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« Quoi ? fit-il.

— Je vous expliquerai un jour, répondit-elle en souriant. Avec votre permission, capitaine.

— Certainement, capitaine Desjani. »

Après son départ, l’image de Rione resta assise sans mot dire, le visage entre les mains.

« Tu vas bien ? demanda-t-il.

— Je t’ai encore sous-estimé, répondit-elle à voix basse.

— Je ne comprends pas. »

Elle baissa les mains pour le dévisager. « Tu es encore plus dangereux que je ne le croyais. Ils te sont acquis. Tu as dû t’en rendre compte. Et je me suis moi-même demandé comment je réagirais si tu t’autoproclamais le maître de l’Alliance.

— Ne sois pas ridicule. Tu sais parfaitement ce que tu ferais.

— J’imagine. » Elle se leva. « Il faut que tu parles à Badaya. Très vite. Sinon personne ne pourra plus s’opposer à ton ascension vers la dictature.

— Je lui parlerai avant de quitter Padronis.

— Parfait. Peu de gens dans l’histoire de l’humanité ont su repousser le pouvoir dont tu pourrais te prévaloir, John Geary.

— Je l’ai repoussé parce que je ne me sentais pas qualifié pour le détenir, répliqua-t-il.

— Et, ironiquement, c’est précisément cette conviction qui devrait nous permettre de te le confier. » Elle se rapprocha. « Respectez donc votre serment, capitaine Geary. Seuls votre exemple et votre longanimité permettront de sauver l’Alliance. » Là-dessus, l’image de Rione s’évanouit à son tour.

Sur le chemin de sa cabine, Geary se rendit compte qu’il lui restait à prendre deux autres décisions et que le temps risquait de lui manquer. Il appela la passerelle en arrivant. « Capitaine Desjani, veuillez contacter le capitaine Duellos et lui demander de me joindre le plus vite possible. »

Il s’assit et s’efforça de digérer les derniers événements. Difficile de se persuader que toute opposition dangereuse à son commandement était éliminée.

L’alarme de son écoutille carillonna et il y jeta un coup d’œil exaspéré. Ne peut-on pas me laisser cinq minutes pour réfléchir ? Mais il ignorait l’importance de la visite. « Entrez, je vous prie. »

La coprésidente Rione pénétra dans la cabine puis eut un geste interrogateur. Geary en comprit le sens et il activa les sécurités. « Que se passe-t-il ?

— Je tenais à vous faire savoir que mes agents dans la flotte n’avaient décelé aucun signe d’une autre opposition. Ils ont procédé à des observations pendant que se répandaient les nouvelles concernant Kila. Nulle trace de nouveaux virus, nulle indication d’un soutien actif à Kila ou Caligo, nul faux pas indiquant qu’ils pourraient encore recueillir des sympathies cachées.

— C’est bon à savoir. » Allait-il enfin pouvoir se dispenser de ces tracas et cesser de se demander s’il devait faire surveiller ses officiers parce qu’ils risquaient de représenter une menace pour la flotte ? « Mais je me sentirai encore plus rassuré quand les informaticiens du Vaillant auront fini de vérifier l’équipement de l’Inspiré.

— Naturellement. »

Un bourdonnement insistant fit comprendre à Geary qu’on essayait de le contacter en priorité. « Pardonnez-moi, madame la coprésidente, mais il faut sans doute que je prenne cette communication. » Il accepta le message et Desjani apparut sur son panneau de communication.

« C’est parfaitement raisonnable, répondit Rione. Je vous ai dit ce que j’avais à vous dire et je n’avais nullement l’intention de perturber votre rendez-vous avec votre amie préférée. »

Geary cherchait encore la réponse modérée adéquate quand elle sortit.

Sur l’écran, l’image de Desjani fulminait. « Je vous jure que je suis à ça d’agresser cette femme, capitaine ! cracha-t-elle en écartant pouce et index d’un demi-centimètre.

— Ce serait une infraction aux lois de l’Alliance et au règlement de la flotte, répliqua Geary d’une voix lasse.

— Seulement si l’on prouve que je l’ai fait sciemment. Je pourrais la tabasser dans un coin sombre et prétendre ne pas l’avoir reconnue. »

Sur le moment, l’idée pouvait paraître tentante. Geary s’efforça de la chasser de son esprit. « Non. Nous avons besoin d’elle.

— Pourrai-je le faire quand nous n’en aurons plus besoin ? demanda Desjani. S’il vous plaît ? »

Nouvelle tentation. « Je ne peux pas vous le promettre. Même s’il m’arrive parfois, comme aujourd’hui, d’en avoir terriblement envie. Que se passe-t-il ?

— Le capitaine Duellos est prêt à vous parler. Vous avez posé un filtre de sécurité à la réception de vos messages, de sorte qu’il n’a pas pu vous contacter.

— Désolé. Je vais l’ôter. Merci.

— Tout le plaisir est pour moi, capitaine », répondit-elle sur un ton acerbe, puis son image s’effaça.

Geary soupira et attendit l’apparition de Duellos. Un instant plus tard, l’image de l’officier parut se matérialiser dans sa cabine. « Vous vouliez me parler, capitaine Geary ?

— Oui, mais prenez d’abord un siège. » Duellos hocha la tête avec gratitude et s’assit sur un siège du Furieux, tandis que son image prenait place dans un fauteuil près de Geary.

« J’ai besoin de savoir comment vous vous sentez. Vous aviez l’air assez en forme pendant l’affrontement avec Kila, mais vous portez-vous bien intérieurement ? »

Duellos arqua un sourcil interrogateur. « Aussi bien qu’on peut s’y attendre de la part d’un commandant sans vaisseau.

— Voulez-vous un autre commandement ? s’enquit Geary à brûle-pourpoint. Je sais un ou deux croiseurs de combat qui auraient brusquement besoin d’un commandant.

— Le Brillant et l’Inspiré ? » Duellos inspira une longue goulée d’air. « Lequel des deux ?

— Lequel aurait votre faveur ? Je ne pense pas que le Brillant présente beaucoup de problèmes, à part le choc qu’a dû éprouver son équipage. »

Duellos dévoila ses dents en un sourire sans joie. « Mais vous avez besoin de moi sur l’Inspiré ?

— En effet. » Geary s’assit en face de Duellos. « J’ai besoin du meilleur de mes commandants à bord de ce bâtiment, et c’est vous. Je n’ai aucune idée de la zizanie que Kila y a semée, mais ce doit être un vrai nid de vipères. Son commandant est mort, son second, son officier de la sécurité et son officier des transmissions sont tous aux arrêts, et tous ses autres cadres sous le coup d’une enquête.

— L’occasion ou jamais d’exceller, marmotta Duellos en n’y mettant qu’un infime soupçon de sarcasme. Nombre de mes officiers ont survécu à la perte du Courageux, alors, si l’on autorisait quelques-uns d’entre eux à m’y suivre…

— Accordé. Embarquez autant de spatiaux du Courageux que bon vous semblera. L’Inspiré a subi de très grosses pertes en effectif lors des glorieuses charges de Kila contre l’ennemi et il faut les remplacer. »

Duellos réfléchit un instant, laissant attendre Geary, puis opina. « L’équipage de l’Inspiré aura sacrément besoin d’être reconstruit. Je ferai de mon mieux.

— Merci. Je ne pourrais exiger davantage, ni même confier cette mission à un autre. L’Inspiré lui-même aura besoin d’être reconstruit. Il a été salement touché.

— Exhorter l’équipage à se concentrer sur les réparations de son bâtiment devrait lui remonter le moral. » Duellos se fendit d’un petit sourire. « En de pareils moments, un résultat tangible peut faire des merveilles. Vous tenez sans doute à ce que j’aie pris mon commandement depuis une heure ?