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Geary songea à ce que ces commandos auraient pu infliger à ses fantassins, à ses navettes et aux milliers de prisonniers libérés, et il acquiesça d’un hochement de tête.

La demi-heure suivante donna l’impression d’un retour à la routine, chacune des navettes regagnant sa base sur son vaisseau. Tout en bas, à l’aplomb de la flotte, des régions entières de la surface d’Héradao III se conduisaient tandis que les forces loyales aux diverses factions rebelles et à l’autorité centrale syndic s’entrechoquaient, mais aucune ne tentait de s’en prendre aux vaisseaux de l’Alliance. « Faut-il fournir une couverture aux gardes syndics qui se retirent avec leurs familles ? demanda Geary.

— Rien n’indique qu’on les poursuive, capitaine. La plupart des gens de cette planète doivent croire qu’ils ont sauté avec le camp.

— Parfait. » Après toute cette activité frénétique, Geary attendait fébrilement le moment d’ordonner à la flotte de s’ébranler. Sur ces entrefaites, une question qu’il avait repoussée jusque-là lui traversa l’esprit : « Pourquoi diable les fantassins surnomment-ils ces simulateurs des “mulets persans” ?

— Il y a sûrement une raison, répondit Desjani, l’air non moins mystifiée. Lieutenant Casque, vous êtes désœuvré pour le moment. Cherchez donc dans la base de données.

— Et qui a bien pu trouver ce nom aux grenups ? C’est mignon tout plein. »

Cette fois, Desjani se contenta d’écarter les bras dans un geste d’impuissance. « Quelque commission, probablement. Comment les appelait-on… euh… autrefois ? »

Geary se demanda un instant quelle tournure de phrase elle avait préféré s’abstenir d’employer pour faire allusion au siècle précédent. « Des ANP, tout bêtement. Des armes nucléaires portatives. Simple et joli.

— Mais toutes le sont, objecta-t-elle. Certaines à bord de vaisseaux ou de missiles, sans doute, mais elles restent “portatives”. »

Il la dévisagea. « Auriez-vous occupé un poste de correctrice dans l’agence littéraire de votre oncle ?

— Quelquefois. Quel rapport ?

— Le terme “grenup” vous plaît, capitaine Desjani ?

— Non. Dans la flotte, on fait plutôt allusion aux FEAN.

— Aux FEAN ? » Pourquoi l’avenir ne fournissait-il pas un glossaire des acronymes ? Cela dit, à bien y réfléchir, il avait entendu des spatiaux employer ce terme à plusieurs reprises.

« Oui. » Desjani parut s’excuser d’un geste. « Fantassins équipés d’armes nucléaires. Soit une grosse sottise, dans le jargon de la flotte. »

Geary s’efforça de rester impassible. « Il faut croire que certaines choses ne changent jamais. Y a-t-il eu une époque où spatiaux et fantassins s’entendaient bien, selon vous ?

— Nous nous entendons parfaitement quand des forces terrestres nous cherchent des poux dans la tête, fit-elle remarquer. Ou quand nous avons une mission à remplir.

— Et… dans les bars ?

— C’est d’ordinaire moins convivial. Sauf quand il s’y trouve aussi des gars des forces terrestres.

— Exactement comme avant, lâcha Geary.

— Capitaine ? appela le lieutenant Casque. La base de données affirme que le terme “mulet persan” vient d’une histoire archaïque. Ces gens, les Perses, auraient envahi une ville et se seraient retrouvés piégés à l’intérieur par un ennemi plus mobile, de sorte qu’il leur a fallu l’évacuer de nuit à son insu. Les Perses avaient ces machins qu’on appelle des mulets, et que l’ennemi ne connaissait pas encore. Ces mulets menaient grand tapage, et les Perses les ont abandonnés sur place pour le tromper et lui faire croire qu’ils étaient encore tous là. Ces mulets devaient être des espèces de simulateurs primitifs… »

Le lieutenant Yuon lui lança un regard peiné. « Les mulets sont des animaux.

— Oh ! Commandant, les mulets sont des…

— Je sais, merci. » Desjani interrogea le lieutenant Casque, l’air assez sceptique. « De quand date cette histoire ? Qu’entendez-vous par “archaïque” ?

— La source indiquée est “livre antique… Terre”, commandant. Et ça n’en dit pas plus. Les fantassins ont dû trouver le terme dans ce bouquin.

— Excellente déduction, lieutenant. » Desjani adressa une mimique à Geary, genre « Allez savoir ! ». « Vous avez votre réponse, capitaine. Les fantassins ont dû entendre parler de cet épisode. Peut-être même l’étudient-ils comme le premier cas documenté de ruse de guerre. Non, ce serait plutôt ce cheval de bois dont on m’a parlé une fois. Bref, une vieille lune !

— Toutes les navettes ont été récupérées, capitaine, annonça la vigie des opérations.

— Parfait. » Geary transmit à ses vaisseaux l’ordre d’accélérer vers un point de rendez-vous avec les bâtiments endommagés, les auxiliaires et les escorteurs dans le secteur où s’était déroulé le combat contre la flottille syndic. Une fois la jonction opérée, la flotte mettrait le cap sur le point de saut pour Padronis. « Une idée vient tout juste de me traverser l’esprit. Nous savions à quel point la flotte syndic avait été récemment mise à mal, mais comment les rebelles de ce système stellaire l’ont-ils appris ? Ils ont brisé leurs chaînes dès que nous y avons détruit la flottille ennemie.

— Des rumeurs ont dû courir parmi les citoyens des Mondes syndiqués, répondit Rione d’une voix pensive. Mais seuls la direction et le haut commandement devaient être pleinement conscients des pertes réelles infligées à leur flotte. Ce qui signifie que certains de ces notables et de ces généraux appartiennent aux forces qui tentent de renverser le pouvoir central d’Héradao III. Le pourrissement est aussi avancé que nous le pensions.

— En ce cas, cela pourrait se reproduire sur un tas de planètes à mesure que la nouvelle s’en répandra, fit Geary.

— Peut-être. Mais les Syndics disposent encore de moyens considérables pour garder le contrôle des systèmes stellaires pris individuellement. Il faudrait beaucoup de temps à l’effondrement général des Mondes syndiqués pour les gagner tous.

— Beaucoup de temps ? marmonna Desjani en consultant son hologramme. Dommage. Les navettes chargées de transborder certains des prisonniers sur l’Indomptable se préparent à les débarquer. »

Geary se leva. « Allons les accueillir.

— Oui, fit Rione. Du moins si le commandant de l’Indomptable ne voit aucune objection à ma présence.

— Bien sûr que non, madame la coprésidente », répondit Desjani avec détachement, sur un ton officiel.

Ils arrivèrent à la soute des navettes alors que le premier pigeon abaissait son écoutille principale et que les ex-prisonniers commençaient de dévaler la rampe. Les détenus libérés en sortaient à la queue leu leu en regardant autour d’eux, le visage trahissant joie ou incrédulité. Vêtus des haillons de leur ancien uniforme ou de vêtements civils fourni par les Syndics, ils ressemblaient beaucoup à ceux de Sutrah. Toute cette scène comme les sentiments qu’elle inspirait rappelaient d’ailleurs Sutrah.

« Le plaisir qu’on ressent à libérer nos prisonniers ne se dissipe visiblement jamais », murmura Desjani, comme se faisant l’écho des réflexions de Geary.

Au même moment, une voix se fit entendre au fond de la soute : « Vie ? Vie Rione ? » Un des prisonniers récemment libérés, homme grand et mince arborant l’insigne de capitaine de frégate sur sa vieille vareuse, regardait fixement dans leur direction, les yeux écarquillés d’incrédulité.

Victoria Rione le scruta un instant, l’air intriguée, puis aspira une brève goulée d’air entre les dents. Elle ne tarda pas à se remettre et lui répondit par un cri : « Kaï ! Kaï Fensin ! »