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Enquêter. Un bien grand mot pour ce qui ne donnerait probablement aucun résultat. Si les responsables de ce sabotage s’étaient montrés aussi vigilants qu’à leurs premières tentatives, on ne trouverait aucun identifiant permettant de remonter la piste du ver jusqu’à sa source. Le sachant pertinemment, Geary dut s’interdire d’aller flanquer un coup de poing, de dépit, dans la plus proche cloison.

Il préféra afficher la liste de ses messages ; il ne s’attendait certes pas à y trouver les réponses qui lui faisaient défaut et cherchait surtout à se changer les idées. Il se rembrunit en constatant le nombre important de messages à haute priorité qui clignotaient encore dans la liste. Ils avaient dû être transmis sur le réseau alors que les systèmes de l’Indomptable étaient en panne, ce qui signifiait que ses demandes d’informations n’auraient pas encore reçu de réponses. Les parcourir tous exigerait une éternité et il s’agirait sans doute, pour la plupart, de variations sur les thèmes « Que s’est-il passé ? » et « Tout va bien ? ».

Puis il se figea, les yeux écarquillés.

Un des messages portait l’en-tête du Lorica.

« Capitaine Desjani, pourriez-vous me confirmer l’heure de la destruction du Lorica ? » demanda-t-il.

Desjani lui jeta un regard intrigué, l’air de se demander en quoi cette information pouvait avoir de l’importance à cet instant. « Notre réacteur s’est mis en panne de secours à 14 h 12. D’après les archives transmises par le reste de la flotte, le Lorica a explosé à… 14 h 12 et 2,7 secondes. »

Geary relut le message. « J’ai dans ma liste un message du Lorica transmis à 14 h 15.

— Capitaine ? » Desjani vint se placer derrière Geary pour consulter son hologramme par-dessus son épaule puis tapa quelques touches à portée de sa main. « Le réseau de communications de la flotte affirme qu’il l’a reçu pour le retransmettre après 14 h 14. Il a été envoyé soixante secondes plus tard. » Elle se redressa et décocha un regard sidéré à sa vigie des communications. « Comment le système des communications peut-il déclarer avoir reçu un message du Lorica si longtemps après la destruction de ce bâtiment ?

— Il ne l’aurait pas pu, commandant. Même s’il y avait eu un retard dans la livraison, le système aurait enregistré l’heure réelle de l’envoi. » La vigie parut un instant éberluée puis hocha la tête, frappée par l’illumination. « Le message devait être en réserve, caché dans le système. On n’est pas censé le faire, mais il existe plusieurs moyens d’y parvenir. Le Lorica, ou quelqu’un à son bord, l’a transmis antérieurement au système des communications, mais en le dissimulant au moyen d’un protocole qui ne le lui rendrait perceptible que s’il se produisait un événement particulier, comme le passage à une certaine heure, par exemple. »

Geary secoua la tête. « Pourquoi le Lorica aurait-il pris cette peine ? » Qu’un homme ayant commis une grave erreur pût souhaiter que son message affichât une heure différente de celle de son envoi réel, Geary pouvait encore comprendre et même concevoir de nombreuses raisons à cette manipe, mais pas ce qui avait pu pousser quelqu’un du Lorica à s’y résoudre. Il afficha le message et le consulta. De fait, ce n’était pas un message en clair, mais un gros tas de données codées. « Quelqu’un pourrait-il me dire de quoi il retourne, capitaine Desjani ? »

Desjani y jeta un coup d’œil puis tapa encore sur quelques touches. « Avec votre autorisation, je vais demander son avis à mon officier de la sécurité avant que nous ne le retransmettions, capitaine. Nous ignorons ce qu’il pourrait contenir. »

Geary ressentit une brève poussée de frayeur, mâtinée de colère contre lui-même. « Pourrait-il s’agir du virus qui a failli nous détruire ?

— Pas envoyé sous cette forme. Les filtres et les pare-feu de cette partie du système des communications ne laissent rien passer d’actif. Tenter d’envoyer le virus de cette manière reviendrait à tirer une représentation symbolique d’un missile au lieu du missile lui-même. S’il s’agit bien de cela. Mes gens devraient pouvoir nous le confirmer. »

La réponse leur revint bientôt, sous la forme du visage de l’officier de la sécurité des systèmes dans une petite fenêtre de leurs deux écrans. L’homme semblait très secoué. « Capitaine Geary, commandant Desjani… euh… le message en provenance du Lorica… C’est l’encodage du premier ver, celui qui aurait dû affecter les systèmes de propulsion par saut de tous les vaisseaux.

— Il venait du Lorica ? » Un profond désappointement s’empara de Geary. Il avait fait confiance au capitaine Gaes, lui avait donné une seconde chance et, malgré tout…

« Non, capitaine. Ce message est une copie du premier ver et il porte encore les infos du système et l’identification du vaisseau d’origine. J’ignore comment le Lorica a pu en obtenir une copie. » L’officier de la sécurité de l’Indomptable déglutit fébrilement. « Selon les données incluses dans la retransmission du Lorica, ce ver provenait originellement de l’Inspiré, capitaine. »

Huit

Geary sentit son corps se glacer. « Vous en êtes certain ? Sans aucun doute ?

— Pas si le message est réel, capitaine. Bien sûr, il pourrait être falsifié, mais fabriquer une fausse archive d’enregistrement d’apparence aussi authentique serait très difficile. Selon moi, quelqu’un du Lorica a dû découvrir d’où venait ce ver et implanter un message contenant cette information dans le système de communications, en soumettant sa livraison à un dispositif de l’homme mort, afin qu’il soit envoyé si le croiseur était considéré comme détruit. »

Ainsi le capitaine Gaes connaissait l’identité des coupables mais elle tenait cette information sous le boisseau pour des raisons qui resteraient désormais à jamais inconnues. Mais elle avait aussi veillé à ce que la vérité pût malgré tout transparaître si elle-même était réduite au silence.

Desjani était rouge de fureur. « Voilà qui devrait suffire à boucler Kila dans une salle d’interrogatoire pour lui tirer les vers du nez.

— Ouais », convint Geary en songeant aux victimes du Lorica, tout en formulant déjà mentalement ses ordres au peloton d’exécution du capitaine Kila ; mais, alors qu’il tendait la main vers ses contrôles pour ordonner aux fantassins de l’Inspiré de s’ébranler, une autre main se posa sur la sienne.

« Attendez. Il faut vous assurer que vous la tenez », déclara la voix ardente de Victoria Rione.

Geary pivota sur son siège en se demandant à quel moment elle était arrivée sur la passerelle et s’était avancée assez près pour surprendre leur conversation. Mais Desjani le devança : « Si nous voulons nous en assurer, il faut agir le plus vite possible, chuchota-t-elle avec véhémence. Cette femme a essayé de détruire mon vaisseau.

— Je sais ce qu’elle a tenté de faire ! répondit Rione sur le même ton courroucé. Écoutez-moi. Kila a superbement dissimulé les traces de ses agissements. Ceux-ci incluent manifestement des plans destinés à parer à toute éventualité, impliquant l’élimination des preuves et témoins potentiels, comme nous avons pu nous en rendre compte à Lakota quand la navette transportant ces deux officiers a été détruite. Si nous ne préparons pas soigneusement le piège que nous lui tendons, elle pourrait avoir déjà échafaudé un plan lui permettant de faire face. »