« Nous les vengerons, gronda Desjani.
— Oui. En effet. Nous avons manifestement trouvé la flottille de réserve syndic. » Geary entreprit d’échafauder sa solution d’interception en partant du principe que l’ennemi reviendrait vers le point de saut. « Dans quel délai nos senseurs pourront-ils nous fournir un tableau de ce qui s’est passé là-bas ?
— Ça ne devrait plus tarder. » Desjani n’avait pas terminé sa phrase que les estimations des systèmes commençaient à s’afficher. Elle crispa les mâchoires en observant ses écrans, où s’inscrivait l’analyse par les senseurs de la flotte et les programmes d’évaluation des plus récentes épaves. « Les derniers fragments correspondent à deux ou trois croiseurs de combat de l’Alliance. Entre neuf et treize destroyers, un ou deux croiseurs légers, quatre à six croiseurs lourds. Et deux cuirassés dont l’Intraitable. » Desjani laissa échapper un long soupir. « L’Intraitable a retenu les Syndics pendant que les autres se repliaient, mais les senseurs ne disposent d’aucun moyen d’évaluer leur nombre.
— Au moins les pertes n’étaient-elles pas unilatérales. » Geary regardait s’afficher d’autres évaluations. « La bataille aura coûté aux Syndics un ou deux croiseurs de combat, un cuirassé, une quinzaine d’avisos, entre six et sept croiseurs lourds et entre huit et onze croiseurs légers. Sans compter ceux qui étaient trop endommagés pour les poursuivre dans l’espace du saut. » Un croiseur de combat lourdement touché, trois croiseurs lourds et un croiseur léger ennemis jonchaient le chemin de la bataille ; tous claudiquaient poussivement sur des trajectoires menant à la deuxième planète du système stellaire. Près du point de saut, un second croiseur de combat molesté durant l’ultime résistance de l’Intraitable semblait lui aussi pivoter vers l’intérieur du système.
Les senseurs de la flotte scrutaient ses confins sur quatre heures-lumière, cherchant à évaluer à travers les débris l’envergure de la force syndic, et ces résultats s’affichèrent à leur tour : « Seize cuirassés, quatorze croiseurs de combat, vingt croiseurs lourds, quarante-cinq croiseurs légers et cent dix avisos. » Il avait espéré que l’estimation du lieutenant Iger serait trop élevée. De fait elle n’était que par trop exacte. « Ce sont les vaisseaux de la flottille de réserve syndic encore opérationnels.
— On peut les vaincre, insista Desjani.
— Il le faudra bien. Mais je n’aurai pas le temps d’échafauder une solution d’interception avant qu’ils ne se retournent et n’adoptent de nouveaux vecteurs. »
Il attendit avec impatience ; la flotte de l’Alliance grignotait certes la distance la séparant du point de saut, mais elle n’en restait pas moins à deux jours de trajet. Puis Desjani hoqueta : « Ils ne se retournent pas. Ils se regroupent. Ils vont sauter derrière les rescapés de l’Alliance.
— Vers Varandal ? » Si la flottille de réserve syndic était en mesure d’infliger assez de dommages à ce système avant que Geary ne l’eût rattrapée, devoir combattre à Varandal resterait une issue encore plus pénible.
« Elle se trouve encore à près de quatre heures-lumière. » Desjani abattit le poing sur le bras de son fauteuil. « Ils vont sauter avant même de connaître notre présence.
— Ça nous permettra peut-être de les surprendre à Varandal ! » Les yeux de Geary se portèrent sur les estimations des pertes récentes de l’Alliance. Deux cuirassés. Le second était-il l’Invincible ? Son arrière-petite-nièce, Jane Geary, aurait-elle trouvé la mort au moment précis où lui-même se retrouvait douloureusement proche de chez lui, ou bien était-elle dans un des modules de survie qui parsemaient ce système ?
D’autres symboles signalant les capsules présentes à Atalia commençaient de proliférer sur les écrans. Une multitude d’entre elles appartenaient à des vaisseaux de l’Alliance. Geary se rejeta en arrière ; son regard oscillait de la flottille de réserve qui se reformait près du point de saut pour Varandal aux vaisseaux ennemis gravement endommagés qui filaient lourdement se mettre à l’abri, puis aux nuées de capsules de survie de l’Alliance et aux relevés de situation de l’hologramme indiquant les réserves de cellules d’énergie des vaisseaux de la flotte.
« J’ai besoin d’un conseil, Tanya. » Elle reporta sur lui son attention. « Nous pourrions aisément infléchir notre trajectoire pour rattraper ces Syndics endommagés et les éliminer avant de gagner le point de saut. Toutefois, les spatiaux de l’Alliance qu’abritent ces modules de survie compteront sans doute sur nous pour les recueillir, ce qui nous ralentirait énormément, nous coûterait des cellules d’énergie, luxe que nous ne pouvons nous permettre, et retarderait encore le moment d’atteindre le point de saut pour Varandal. »
Desjani pianota un instant sur le bras de son fauteuil puis se tourna vers son officier d’ingénierie. « Si ces modules de survie adoptaient les mêmes vecteurs que la flotte et brûlaient tout leur carburant, quelle vélocité pourraient-ils atteindre ? »
L’ingénieur procéda à quelques brefs calculs. « En tenant compte du laps de temps qu’ils ont sans doute déjà passé dans l’espace et de la quantité de combustible qu’ils ont probablement consommé depuis leur largage, ils pourraient monter jusqu’à 0,01 c à condition de réactiver la séquence de lancement. Mais il ne leur resterait plus rien après.
— Pas suffisant. La flotte devrait toujours freiner sérieusement. » Desjani secoua la tête. « Même si nous pouvions nous permettre de brûler ces cellules d’énergie, nous prendrions encore beaucoup de retard. Et les effectifs de la plupart de nos vaisseaux sont déjà gonflés à bloc. Les surcharger pourrait avoir de néfastes conséquences s’ils devaient être évacués à Varandal durant les combats, car nous n’aurions pas suffisamment de capsules disponibles. Il nous faudrait deux flottes. » Des alarmes se mirent à clignoter et elle reporta le regard sur l’hologramme. « La flottille de réserve syndic a sauté pour Varandal il y a trois heures et quarante et une minutes.
— Dommage que nous n’ayons pas émergé trois heures plus tôt. S’ils avaient pu nous voir avant de sauter, ils seraient sans doute restés ici et nous auraient simplifié la vie. » Geary parcourut des yeux les relevés du statut de la flotte. « Deux flottes. C’est peut-être ce que je me verrai contraint de faire. La scinder en deux, ordonner à quelques bâtiments de recueillir les modules et sauter avec les autres.
— De qui pouvons-nous nous passer ?
— D’aucun. Mais certains auront déjà du mal à nous suivre. » Les choix semblaient couler de source, mais ce n’était pas seulement une question de matériel. Il appela l’Illustre. « J’ai une requête à vous soumettre, capitaine Badaya. »
Six secondes plus tard la réponse lui parvenait. Badaya semblait vanné, mais il fallait s’y attendre dans la mesure où il avait sans doute travaillé vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec son équipage aux réparations de l’Illustre, afin qu’il soit prêt pour le combat imminent. On ne pouvait guère demander davantage aux matelots de ce bâtiment. « De quoi s’agit-il, capitaine Geary ?