Ce serait foutrement plus facile pour moi si j’étais à bord d’un autre vaisseau et que je m’adressais à un autre commandant, mais je ne peux pas permettre à mes sentiments personnels de me dicter ma conduite. » Desjani se raidit et il grinça des dents. Cette dernière affirmation pouvait sans doute évoquer amitié et respect professionnel, mais aussi être comprise, malencontreusement, comme une allusion à ce que ni l’un ni l’autre ne voulaient admettre, tout comme ils refusaient d’en parler et d’en tirer des conséquences pratiques. Geary préféra recentrer son argumentation sur des considérations moins personnelles : « L’Indomptable doit impérativement regagner l’espace de l’Alliance, parce que la clé de l’hypernet syndic se trouve à son bord et qu’on ne pourra la dupliquer qu’à notre retour. Je ne peux pas le placer dans une position qui le condamnerait virtuellement à sa perte. Et je n’ai pas non plus à le faire, car nul ne saurait prétendre que ce vaisseau et son commandant ne se sont pas comportés honorablement et trouvés en première ligne lors de tous les autres combats. »