— J’aimerais recueillir ces modules de survie, mais je ne peux pas me permettre de ralentir toute la flotte. Elle pourra liquider les derniers vestiges de la présence syndic dans ce système sur le chemin du point de saut pour Varandal, mais les bâtiments qui décéléreront pour repêcher ces capsules auront besoin d’une puissance de feu suffisante pour leur protection s’il se passe quelque chose d’imprévisible. »
Badaya hocha la tête au bout de six secondes. « À qui songiez-vous, capitaine Geary ?
— Aux trois auxiliaires. À l’Orion, à l’Incroyable et au Résolution. Aux escorteurs les plus endommagés. Et à l’Illustre, parce que ces bâtiments auront besoin d’un commandant sûr et compétent. »
Badaya opina derechef. « Nous avons fait de notre mieux pour rapetasser l’Illustre, mais il restera handicapé en cas de combat. Je comprends votre raisonnement. Mais la perspective de rater la bataille de Varandal me pèse.
— Je comprends. » Badaya avait sans doute ses défauts, mais sa fierté et son honneur méritaient le respect. « C’est précisément pour cette raison que je vous prie d’accepter cette mission. Si jamais des Syndics émergeaient du point de saut pour Varandal avant que vous ne l’atteigniez, il vous faudrait vous frayer un chemin au travers. J’ai besoin de pouvoir compter sur un commandant qui en sera capable et je vous donne deux cuirassés et deux croiseurs de combat pour y parvenir. » Il ne prit pas la peine d’ajouter ce qu’ils savaient déjà tous les deux : à eux quatre, ces bâtiments blessés n’auraient même pas l’aptitude au combat d’un seul cuirassé intact.
« Les Syndics ont peu de chances de rappliquer ici avant notre départ, fit observer Badaya. Mais ce n’est pas exclu.
Cela dit, si vous laminez ceux qui ont déjà sauté pour Varandal, certains tenteront peut-être de se replier sur Atalia au moment où nous émergerons à Varandal. Nous serons alors en excellente posture pour les arrêter et les détruire.
— En effet.
— C’est une mission honorable, conclut Badaya. Nous n’abandonnerons ici aucun spatial de l’Alliance, l’Illustre ne ralentira pas nos croiseurs de combat et nous nous trouverons assez loin derrière vous pour intercepter les Syndics qui tenteraient de fuir Varandal. Je vous remercie de votre confiance, capitaine Geary.
— Vous l’avez bien gagnée, capitaine Badaya. » C’était la stricte vérité. Cette affaire de dictature mise à part, Badaya n’était pas un mauvais officier. Il tendait à se montrer plus réactif qu’imaginatif devant l’ennemi, mais qu’on lui donnât des ordres et il les exécuterait ou mourrait à la tâche. En outre il croyait en Geary, assez pour accepter une mission qu’il aurait sans doute refusée six mois plus tôt.
« Merci, capitaine Geary, répéta-t-il. L’autre question dont nous avons débattu, s’agissant des choix que nous devrons faire en atteignant Varandal… Tous ceux qui devaient en être informés sont désormais au courant de vos desiderata et tous ont promis de s’y conformer. Même si l’Illustre ne parvenait pas à gagner Varandal, vos flancs sont couverts.
— C’est bon à savoir, capitaine Badaya. » Geary marmotta une prière de remerciement, reconnaissant à Badaya d’avoir opéré pour une fois avec discrétion et diligence. Il avait eu souvent l’occasion de vérifier que les conversations prétendument privées ne le restaient pas très longtemps. « Je vais préparer les ordres pour les vaisseaux qui accompagneront l’Illustre. On se reverra à Varandal.
— L’Orion ne va pas apprécier, fit observer Desjani en vérifiant les plans de Geary.
— L’Orion ne l’a pas mérité. Dès notre retour dans l’espace de l’Alliance, je recommanderai la dispersion de son équipage et sa reconstitution par de nouveaux effectifs. Rien n’a permis de le reconstruire.
— Le spectacle d’un Numos abattu par un peloton d’exécution après son passage en cour martiale le stimulerait peut-être, déclara-t-elle jovialement.
— Peut-être. » Le courroux que lui avait inspiré la lenteur des réparations de l’Orion par son équipage restait assez fort pour que cette perspective lui sourît l’espace d’un instant. « Malgré tout, il faut dire qu’après avoir assisté à l’explosion du Majestic à Lakota, l’Orion a fait des progrès considérables dans les réparations de son blindage et de son armement.
— Mais pas de sa propulsion, fit-elle sèchement remarquer. Peut-être devriez-vous lâcher une petite allusion au fait que, s’il peut désormais mieux se protéger, il reste incapable de prendre la fuite.
— Je vais faire mine de n’avoir pas entendu, capitaine Desjani. » Tanya se contenta de sourire, nullement décontenancée. « Mais je ne pense pas que le Résolution et l’Incroyable se plaindront beaucoup, en revanche, poursuivit-il.
— Vous ne voudriez tout de même pas séparer ces deux bâtiments ? Ils sont visiblement unis pour la vie depuis leur accouplement à Héradao.
— Qu’est-ce qui vous met de si bonne humeur, capitaine Desjani ?
— La flottille de réserve syndic vient de sauter pour Varandal et elle est désormais prise entre deux feux, piégée entre les forces de l’Alliance qui ont fui Atalia et notre flotte, capitaine Geary, en même temps qu’elle devra affronter toutes les défenses que Varandal pourra lui opposer. » Desjani eut un sourire carnassier. « De la barbaque.
— Peut-être, mais de la barbaque avec des dents », corrigea-t-il.
En dépit des dimensions colossales de la salle de conférence virtuelle, Geary ne put s’empêcher de remarquer qu’elle avait diminué depuis les réunions précédentes. Les vaisseaux étaient moins nombreux et, de ce fait, les commandants se raréfiaient. Au moins le poison qui intoxiquait la flotte semblait-il enfin chassé depuis les événements de Padronis, et les débats seraient-ils désormais ouverts et authentiques. « Je veux croire que vous êtes tous informés de la situation. La flottille de réserve syndic a sauté pour Varandal avant de savoir que nous avions émergé à Atalia. Elle poursuit une force de l’Alliance d’une envergure mal connue et tentera indubitablement d’investir nos installations à Varandal et d’y détruire le reste de nos vaisseaux. Nous devons donc y arriver à temps pour appuyer nos collègues, tant sur les vaisseaux qu’au sol ou sur les stations orbitales. »
Il montra d’un geste l’hologramme qui flottait au-dessus de la table. « Le corps principal de la flotte gagnera le point de saut aussi vite que nous y autoriseront nos réserves de cellules d’énergie, en adoptant une trajectoire qui nous permettra de balayer les vaisseaux syndics encore présents dans ce système. Une formation composée de l’Illustre, de l’Incroyable, de l’Orion, du Titan, du Sorcière, du Djinn et des croiseurs et destroyers les plus endommagés ralentira assez pour y recueillir les capsules de survie de l’Alliance puis nous rejoindra à Varandal. »
Tous les regards se portèrent sur le capitaine Badaya ; chacun s’attendait sans doute à le voir manifester bruyamment son mécontentement, mais il se contenta de hocher la tête, le visage figé. « L’’Illustre s’estime honoré de se voir confier la responsabilité d’une mission aussi cruciale. Tâchez de nous laisser quelques Syndics à Varandal.
— Prudence dans vos exigences, le prévint le capitaine Parr, commandant de l’Incroyable. Mais nous serons heureux de combattre avec les autres vaisseaux. »