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La décision à prendre avait au moins le mérite de la simplicité. Manœuvrer l’Indomptable pour lui faire reprendre sa position coûterait beaucoup moins de cellules d’énergie que si la flotte tout entière s’efforçait d’épouser les mouvements effectués par son vaisseau amiral alors que sa propulsion et ses systèmes de manœuvre étaient en panne. « Dites au Risque-tout d’assumer le rôle de pivot de la flotte jusqu’à ce que l’Indomptable ait récupéré son réacteur. »

Il s’écoula moins de vingt minutes avant que l’officier de la sécurité des systèmes de l’Indomptable ne rappelle la passerelle, mais ce furent les plus longues de la vie de Geary. On oubliait aisément avec quelle facilité on pouvait consulter un hologramme pour obtenir tous les renseignements nécessaires, du moins jusqu’à ce qu’il eût disparu et que, assis dans son fauteuil de commandement, on n’eût plus que la section de la passerelle visible depuis ce poste sous les yeux. Si profondément enfoncée au cœur du vaisseau, la passerelle ne présentait aucun hublot donnant sur l’espace, bien entendu, pas plus, d’ailleurs, que sa coque extérieure. Aménagement logique dans la mesure où il en renforçait la robustesse et assurait son intégrité, mais, en de pareils moments, une simple petite fenêtre lui aurait procuré une liaison bienvenue avec le reste de la flotte.

« Nous l’avons trouvé, commandant, annonça l’officier, dont la voix retransmise par les amplis semblait étrangement lointaine. Le ver tentait d’inciter le réacteur à entrer en surcharge, mais nos systèmes de sécurité l’ont coupé juste avant.

— Savez-vous pourquoi ceux du Lorica n’ont pas réussi à le sauver ? demanda Desjani.

— Je ne peux qu’émettre une hypothèse, commandant. Les systèmes sont d’une complexité monstrueuse, de sorte que, même s’ils sont censément identiques pour tous les vaisseaux, ils n’en présentent pas moins de subtiles différences. Ceux du Lorica devaient suffisamment différer de ceux de l’Indomptable pour engendrer un problème critique. À moins que les instructions conduisant à cette tentative de surcharge ne soient parvenues à nos systèmes de soutien durant l’exacte fraction de seconde où ils s’y attendaient, contrairement à ceux du Lorica. Je ne voudrais pas accuser de négligence ces spatiaux disparus, mais les équipes de maintenance du Lorica n’ont sans doute pas révisé récemment ses systèmes de soutien. On ne peut rien affirmer, et on ne saura probablement jamais de quoi il retournait, puisqu’il ne reste pas assez d’éléments de ce bâtiment pour nous fournir des informations. »

Desjani ferma les yeux et marmotta silencieusement une brève prière. Geary comprenait ce qu’elle ressentait. L’Indomptable n’avait survécu que d’un cheveu. « Êtes-vous certain qu’il ne rôde plus rien dans les systèmes ? demanda-t-elle à son officier.

— Nous n’avons rien trouvé d’autre, commandant.

— Ce n’est pas ce que j’ai demandé.

— Oui… Euh… non, commandant, je veux dire ! S’il y avait eu d’autres vers, nous les aurions découverts. Je parierais ma tête là-dessus. »

Les lèvres de Desjani se retroussèrent sur un sourire sans joie. « C’est précisément ce que vous êtes en train de faire. Assurez-vous que celui-là est totalement éliminé et continuez de chercher d’éventuelles menaces dans nos systèmes. Prévenez-moi quand vous vous sentirez assez rassurés, votre ingénieur en chef et vous, pour redémarrer le réacteur.

— Oui, commandant. Délai estimé : quinze minutes. »

Desjani se radossa dans son fauteuil puis balaya la passerelle du regard. « Repos, tout le monde ! Il s’en faut encore d’un quart d’heure. Tenez-vous prêts à regagner vos postes au pas de course quand le réacteur repartira. »

N’ayant pas, comme Desjani et ses gens, à affronter les problèmes immédiats et privé de cette diversion bienvenue, Geary fixait la plus proche cloison. « Nous devons trouver les coupables, finit-il par marmonner à Desjani. Cette fois, ils ont réussi à détruire un de nos vaisseaux.

— Mais pourquoi le Lorica ? s’enquit-elle à voix basse. Vous voyez une raison ?

— Ouais. » C’était Gaes, le commandant de ce bâtiment, qui l’avait prévenu de la présence du premier virus. Elle avait appris quelque chose et, pour les instigateurs de ce sabotage, elle en savait manifestement beaucoup trop.

Desjani hocha la tête tout en l’observant. « Gaes a suivi Falco, mais, depuis que le Lorica a rejoint la flotte, elle vous a toujours soutenu. Ses contacts avec les officiers mutins auraient pu vous être utiles.

— Ils l’ont été. Je n’étais pas le seul à le croire, visiblement.

— Nous trouverons les coupables, capitaine Geary, affirma-t-elle. Quelqu’un saura qui a fait cela et finira par parler. »

Geary n’en était pas autant persuadé. Si la connaissance de l’existence de virus destinés à détruire directement des vaisseaux de la flotte s’était étendue au-delà d’un cercle très restreint de conspirateurs, elle n’aurait pas manqué de soulever des protestations et ces quelques conspirateurs étaient désormais conscients de risquer le peloton d’exécution s’ils se dévoilaient.

Ils patientèrent ensuite sans mot dire. Maintenant que tous les systèmes étaient en panne hormis ceux de secours, et que l’éclairage encore fonctionnel ne diffusait qu’une chiche lumière, on commençait à virer claustrophobe sur la passerelle. Geary se demandait si la température avait réellement augmenté autant que son imagination le lui soufflait et si l’air n’était pas en train de devenir irrespirable. Mais il savait que les systèmes d’urgence pourvoiraient à ces fonctions vitales pendant un bon moment, bien plus long que celui qui s’était écoulé depuis la coupure du réacteur, aussi s’efforça-t-il de se détendre et de prendre un air détaché.

« Nous avons passé les systèmes du réacteur au crible, leur annonça-t-on enfin. Confirmation de l’éradication du virus responsable de la coupure. Demandons l’autorisation de redémarrer le réacteur.

— Exécution ! » aboya Desjani. Quelques minutes plus tard, l’éclairage normal de la passerelle se rallumait et les ventilateurs se remettaient à bourdonner plus fort. Moins d’une minute après, les hologrammes flottaient de nouveau devant chaque poste. « Ramenez-nous en position, ordonna-t-elle à la vigie des manœuvres. Nous avons sans doute légèrement dérivé par rapport aux autres bâtiments. Orientez-vous sur le Risque-tout, puis nous reprendrons notre fonction de pivot de la flotte. »

La réapparition des hologrammes fut d’un grand secours à Geary. Il n’avait pas cessé de lutter contre le sentiment irrationnel que d’autres vaisseaux avaient été détruits et qu’on le lui avait tout bonnement caché. Il avait maintenant la confirmation de la perte du seul Lorica. Bonne nouvelle toute relative. Il fit la grimace en consultant les rapports transmis par les unités les plus proches de ce bâtiment lors de son explosion. « Aucun survivant.

— S’il y en avait eu, leurs modules de survie auraient été éjectés avant l’explosion du réacteur, lui fit remarquer Desjani. Ils n’auraient pas survécu très longtemps après la prise de conscience, par le reste de la flotte, de ce que cela signifiait. »

Elle avait raison, bien entendu, mais ce n’était pas une consolation. Geary inspira profondément puis ouvrit une fenêtre de communication avec la flotte. « Ici le capitaine Geary, transmit-il. L’Indomptable est indemne et son équipage sain et sauf. Nous enquêterons sur la cause de la surcharge du réacteur du Lorica et sur la panne de celui de l’Indomptable. Toute personne détenant des informations sur l’un ou l’autre de ces accidents est priée de se mettre immédiatement en rapport avec moi. »