— Une plaisanterie, j’espère !
— Oui, capitaine. Un peu comme de siffloter en croisant un trou noir. »
« Quels étaient vos ordres ? »
La Syndic qui commandait au croiseur lourd soutint le regard du lieutenant Iger depuis son siège de la salle d’interrogatoire de l’Indomptable. « Je suis une citoyenne des Mondes syndiqués.
— Votre bâtiment appartenait-il à la flottille de réserve ? »
Elle mit un moment à répondre : « Je suis une citoyenne des Mondes syndiqués. »
Le premier-maître posté devant le panneau d’enregistrement des réactions ricana doucement. « Elle vous a eu, lieutenant, déclara-t-il dans l’unité de communication. Mais l’EEG et les réactions physiologiques traduisent surprise et inquiétude. Elle se demande comment nous sommes au courant de la flottille de réserve.
— Depuis quand votre vaisseau était-il affecté à la flottille de réserve ? demanda Iger.
— Je suis une citoyenne des Mondes syndiqués. »
Le sous-officier se rembrunit légèrement en lisant les relevés. « Je ne peux rien en tirer d’utile, lieutenant. Des réactions émotionnelles, certes, mais difficile de préciser ce qu’elles recouvrent. Essayez de la cuisiner en lui posant des questions sur les caractéristiques de cette flottille. »
Iger opina de nouveau, comme pour prendre acte de la déclaration de la Syndic, mais en réalité pour répondre au premier-maître. « Est-il exact que cette flottille se compose des éléments d’élite de la flotte syndic ? » demanda-t-il.
Geary lui-même put constater les réactions émotionnelles que déclenchait la question.
« Ça ne lui plaît pas, déclara le sous-off. Colère et rancœur, dirait-on. »
Desjani eut un reniflement de dérision. « C’est donc que le croiseur n’appartenait pas à cette flottille. Apparemment, cette force avait une très haute opinion d’elle-même et n’hésitait pas à le faire savoir.
— Quels sont les projets de la flottille de réserve après son irruption à Varandal ? demanda encore Iger.
— Je suis une citoyenne des Mondes syndiqués.
— Je n’ai vu s’allumer aucune des zones cérébrales qui sont les centres de la tromperie, lieutenant. » Le premier-maître se tourna vers Geary. « Si elle connaissait ces projets, elle a dû réfléchir au moyen de mentir à leur sujet, même si elle continue de ressasser interminablement son “Je suis une citoyenne…”
— Merci, chef. » Geary jeta un regard vers Desjani et Rione. « Si son vaisseau n’appartenait pas à la flottille, elle n’a sans doute pas été informée de ses projets. Priez le lieutenant Iger de lui demander pourquoi aucun de ses hommes d’équipage n’a protesté contre la reddition de leur vaisseau. »
Iger s’exécuta un instant plus tard. La Syndic crispa ostensiblement les mâchoires et le premier-maître siffla en voyant s’allumer le scan cérébral. Constatant qu’elle ne répondait pas, Iger insista : « Nous savons que le règlement syndic interdit toute reddition. Vous ne vous êtes pas inquiétée de ce que vous risquiez ? »
D’autres lumières apparaissant sur le scan, le premier-maître hocha la tête : « Elle était inquiète, mais cette inquiétude ne portait pas sur sa propre sécurité, lieutenant. »
Iger fit la bouche en cul-de-poule comme si une idée venait de lui venir. « Vous ne vous inquiétiez même pas du sort de votre famille ?
— Dans le mille, lieutenant. Apparemment, c’est son plus gros souci.
— Pourquoi vous êtes-vous rendue ? » insista Iger. La Syndic lui jeta un regard noir mais ne répondit pas.
Alors qu’elle contemplait l’image de la Syndic, les lèvres de Desjani se retroussèrent soudain en un rictus. « Dites au lieutenant de lui demander si elle a des questions à poser, chef. »
Celui-ci parut interloqué, mais il transmit l’instruction.
L’officier syndic observa un silence encore plus prolongé à la suite de la question d’Iger puis : « Tous mes hommes d’équipage survivants sont-ils sains et saufs comme convenu ? » s’enquit-elle finalement, comme à contrecœur.
Geary comprit soudain et adressa un signe de tête à Desjani, qui semblait imbue d’une satisfaction sinistre. « Elle voulait sauver son équipage. La reddition était le seul moyen d’y parvenir, mais elle ne voulait surtout pas qu’il s’en aperçoive. Même si aucun de ses officiers ne s’y était opposé, elle aurait continué à s’inquiéter du sort que les dirigeants syndics réserveraient à sa famille si ça finissait par se savoir. »
Geary tapa sur la touche qui lui permettait de communiquer avec la salle d’interrogatoire. « Commandant. » Le lieutenant Iger et la Syndic se tournèrent vers la cloison d’où semblait provenir sa voix. « Votre équipage est sauf. Avez-vous un message à lui transmettre ? »
Le sous-off siffla doucement. « Un gros pic de peur. Mais pas pour elle-même. »
La Syndic prit une profonde inspiration. « Non. Je préfère lui laisser croire que je suis morte à mon bord.
— C’est ce que vous leur avez dit ? demanda Geary. Que vous mourriez à son bord. Avez-vous menti à votre équipage ? »
Le chef hocha la tête. « Ça y ressemble, vu d’ici. » La Syndic fusilla Iger du regard. « Oui. J’ai menti à mon équipage. Je lui ai dit que je resterais à bord pour déclencher la surcharge du réacteur dès que les vaisseaux de l’Alliance seraient assez près. Mais je savais aussi que vous massacreriez les survivants si je m’y résolvais. Je leur ai menti pour qu’ils abandonnent le vaisseau et rapportent ensuite que j’étais morte en faisant mon devoir. » Son regard furieux dardait tous azimuts, comme s’il cherchait à repérer le point d’où l’observait Geary. « Je me serais battue jusqu’à la mort si ç’avait pu changer quelque chose, mais nous étions désarmés. Et, même dans ces conditions, je n’aurais consenti à un arrangement qu’avec le capitaine John Geary, parce que j’ai vu détruire trop de modules de survie syndics pour le seul plaisir de la chasse ! »
Geary vit le visage de Desjani virer à l’écarlate. « L’outrecuidante salope ! cracha-t-elle. Elle a probablement descendu pas mal des nôtres en flammes. »
Cherchant à changer de sujet, Geary activa son micro : « Demandez-lui ce qui a provoqué les dommages à sa proue. »
Une fois la question retransmise, la Syndic se contenta de fixer Iger, pâle comme la mort.
« Wouah ! lâcha le premier-maître. Énorme réaction. Rien qu’y songer la bouleverse manifestement, lieutenant. »
Iger réitéra la question.
Elle lui jeta un regard furieux. « Vous savez très bien ce qui les a provoqués.
— Non, répondit fermement Iger. Nous l’ignorons.
— Mon vaisseau arrivait de Kalixa. Ça répond à votre question ? »
Iger parut aussi surpris que décontenancé, mais Geary le soupçonna de laisser transparaître intentionnellement ces émotions. « Non, ça n’y répond pas. Que s’est-il passé à Kalixa ?
— Ne jouez pas à ce jeu avec moi ! C’est sûrement vous qui l’avez déclenché ! »
Geary activa de nouveau le circuit de communication. « Que s’est-il passé à Kalixa, capitaine ? »
La Syndic balaya longuement la salle du regard. Sans répondre.
Le premier-maître siffla. « Partout des marqueurs. Comme si elle était sincèrement bouleversée mais n’arrivait pas à décider si elle devait mentir, dire la vérité ou piquer sa crise. »
Mais la Syndic avait dû opter pour la non-violence. Elle se contenta de s’assombrir davantage. « D’accord. Faisons comme si vous ignoriez que le portail de l’hypernet a explosé à Kalixa et dévasté tout le système stellaire. »