— Vous n’aurez pas droit à une proposition plus favorable, fit remarquer Rione.
— Ni plus dangereuse, objecta Desjani. Elle pourrait attendre que nous nous rapprochions de son bâtiment afin de récupérer nos prisonniers pour déclencher la surcharge de son réacteur. »
La décision n’était pas facile à prendre. Lors de négociations précédentes, les Syndics ne s’étaient pas franchement montrés dignes de confiance. « Il y a un truc bizarre en elle, fit observer Geary. Regardez ses yeux. Quelque chose a dû salement la secouer. »
Desjani plissa les paupières pour scruter le visage de la Syndic. « Ils ont remporté la victoire dans ce système.
Curieux qu’elle ait l’air si sonnée. Elle a sans doute été touchée pendant le combat.
— Peut-être. » Tous restaient dans l’expectative, mais seul Geary pouvait trancher. Il se rappela l’observation du colonel Carabali quant à la nécessité de décider qui vivra et qui mourra. Il ne tenait pas à s’y résoudre encore mais s’y trouvait contraint. « Très bien. Je vais accepter ses conditions. C’est la seule façon de sauver les prisonniers détenus sur son croiseur si nous ne voulons pas les abandonner à leur sort et le laisser filer. »
Desjani garda un masque impassible pendant que ses doigts couraient sur son hologramme. « Je préconise, parmi les destroyers qui fondent sur le croiseur lourd, l’envoi du Fusil et du Couleuvrine pour l’intercepter. Il leur faudra le frôler de très près, épouser ses vecteurs puis tendre des tubes pour récupérer manuellement les prisonniers. Dépêchez aussi le reste de l’escadron afin de surveiller les modules de survie syndics qui pourraient représenter une menace. »
Geary acquiesça d’un hochement de tête. « Et les croiseurs légers ?
— Faites-les danser autour du croiseur lourd, conseilla Desjani. En créant l’impression qu’ils pourraient s’en approcher davantage, de sorte que, si les Syndics envisageaient de faire sauter leur réacteur, ils tergiverseraient dans l’espoir d’anéantir aussi quelques-uns de nos croiseurs légers.
— Très bien. »
Près de deux heures plus tard, Fusil et Couleuvrine se rangeaient le long du croiseur lourd ennemi et réglaient prudemment, avec la plus grande précision, leur vélocité et leur trajectoire sur les siennes. Cela fait, les trois bâtiments fendaient toujours le vide à une vitesse terrifiante mais en conservant la même position relative, de sorte qu’ils semblaient tous immobiles, comme suspendus dans l’immensité de l’espace. Tout près du croiseur lourd syndic, du Fusil et du Couleuvrine, un petit amas de modules de survie signalait l’évacuation du bâtiment ennemi par son équipage.
Destroyers et croiseur lourd se trouvaient à présent à près de quarante minutes-lumière du corps principal de la flotte. Le détachement mené par l’Illustre, à plus d’une heure-lumière, avait encore perdu du terrain et continuait de décélérer pour recueillir les capsules de survie de l’Alliance. Le corps principal avait d’ores et déjà balayé la zone et liquidé un croiseur léger et un croiseur lourd syndics endommagés pendant le combat, et il n’était plus qu’à moins de cinq minutes-lumière d’un croiseur de combat ennemi blessé, qui donnait l’impression d’attendre son sort avec la plus lugubre détermination.
Impuissant à intervenir pour l’instant, Geary regarda s’allonger des tubes entre le croiseur lourd syndic et ses destroyers, puis les lointaines silhouettes de ses spatiaux en combinaison de survie se déplacer le long de ces tubes ; au terme d’une attente qui lui parut interminable, d’autres silhouettes en combinaison de survie sortirent du bâtiment ennemi pour gagner les destroyers. Leur file finit par s’amenuiser, on rembobina les tubes et les destroyers s’éloignèrent en accélérant. « Combien ?
— Les senseurs de la flotte ont compté trente-six personnes, en sus des fantassins chargés du débarquement, capitaine.
— Trente-six. » Geary fixa Desjani en haussant les épaules. « Cette Syndic au moins m’a l’air d’avoir tenu parole.
— Nous le saurons dès que les commandants du Fusil et du Couleuvrine auront rendu compte, grommela Desjani. Leurs messages devraient nous parvenir dans quarante minutes. »
Cinq minutes plus tard, alors que tous les croiseurs légers et destroyers de l’Alliance regagnaient le corps principal et que les modules de survie ennemis continuaient de filer se mettre à l’abri, le croiseur lourd syndic disparaissait dans un éclair éblouissant. « Son réacteur a explosé. Mais pourquoi maintenant ? s’interrogea Desjani. Un piège mal minuté ?
— Peut-être. Si c’est le cas, ça s’est heureusement produit alors que tout le monde avait dégagé. » Il se demanda ce qu’il était advenu de l’officier syndic qui avait promis de ne pas abandonner son vaisseau.
Moins de vingt minutes plus tard, la flotte de l’Alliance croisait la trajectoire du premier croiseur de combat syndic endommagé. Manquant de temps et de cellules d’énergie, Geary se contenta d’ordonner à une demi-douzaine de cuirassés de dévier suffisamment pour se livrer à quelques passes de tir rapprochées sur le vaisseau ennemi blessé. Bien qu’il lui restât encore quelques armes opérationnelles, les cuirassés de l’Alliance n’eurent aucun mal à enfoncer ses boucliers en le criblant méthodiquement, à bout portant, de tirs de leurs lances de l’enfer, jusqu’à le réduire en miettes. « Tous les systèmes sont morts sur le croiseur de combat ennemi. L’équipage abandonne le bâtiment. »
Desjani fredonnait un petit air en regardant l’épave culbuter dans le sillage de la flotte.
Peu après, un rapport leur parvenait du Fusil. Le commandant du destroyer semblait interloqué. « Nous avons quinze prisonniers libérés à notre bord, capitaine Geary. Plusieurs souffrent de graves blessures et n’ont reçu que des soins de première urgence. Nous détenons aussi le commandant du croiseur syndic. Elle a demandé à être capturée. Attendons instructions quant à son transfert et celui des prisonniers blessés. »
Desjani fixait la fenêtre où s’affichait ce message. « D’abord certains de nos prisonniers libérés demandent à être mis aux arrêts et, maintenant, un officier syndic exige d’être faite prisonnière. Le monde serait-il devenu fou ?
— Elle doit avoir une bonne raison, insista Rione. Il faut absolument transborder cette Syndic sur l’Indomptable pour l’interroger, capitaine Geary. J’ai la forte impression que nous devrions apprendre tout ce qu’elle sait de ce qui s’est passé ici. »
Geary posa une question muette à Desjani, qui hocha aussitôt la tête. « L’Indomptable peut prendre les blessés en charge et nous disposons d’une cellule libre pour la Syndic. »
Il envoya au Fusil une réponse lui ordonnant de se rapprocher de l’Indomptable pour permettre à une navette d’y transférer le personnel, puis dépêchant le Couleuvrine vers l’Amazone, car ce cuirassé n’avait que peu de blessés à son bord.
« Nous allons en payer le prix, fit remarquer Desjani. Les réserves de cellules d’énergie des croiseurs légers et des destroyers que nous avons assignés à cette mission vont tomber à moins de vingt pour cent quand nous sauterons. Quinze pour cent peut-être pour le Fusil, » Elle agita la main avec résignation. « Bah ! Une fois à zéro, elles ne pourront pas tomber plus bas.