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— Ouais. J’aurais aimé pouvoir les ramener chez eux pour les enterrer sur leur planète mère. »

Elle secoua la tête. « Pas très commode. Il nous aurait fallu enrouler des guirlandes de morts autour des coques de nos vaisseaux. Ça n’aurait eu aucune dignité. Ainsi confiés à l’étreinte d’une étoile, ils jouissent des funérailles les plus honorables qui soient.

— De mon temps, les funérailles dans l’espace n’étaient pas très fréquentes, déclara Geary. Mais il faut dire aussi que nos morts étaient bien moins nombreux.

— C’est le plus sublime des cimetières, insista-t-elle en posant la main sur son cœur. Tout ce dont nous sommes faits provient des astres. Ces morts retournent aujourd’hui à une étoile et, un jour, elle expulsera les éléments qui les constituaient comme l’ont toujours fait les étoiles. Avec le temps, ces éléments se combineront à d’autres pour former de nouvelles étoiles et créer de nouvelles vies. “Des étoiles nous venons et nous retournons aux étoiles”, cita-t-elle. C’est le sort le plus beau, le dernier honneur que nous pouvons rendre à ceux qui sont morts à nos côtés.

— Vous avez raison. » Le plus prosélyte des agnostiques n’aurait pu contredire cette vérité littérale et, si Geary trouvait sans doute ce processus décourageant par sa seule dimension temporelle, il n’en éprouvait pas moins un certain réconfort à l’idée de participer à un cycle éternel, symbolisé par les deux galons d’or ornant chaque côté de son brassard noir de deuil. Lumière, ténèbres, lumière. Les ténèbres n’étaient qu’un passage.

« Et ne perdez jamais de vue que, sans vous, tous les hommes et femmes de cette flotte seraient déjà morts, ou détenus dans un camp de travail syndic avec pour seule espérance la mort au bout du tunnel, loin de leurs êtres chers, ajouta Desjani.

— Je ne suis pas le seul responsable. Sans les initiatives et le courage de ces hommes et femmes, ça ne serait jamais arrivé. Mais merci tout de même. Vous me redonnez des forces quand j’en ai le plus besoin.

— À votre service. » La main de Desjani se posa brièvement sur son bras, près du brassard, puis elle se retira sans rien ajouter.

Geary s’attarda encore un instant pour regarder les capsules disparaître à mesure qu’elles voguaient vers l’étoile.

Quelques heures plus tard, la flotte de l’Alliance sautait pour Padronis, tandis que, sur son erre, les villes et les planètes d’Héradao se convulsaient toujours dans les affres de la guerre civile.

Encore un système stellaire déserté par l’humanité. Padronis n’offrait rien d’utile à la flotte. Geary secoua la tête en prenant connaissance des relevés de ses senseurs relatifs à ce qu’avaient abandonné les Syndics dans un petit poste de secours orbital. Rien de ce qu’il abritait ne valait la peine qu’on ralentît un seul de ses vaisseaux.

Il ne s’était d’ailleurs pas attendu à mieux. Padronis était une naine blanche qui scintillait faiblement dans le vide, sans le cortège de planètes et d’astéroïdes qui gravitent habituellement autour d’une étoile. De temps à autre, comme les naines blanches, elle accumulait trop d’hélium dans sa chromosphère, se changeait en nova, l’éjectait et brillait beaucoup plus fort pendant une brève période. Ces novae sporadiques n’avaient guère profité à ce qui s’en approchait un tant soit peu. Toutes les planètes et tous les astéroïdes avaient été depuis longtemps pulvérisés ou projetés dans les ténèbres du vide interstellaire, à l’exception de cette station orbitale syndic relativement récente et désormais désertée. Un jour, Padronis se changerait de nouveau en nova et cette installation serait elle aussi désintégrée, mais les senseurs avaient analysé la chromosphère et conclu que cet événement ne se produirait que dans un lointain et rassurant avenir.

« Imaginez-vous servant sur ce machin, fit observer Geary à Desjani en montrant l’installation orbitale sur l’hologramme. Les Syndics avaient besoin ici d’un poste de secours pour les vaisseaux qui se déplaçaient encore par sauts successifs d’étoile en étoile, mais ceux qui l’occupaient devaient se sentir monstrueusement isolés. Un système stellaire ne peut guère être plus proche du néant absolu. »

Elle hocha la tête et fit la grimace. « Se retrouver piégé près d’un trou noir serait sans doute un sort encore pire, mais seuls des cinglés de scientifiques s’y risqueraient. Je vous parie qu’ils n’avaient affecté à cette station que des criminels. Vous avez le choix entre Padronis ou un camp de travail. Je me demande combien ont choisi le camp de travail.

— C’est ce que j’aurais fait, je crois. » Geary s’apprêtait à ajouter autre chose quand son écran clignota puis s’éteignit complètement, tandis que la lumière faiblissait sur la passerelle.

« Que s’est-il passé ? demanda instamment Desjani, tout en appuyant sur des touches de contrôle inertes pour tenter d’obtenir des relevés de situation.

— Coupure pare-feu, annonça une vigie d’une voix empreinte de stupeur. Autant que je puisse le dire, tout est coupé à bord sauf les systèmes de secours.

— Pourquoi ?

— Cause inconnue, commandant. Je… Attendez ! L’ingénierie se sert du système de communications par amplificateurs pour nous mettre au courant. Ils affirment que le réacteur s’est mis hors circuit d’urgence. Ils procèdent à des contrôles de tous les systèmes avant de les redémarrer. »

Desjani serra les poings, « Qu’est-ce qui aurait bien pu le provoquer ? »

La vigie de l’ingénierie semblait livide à la lumière tamisée des éclairages d’appoint. « Toujours inconnu. Remercions les vivantes étoiles que le réacteur ait réussi à s’éteindre de lui-même, commandant. Tout ce qui peut déclencher un arrêt d’urgence est de nature très sérieuse. »

Geary rompit le silence qui suivit cette déclaration : « Nous avons évité de justesse une défaillance du réacteur.

— Ça y ressemble. Et c’est catastrophique. » Desjani tourna vers ses vigies un visage décomposé. « Je veux un rapport complet de tous les services le plus tôt possible, ainsi qu’une estimation du délai nécessaire à l’ingénierie pour redémarrer le réacteur, dès qu’elle pourra me la fournir.

— Pouvons-nous encore communiquer avec la flotte ? s’inquiéta Geary.

— Les systèmes de secours sont opérationnels, capitaine. Seulement audio. Pas de réseau de données.

— Prévenez-la de ce qui nous arrive.

— À vos ordres, capitaine. » La vigie des communications marqua une pause puis, sidérée, téta une goulée d’air. « Capitaine, nous recevons un message du Risque-tout annonçant que le Loriea a souffert d’une défaillance de son réacteur au moment de la coupure de nos systèmes. Il a été totalement détruit. Pas trace de survivants. »

Dans des circonstances normales, un tel incident aurait sans doute été rare mais pas exclu. Mais deux survenant exactement au même instant ne pouvaient que signaler un sabotage. Ceux qui avaient implanté des virus dans les systèmes de la flotte avaient encore frappé.

« Les salauds ! souffla Desjani, dont les maxillaires saillaient. Informez l’ingénierie que la cause probable de la coupure du réacteur était la présence d’un logiciel malveillant dans les systèmes », poursuivit-elle en élevant la voix, non sans faire preuve d’un calme que Geary trouva sidérant.

Toute la passerelle se tourna vers elle, horrifiée. « À vos ordres, commandant ! répondit l’officier de l’ingénierie en hochant la tête.

— Capitaine Geary, appela celui des opérations. Le Risque-tout demande quelles instructions il doit retransmettre à la flotte. Doit-elle maintenir sa position auprès de l’Indomptable même s’il dérive sur sa trajectoire et modifie sa vélocité ? »