— Ils vont donc nous combattre ?
— C’est ce qu’ils affirment. »
Geary fixa d’un œil noir l’hologramme qui flottait au-dessus de sa table. « Qu’est-ce qui pourrait les faire changer d’avis, selon vous ? Menaces ? Promesses ?
— J’ai essayé les deux. » Rione secoua la tête avec lassitude. « D’ordinaire, je consacre beaucoup de temps à tenter de comprendre ce qui se cache réellement derrière les propos des Syndics et de flairer les pièges éventuels. Le seul côté positif de cette situation, c’est que j’ai la certitude que les gardes ne nous mènent pas en bateau. Ils sont très sérieux.
— Mais jusqu’à quel point sont-ils prêts à se battre ? se demanda Geary. Simulacre de résistance, lutte à mort acharnée ou quelque chose entre les deux ? »
Rione plissa le front de concentration. « Mon intuition me souffle que leur résistance serait loin d’être symbolique. Les gardes appréhendent énormément l’appréciation que se feront les autorités syndics de leur comportement. Cela dit, je ne pense pas qu’ils soient prêts à mourir, même s’ils donnent le change.
— Quelque chose entre les deux, donc. Merci. Le colonel Carabali doit me faire part dans une heure environ du plan de l’infanterie spatiale. Je vous serais reconnaissant de lui donner votre sentiment sur la situation avant ce délai, afin qu’elle puisse en tenir compte.
— Désolée de ne pouvoir vous apprendre de meilleures nouvelles. » Elle montra l’hologramme. « En avez-vous reçu ?
— Quelques-unes. Le capitaine Lommand a appelé du Titan : il m’assure qu’il remettra l’Incroyable en assez bon état pour accompagner la flotte. D’un autre côté, les ingénieurs qui ont inspecté l’Intagliata ont découvert qu’il avait subi plus de dommages structurels que nous ne le croyions, de sorte que nous devrons saborder aussi ce croiseur léger.
— Et, s’agissant des cellules d’énergie, leur niveau reste-t-il critique ?
— Ouaip. Quand nous aurons distribué toutes celles qu’ont fabriquées les auxiliaires et que nous avons récupérées sur les épaves, il sera d’environ trente-sept pour cent pour la moyenne de la flotte. Nous en consommerons une partie en ralentissant pour nous placer en orbite autour de la troisième planète puis en accélérant de nouveau une fois nos prisonniers libérés, si bien qu’en quittant Héradao nos réserves seront probablement descendues à un peu plus de trente pour cent. À Padronis, heureusement, la consommation devrait être réduite au minimum.
— Ce faible niveau nous permettra-t-il de rentrer ? » s’enquit-elle calmement.
Geary haussa les épaules. « En termes de seule distance, oui, sans problème. Nous ne devrions pas avoir à livrer bataille entre ici et Varandal.
— Et si le cas se présentait ?
— Alors ça pourrait très mal tourner. »
Elle fixa l’hologramme. « Mon devoir m’oblige de nouveau à énumérer vos options.
— Je sais. » Il s’efforça de ne pas prendre la mouche. « Nous pourrions charger à bloc certains vaisseaux et abandonner les autres. Je m’y refuse. L’Alliance a besoin de tous ses vaisseaux et de tous ses spatiaux.
— L’Alliance a besoin de ce vaisseau-ci, capitaine Geary. De la clé de l’hypernet qui se trouve à bord de l’Indomptable.
— Je ne perds jamais ce problème de vue, madame la coprésidente. Nous pourrions économiser des cellules d’énergie en nous abstenant d’aller chercher les prisonniers de l’Alliance sur la troisième planète, vous savez ? »
Elle le fixa longuement, le regard dur. « Je l’ai bien cherché, j’imagine. Même moi, je ne vous suggérerais jamais de les abandonner, vous en êtes conscient. Très bien, capitaine Geary. Tâchez d’exercer au mieux votre jugement et prions pour que les vivantes étoiles continuent de veiller sur nous. Je contacterai le colonel des fusiliers pour lui faire part de mes impressions sur la garde syndic du camp de prisonniers et lui faire savoir que je reste à sa disposition si elle désire que je m’entretienne encore avec ces gens.
— Merci, madame la coprésidente. »
Une heure plus tard, la présence virtuelle du colonel Carabali se tenait dans la cabine de Geary et pointait deux images du camp de la troisième planète, émaillées de symboles correspondant aux différents plans de libération des prisonniers. Vue d’en haut, l’installation syndic était un octogone presque parfait, dont les huit angles étaient défendus par un impressionnant mirador, tandis que de plus petits postes de garde s’échelonnaient le long de ses côtés. Une haute muraille de béton armé joignait un poste à l’autre. De triples barrières de barbelés couraient le long de l’enceinte, à l’intérieur comme à l’extérieur, tandis que les espaces dégagés, entre muraille et barbelés, donnaient l’impression d’être minés et, indubitablement, sous le coup d’une télésurveillance active par des senseurs. Au-delà, des rangées d’immeubles, désignés sur l’image par des symboles les identifiant comme de probables baraquements réservés aux gardes et aux détenus, infirmeries, bâtiments administratifs et ainsi de suite, remplissaient la plus grande partie du camp. Le centre était occupé par une vaste esplanade, servant à la fois de terrain d’atterrissage pour les navettes syndics et de place d’armes.
Geary s’imaginait bouclé dans une telle prison sans aucun espoir de libération. Jusqu’à ce jour, du moins.
« Nous avons deux options basiques, attaqua le colonel Carabali sur le ton posé qu’elle réservait aux briefings. Toutes deux reposent sur le fait que mes effectifs se réduisent à un peu moins de douze cents hommes en état de combattre. Bien trop peu, et de loin, pour occuper une installation de cette dimension et défendre son périmètre, même si nous ne rencontrions aucune résistance de la part des gardes qui l’occupent. J’ai cru comprendre, en m’entretenant avec la coprésidente Rione, que l’hypothèse maîtresse était qu’ils combattraient. »
Sa main vola et son index vint se poser sur une portion de la première image du camp. « Notre première option serait de concentrer les fantassins et d’investir le camp un secteur après l’autre, d’occuper tour à tour chaque secteur, de libérer ses prisonniers et de passer au suivant. Elle aurait l’avantage de les maintenir tous à la portée d’un soutien tactique tout en limitant leur exposition au feu. Le revers de la médaille, c’est qu’ils resteraient plus longtemps au sol et que l’ennemi, dès qu’il aura compris ce que nous faisons, aura le temps d’essayer d’évacuer les prisonniers des secteurs que nous n’aurons pas encore occupés ou de piocher des otages parmi eux. Je ne la recommande donc pas. »
Elle se tourna vers l’autre carte. « L’autre branche de l’alternative serait de larguer nos fantassins le long du périmètre du camp, tandis qu’une autre section investirait le centre pour sécuriser le principal terrain d’atterrissage. Je n’ai pas assez d’hommes pour sécuriser à la fois le camp et tout son périmètre, mais nous pourrions au moins interdire l’accès aux principaux points stratégiques. Puis les fantassins de l’extérieur entreraient dans le camp, balaieraient tous les nids de résistance à mesure qu’ils progresseraient, tout en libérant les prisonniers au passage et en concentrant toute l’action vers le centre. Nous les en évacuerions le plus vite possible. Cette tactique aurait l’avantage de ne pas laisser à l’ennemi le temps de concentrer ses forces ni celui d’extraire des prisonniers de leurs baraquements ; tandis que, au fur et à mesure, nos propres forces se concentreraient et pourraient ainsi riposter de façon plus efficace aux assauts. Elle présente néanmoins un désavantage : elles seront largement dispersées, surtout au début, et donc incapables de s’appuyer les unes les autres. En outre, les largages initiaux risqueront souvent d’être davantage périlleux pour les navettes, puisqu’elles seront déployées sur tout le périmètre. »