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Celle-ci baissa les siens puis hocha la tête. « Je le crois.

— Moi aussi », ajouta Desjani sans hésiter.

Geary frappa une touche. « Capitaine Tulev, embarquez ces trois officiers supérieurs à bord d’une navette sous une bonne garde de fantassins. Conduisez-les au… » Geary réfléchit à ses options. Il lui fallait un bâtiment n’hébergeant aucun des ex-prisonniers d’Héradao, et ceux-ci étaient répartis sur tous les vaisseaux. Tous sans exception.

« Au Titan. Conduisez-les au Titan, avec l’ordre de les maintenir en détention jusqu’à plus ample information. Tous trois sont aux arrêts. »

Tulev hocha la tête comme s’il s’y attendait. « Sous quelles inculpations ? Nous devons les fournir aux prévenus.

— Haute trahison et abandon de poste face à l’ennemi. Ils m’ont dit qu’ils préparaient un rapport sur leurs faits et gestes. Veillez à leur donner les moyens de s’en acquitter. J’ai hâte de le lire. »

Ce n’était pas la stricte vérité. Si ce qu’avait dit le capitaine Fensin était exact, prendre connaissance de ce document était bien la dernière chose au monde à laquelle il aspirait. Mais il restait de son devoir de vérifier ce que ces trois officiers avaient à dire pour leur défense.

Dès que Tulev eut raccroché, Geary se retourna vers Fensin. « Merci, capitaine. Je crois pouvoir vous promettre que, si vos dires sont corroborés par vos ex-codétenus, une cour martiale officielle dans le territoire de l’Alliance devrait parvenir aux mêmes conclusions.

— Faut-il vraiment attendre ? demanda Fensin en faisant preuve d’un calme stupéfiant. Vous pourriez ordonner dès maintenant de les passer par les armes.

— Ce n’est pas ainsi que je procède, capitaine. Si vos déclarations sont vraies, ces trois individus se condamneront eux-mêmes dans ce rapport et nul ne doutera plus de la nécessité de faire justice.

— Mais le capitaine Gazin est très âgée, protesta l’autre. Elle pourrait ne pas survivre jusqu’à notre retour et se soustraire ainsi au sort qu’elle mérite.

— Si elle meurt, ce sont les vivantes étoiles elles-mêmes qui la jugeront et prononceront la sentence, capitaine, affirma Desjani de sa voix de commandement. Nul ne peut y échapper. Vous êtes un officier de la flotte, capitaine Fensin. Vous vous êtes raccroché à cela quand vous étiez prisonnier. Tâchez de ne pas l’oublier maintenant que vous êtes de retour parmi nous. »

Le visage de Rione se durcit, mais Fensin se contenta de fixer Desjani un instant avant de hocher la tête. « Non, capitaine. Veuillez me pardonner.

— Je n’ai rien à vous pardonner. Vous avez vécu un enfer et fait votre devoir en nous disant la vérité. Continuez dans ce sens. Vous avez toujours fait partie de la flotte, mais vous avez maintenant rejoint ses rangs.

— Oui, capitaine », déclara Fensin en se redressant sur sa chaise.

Rione se tourna vers Geary : « Si le chapitre est clos, j’aimerais m’entretenir un moment avec le capitaine Fensin puis lui faire passer son examen médical.

— Bien sûr. » Geary et Desjani se levèrent de conserve et sortirent. Geary jeta un regard en arrière au moment où l’écoutille se refermait et constata que Rione tenait toujours la main de Fensin ; ils n’échangeaient aucune parole. « Bon sang ! marmotta-t-il à l’intention de Desjani.

— Comme vous dites, convint-elle. Êtes-vous certain que nous ne devrions pas les fusiller maintenant ? »

Ainsi Desjani avait-elle aussi été tentée par cette idée, mais elle s’était abstenue de la suggérer devant leurs interlocuteurs pour ne pas avoir l’air de saper l’autorité de Geary. « Certain ? Non. Mais il faut faire ça correctement. Ne laisser aucune prise au lynchage. Vous vous êtes très bien débrouillée pour faire parler Fensin. Comment saviez-vous que cette question sur la trahison le déciderait à se mettre à table ? »

Elle fit la grimace. « Par certaines des conversations que j’ai eues avec le lieutenant Riva. Il m’a parfois parlé de problèmes identiques. Jusque-là, je ne comprenais pas vraiment, mais je me suis rappelé qu’il piquait des rages folles quand il faisait allusion à des gens dont il pensait qu’ils s’étaient montrés un peu trop complaisants avec les Syndics. Quelque chose dans cette affaire me l’a remis en mémoire. » Desjani fixa le bout de la coursive. « Ce n’est pas tant que je pense encore à Riva, ajouta-t-elle d’une voix sans timbre. Plus du tout, d’habitude.

— Je vois. » Geary se rendit compte, à sa grande surprise, qu’il avait éprouvé un pincement de jalousie au cœur. Il fallait impérativement changer de sujet de conversation. « Je me demande si je n’aurais pas fini par adopter la même conduite éhontée que ces trois individus si j’avais été capturé. »

Desjani le dévisagea en fronçant les sourcils. « Non. Certainement pas. Vous vous souciez sans doute de vos subordonnés, mais vous connaissez aussi les risques qu’ils encourent. Vous avez toujours su maintenir l’équilibre.

— Je m’en soucie assez pour les envoyer à la mort, rétorqua Geary en sentant une certaine amertume s’instiller dans sa voix.

— C’est parfaitement exact. Trop d’indifférence et leurs vies sont gaspillées. Trop de sensiblerie et c’est du pareil au même, mais sans résultat. Je n’ai pas la prétention de comprendre pourquoi il en est ainsi, mais vous en êtes conscient.

— Ouais. » Sa déprime momentanée se dissipa et il lui sourit. « Merci d’être là, Tanya.

— Comme si je pouvais être ailleurs ! » Elle lui rendit son sourire puis reprit une contenance officielle et salua. « Je dois m’occuper de mon vaisseau, capitaine.

— Certainement ! » Il lui rendit son salut et la regarda s’éloigner.

Elle avait un bâtiment à commander et lui-même devait appeler le Titan pour prévenir le capitaine Lommand qu’une cargaison humaine particulièrement déplaisante serait bientôt transférée à son bord. Les fardeaux imposés par le commandement varient sans doute de nature, mais ils restent des fardeaux.

Il se sentit mieux le lendemain matin. Héradao III se trouvait déjà à une distance appréciable ; la flotte avait enfin opéré la jonction avec les unités abandonnées sur le champ de bataille et gagnait dans son intégralité le point de saut pour Padronis. Même les vieilles rations syndics qu’il ouvrit pour son petit-déjeuner lui parurent moins immondes qu’à l’ordinaire.

Sur ces entrefaites, l’unité de communication de sa cabine bourdonna. « Capitaine, le capitaine de frégate Vigory vous demande d’entrer en communication avec lui. C’est urgent.

— Le capitaine Vigory ? » Geary tenta vainement d’associer un visage ou un vaisseau à ce nom puis consulta la base de données de la flotte. Un autre ex-prisonnier de guerre d’Héradao. Pas étonnant que ce patronyme ne lui ait rien rappelé. Vigory se trouvait à bord du Spartiate et, si l’on en croyait ses états de service inclus dans la base de données, il avait mené une carrière passablement morne avant d’être capturé par les Syndics. « Très bien. Passez-le-moi. »

Mince et véhément, le capitaine Vigory ressemblait à de nombreux autres ressortissants de l’Alliance libérés à Héradao. « Capitaine Geary, je souhaitais par cet appel présenter mes respects au commandant de la flotte, commença-t-il d’une voix tendue.

— Merci, capitaine.

— Et également vous informer que j’attends toujours mon affectation à un poste de commandement. »