« Il ne reste plus beaucoup de bâtiments syndics », marmonna-t-il.
Desjani se renfrogna puis hocha la tête en saisissant le sous-entendu. « Pas assez pour manier le knout, en tout cas. Nous avons graduellement réduit leurs forces de coercition en menus fragments de vaisseaux, dont la traîne s’étire jusqu’à leur système mère.
— Ouais. Et nous ne sommes pas les seuls à nous en rendre compte, visiblement. » Geary enfonça de nouveau quelques touches. « Lieutenant Iger ? Toujours rien ? »
Une fenêtre s’ouvrit, encadrant le visage de l’officier du renseignement. La perplexité s’affichait sur ses traits. « C’est le chaos, capitaine. »
Geary patienta un instant. « Merci, lieutenant. Je ne serais sans doute jamais parvenu à cette conclusion sans l’aide du service du renseignement. »
Iger piqua un fard. « Je vous demande pardon, capitaine. Nous ne pouvons toujours pas vous fournir une image exacte de la situation parce qu’elle ne se dégage pas. Ici, tout part à vau-l’eau, comme un vêtement dont les coutures craqueraient en même temps. La population de la quatrième planète semble avoir passablement augmenté au cours des dernières décennies en raison du nombre des dissidents qui s’y sont réfugiés, mécontents du gouvernement. Nous ignorons qui exerce réellement le pouvoir et dans quelle mesure. Nul ne le sait peut-être, d’ailleurs, pas même les différentes factions qui luttent pour s’assurer le contrôle de certains secteurs de ce système.
— Il y a des combats en cours ?
— Oui, capitaine. Nous avons détecté des explosions, des mouvements de véhicules ainsi que d’autres signes indiquant qu’on se bat actuellement sur les troisième et quatrième planète. Pas moyen de préciser si ces combats s’intensifient.
Dans la mesure où ils ne déroulent pas en terrain découvert, on peut difficilement affirmer que les cités souterraines et les installations orbitales en sont aussi le théâtre. » Iger marqua une pause, jeta un regard hors champ, hocha la tête puis se tourna de nouveau vers Geary. « Nous venons à l’instant de détecter une très violente explosion dans une installation orbitale proche de la troisième planète, ce qui donne à penser qu’on s’y bat également. »
Desjani, qui écoutait, haussa les épaules. « Pas notre problème, capitaine. Nous ne sommes pas une troupe d’occupation alignant quelques centaines de milliers d’hommes au sol.
— Non, j’imagine, convint-il avant de voir Iger secouer fébrilement la tête. Oui, lieutenant ?
— Les prisonniers de guerre, capitaine. Ceux du camp de travail de la troisième planète. »
En vérité, ils lui étaient provisoirement sortis de l’esprit quand il avait pris conscience de l’effondrement du pouvoir central. « Ça, c’est notre problème. »
Iger consultait manifestement des mises à jour avant de lui en faire part. « Certains signes laissent à penser qu’on se bat aussi hors du camp de prisonniers, mais qu’aucune violence ne se déroule à l’intérieur. Ses gardes se seraient barricadés pour se protéger, avons-nous cru en conclure.
— On attaquerait le camp, lieutenant ?
— Pas à notre connaissance, capitaine. Mais, bon… il est encore tôt.
— Leurs stations orbitales disposent-elles de mesures de rétorsion nucléaires ? s’enquit Rione. Nous savons que d’autres systèmes syndics en étaient dotés, pour mettre les gens au pas.
— Nous ne pouvons pas l’affirmer, madame la coprésidente, répondit Iger. Aucune n’a encore été employée.
— Ils n’en ont peut-être pas la capacité, en ce cas.
— En effet, madame. À moins qu’ils n’aient pas de cibles adéquates, qu’ils aient provisoirement perdu le contrôle de leurs bombes en raison de la défaillance de leur réseau de contrôle et de commandement, ou que les autorités syndics attendent que les factions adverses se soient suffisamment déchirées avant de faire donner le marteau-pilon. »
Geary réfléchit en pianotant sur le bras de son fauteuil. « La situation ne risque pas de s’éclaircir avant un bon moment, j’imagine, et nous n’avons pas de temps à perdre. J’aimerais que vous consacriez toute votre attention à l’identification des individus qui contrôlent la zone de la troisième planète proche du camp de prisonniers, lieutenant Iger, et que vous évaluiez de votre mieux la menace qu’ils représentent, tant au sol dans ce secteur que sur les stations orbitales ou les autres bases de surface, dont la flotte devrait s’inquiéter ou qu’elle devrait éliminer.
— À vos ordres, capitaine. » Iger salua brièvement et son image s’effaça.
Geary appuya sur une autre touche, et celle du colonel Carabali lui apparut. « Êtes-vous informée de la situation qui règne actuellement dans ce système stellaire et sur sa troisième planète en particulier, colonel ? »
Carabali hocha la tête. « Ça part en vrille à vitesse grand V, à ce que j’ai cru comprendre, capitaine.
— En effet. Mais nous devons exfiltrer les prisonniers de guerre de l’Alliance détenus dans ce camp. Nous allons tenter de contacter des gens susceptibles de négocier avec nous leur libération, mais, à ce qu’il semble, vos fantassins vont devoir s’appuyer une rude besogne.
— C’est la raison même de la présence de fantassins dans la flotte, capitaine : mener à bien les missions difficiles. » Carabali salua. « Je vais échafauder un plan tenant compte à la fois de l’existence d’éléments hostiles à l’extérieur du camp et de la résistance des gardes à l’intérieur.
— Merci. La flotte vous dégagera la voie, même si elle doit transformer toute la zone environnante en cratère. »
Desjani soupira. « Les opérations au sol. Beurk ! Je leur préfère franchement les batailles spatiales.
— Moi aussi, mais nous ne pouvons pas y échapper, apparemment. » Il fixa l’hologramme en fronçant les sourcils. « Rompons la formation. Laissons assez de vaisseaux ici pour défendre les bâtiments en réparation et mettons le cap sur la troisième planète. Madame la coprésidente, j’apprécierais que vous entamiez des négociations avec les autorités du camp de travail dès que le service du renseignement les aura identifiées. Veillez à bien leur faire comprendre que toute tentative de chantage impliquant une atteinte à la vie des prisonniers serait vue d’un très mauvais œil.
— Je ferai de mon mieux, déclara Rione. À condition toutefois qu’il y ait des responsables dans ce secteur. Et si j’échouais ?
— Alors les fantassins du colonel Carabali iraient frapper à la porte du camp, et, s’ils devaient en arriver là, je n’aimerais pas me trouver sur leur chemin. »
Vingt-quatre heures plus tard, alors que Geary passait en revue les derniers rapports sur le statut de la flotte, Rione fit irruption dans sa cabine : « Nous avons réussi à contacter directement ce camp de travail. Les gardes ont peur de nous et des rebelles qui encerclent le camp. Ils voient en ces prisonniers leur ultime levier et dernier recours, et ils tiennent à en tirer le maximum. Ils redoutent aussi les autorités syndics.
— Alors même que tout part à vau-l’eau et que nous avons pratiquement éliminé la flotte syndic ? s’étonna Geary.
— Dans la mesure où l’on ne sait rien des nombreuses pertes infligées à cette flotte à leur niveau hiérarchique, ça n’a aucune incidence, capitaine Geary. Pour eux, l’équation est simple : s’ils nous résistent, ils risquent leur vie ; s’ils ne nous résistent pas et que les autorités reprennent le contrôle de ce système, ce sont eux et leurs familles qui en pâtiront.