Duellos semblait tout aussi épuisé que Badaya. « L’équilibre des forces ne jouera probablement pas en notre faveur à Varandal, pourtant je constate que vous comptez nous y conduire alors que nos réserves de cellules d’énergie sont inférieures à vingt pour cent.
— C’est exact. » Geary s’était efforcé de répondre sur un ton détaché, comme s’il était habituel d’engager le combat contre une force supérieure en nombre avec des réserves de carburant si faibles que les bâtiments risquaient d’être privés d’énergie durant l’engagement. « Nous ne pouvons strictement rien faire pour y remédier. Les auxiliaires restants distribuent par navettes les cellules d’énergie qu’ils ont fabriquées pendant le dernier saut et nous ne pourrons plus nous réapprovisionner ensuite qu’après avoir vaincu les Syndics à Varandal. Nous nous ferons une idée plus précise du rapport de forces quand les occupants des capsules de survie récupérées auront dressé la liste des vaisseaux de l’Alliance qui sont passés à Atalia. Pour l’instant, nous ne pouvons que tenter d’évaluer nos pertes. »
Tout le monde consulta l’heure. « Les capsules les plus proches devraient nous avoir déjà aperçus, grommela le capitaine Armus. Il nous faudra attendre encore une demi-heure avant de recevoir un de leurs messages.
— C’est malheureusement exact. Mais il s’en faut de plus d’une journée avant que nous n’atteignions le point de saut pour Varandal. Nous avons le temps. Et même beaucoup trop, mais nous ne pouvons strictement rien y faire. »
Rien sinon s’asseoir sur la passerelle de l’Indomptable qui fendait l’espace à 0,12 c, en attendant que les rescapés dans les capsules de survie puissent lui livrer des informations.
La première voix qui se fit entendre sur le circuit en provenance d’un de ces modules était à ce point déformée par la liesse, l’incrédulité et la tension qu’elle était tout juste intelligible. « Ici le lieutenant Reynardin. Je crois être l’officier le plus gradé survivant du croiseur de combat Vengeur. Vous ne pouvez pas savoir à quel point nous nous réjouissons de voir arriver la flotte de l’Alliance. Les Syndics se targuaient de l’avoir détruite mais personne n’y croyait. Dans notre flotte. Bénis soient nos ancêtres et les vivantes étoiles… »
Geary s’efforça de réprimer l’agacement que lui inspirait le caquetage du lieutenant. Desjani pianotait sur le bras de son fauteuil sans dissimuler son impatience. On imaginait aisément ce qu’elle aurait répondu au lieutenant Reynardin s’il avait été à portée de voix.
Rione avait dû lire la même réaction sur les visages de Desjani et de Geary. « Le lieutenant Reynardin a perdu son vaisseau et nombre de ses amis et collègues. Il est probablement sous le choc.
— C’est un officier de la flotte, répondit Desjani en détachant chaque syllabe. Peut-être nous apprendra-t-il quelque chose d’utile quand il recevra la demande d’informations du capitaine Geary. »
Ils purent déterminer le moment précis où cette demande lui parvint, car le lieutenant Reynardin se tut subitement. Lorsqu’il reprit la parole, il sanglotait quasiment. « Capitaine Geary. C’est un grand honneur… Je… À vos ordres, capitaine. Oui. Ce qui s’est passé ? Nous avons lancé une attaque à chaud. C’était une idée de l’amiral Tagos pour déstabiliser les Syndics.
— Tagos ? grommela Desjani avant de secouer la tête. Comment diable s’est-elle débrouillée pour devenir amiral ?
— L’amiral Tagos était à bord du Favorable, poursuivit Reynardin. Je n’ai pas vu tout ce qui a frappé ce vaisseau, mais son réacteur a explosé et je suis certain qu’il n’y a pas eu de survivants. »
Geary hocha la tête avec lassitude, en se persuadant, à la lumière de ce qu’il avait pu voir depuis qu’il avait pris le commandement de la flotte, que Tagos devait sa promotion à son habilité politique et à son « esprit combatif », puis qu’elle avait fait preuve des deux en se précipitant dans une bataille perdue d’avance.
« Le Vengeur et le Favorable. Deux croiseurs de combat, fit remarquer Desjani tandis que Reynardin, choqué, continuait d’interminablement déblatérer. Peut-être un autre occupant de son module pourrait-il s’emparer du panneau de communication…
— Espérons-le. » Toute tentative pour exhorter le lieutenant Reynardin à se concentrer sur les questions qu’on lui posait risquait de se traduire par un très long et fastidieux processus, les capsules de survie les plus proches se trouvant encore à plus de deux heures-lumière.
« C’était effroyable, poursuivit-il. Toute… l’affaire.
— Qu’on l’abatte, s’il vous plaît, gronda Desjani.
— Il est en état de choc », protesta de nouveau Rione.
La vigie des communications interrompit la discussion : « Commandant, un autre module nous appelle.
— Basculez ! » ordonna Desjani avec soulagement.
L’officier leur parut tout de suite plus pondéré. « Ici l’enseigne Hochin, affecté à la batterie de lances de l’enfer du Sans-pareil, capitaine. Je crains de ne pouvoir vous informer de la composition des forces de l’Alliance que jusqu’au moment où nous avons dû l’évacuer.
— C’est déjà quelque chose. » Desjani coula un regard vers Geary. « Le Sans-pareil appartenait lui aussi à la division de cuirassés de l’Invincible. »
Ce qui signifiait que l’Invincible n’était pas présent, ou, plus vraisemblablement, qu’il avait réussi à s’échapper et regagner Varandal. Savoir que le bâtiment de son arrière-petite-nièce n’avait pas été détruit à Atalia suscita en Geary un grand réconfort en même temps qu’un vague remords, car sa survie signifiait qu’un autre vaisseau avait subi ce sort.
« Nous avions cinq croiseurs de combat, poursuivit l’enseigne Hochin. Je sais que nous avons perdu le Vengeur. Six cuirassés. Autant que je sache, seul le Sans-pareil a été détruit.
— Oh, bon sang ! jura Desjani. J’aurais dû m’en rendre compte. Les plus proches capsules de survie proviennent des vaisseaux de l’Alliance détruits en premier. Les senseurs des modules sont rudimentaires et ils n’auront qu’une idée très imprécise de ce qui s’est passé après la perte de leur vaisseau. Pour évaluer correctement le nombre de ceux qui ont réussi à gagner le point de saut, il nous faudra attendre de recevoir des nouvelles des modules de l’Intraitable.
— Une heure de plus, évalua Geary.
— Au moins. »
Mais Hochin parlait encore. « Je présume que vous comptez balayer les Syndics restés sur place, mais des modules du Cape nous ont laissés entendre qu’un des croiseurs lourds syndics avait recueilli des spatiaux du Sans-pareil. Ils estiment leur nombre entre quarante et soixante personnes, mais peut-être moins.
— Merde ! » Geary vérifia la position des croiseurs lourds syndics sur son écran. « Lequel ?
— Autant que nous ayons pu le déterminer d’après la position des modules du Cape et leur description de la trajectoire du croiseur syndic, il devrait se trouver dans une zone éloignée d’environ une heure-lumière et demie de l’étoile Atalia, légèrement au-dessus du plan du système et à grande proximité d’une ligne joignant l’étoile au point de saut pour Kalixa, poursuivit Hochin comme s’il n’avait pas entendu. Les gens du Cape affirment qu’il avait subi de lourds dommages à la proue.