Pourtant les Syndics continuaient d’arriver, jusqu’à ce que, quinze minutes plus tard, un autre essaim de mines n’élimine deux avisos et n’endommage plusieurs autres bâtiments. « De combien de mines dispose-t-elle donc ? s’interrogea Desjani.
— Les Syndics se posent sans doute la même question. »
Cette fois, la flottille de réserve syndic ne maintint pas le cap et préféra accélérer et grimper pour modifier sa trajectoire d’interception du détachement de l’Intrépide. Mais les vaisseaux de l’Alliance réagirent en esquivant, la contraignant à se lancer dans une nouvelle poursuite l’écartant du portail. « Elle s’efforce de les attirer loin du portail, fit remarquer Desjani sur le ton de l’approbation. C’est bien une Geary. »
Cela dit, toute la flottille de réserve ne participait pas à la traque. Son parallélépipède se scinda : une demi-douzaine de cuirassés, deux croiseurs de combat et une flopée d’escorteurs virèrent pour se lancer aux trousses de l’Intrépide, tandis que les autres bâtiments continuaient de foncer vers le portail.
« Qu’est-ce qu’elle… ? » Avant que Geary ait eu le temps de terminer sa phrase, l’Intrépide, l’Intempérant, le Fiable et leurs escorteurs s’étaient à nouveau retournés pour charger leurs poursuivants syndics. Mais leur infériorité numérique restait par trop écrasante. Geary attendit, pris d’un mauvais pressentiment, conscient que ces événements remontaient à deux heures.
La course des deux groupes de vaisseaux divergea de nouveau, sans qu’aucune perte ne fût perceptible dans un camp ni dans l’autre. « Elle les a évités. Ils s’attendaient à ce qu’elle charge droit sur eux et elle a fait faire une embardée à ses vaisseaux pour les mettre hors de portée. » Desjani observait l’hologramme d’un œil intrigué. « L’Intrépide esquive délibérément les Syndics, capitaine. Elle a compris qu’ils ne pourraient pas envoyer leurs croiseurs lourds sur le portail et filer tant que ses propres bâtiments se trouveraient à proximité, car l’Intrépide et ses camarades ne les expédieraient alors que trop aisément.
— Certains Syndics devront se porter volontaires pour une mission suicide, ajouta Geary. Ce n’est pas comme à Lakota. Ils savent ce qui arrivera s’ils abattent ce portail. Leur commandant saura-t-il se montrer assez persuasif pour les convaincre malgré tout de s’attarder à proximité afin de protéger leurs croiseurs lourds contre le détachement de l’Intrépide ?
— J’en doute. Un petit groupe de commandos des Forces spéciales, peut-être, mais des matelots… ? Ça n’entre pas dans leurs attributions. »
Geary appela le lieutenant Iger. « Il me faut votre sentiment. Selon vous, ces vaisseaux syndics pourraient-ils se lancer sciemment dans une mission suicide ? »
Iger secoua la tête. « Normalement, non, capitaine. Combattre jusqu’à la mort, sans doute… mais les vaisseaux syndics n’ont pas la réputation de participer à des missions suicides. » Il marqua une pause. « Il y a un élément qui joue en faveur de ce raisonnement, capitaine. La Syndic prisonnière à bord de l’Indomptable a reçu des soins médicaux. Les médecins affirment qu’elle a été traumatisée par le spectacle de la destruction de Kalixa et qu’elle a besoin de calmants pour trouver le sommeil.
— Ça ne m’étonne pas, lieutenant. Mais quel rapport avec la situation présente ?
— N’oubliez pas ce qu’elle nous a dit, capitaine. Les commandants en chef de la flottille de réserve lui ont ordonné de leur envoyer des copies des enregistrements de cet événement pris par son bâtiment. Autrement dit, ses officiers, du moins quelques-uns, auront vu eux aussi ce qui l’a si fort impressionnée.
— Compris. » Si le spectacle des scènes de Lakota, relativement moins épouvantables, avait révolté ses propres officiers, quel impact celui de Kalixa, bien plus effroyable, avait-il pu avoir sur les Syndics ? « Mais ces commandants ont dû mettre les enregistrements sous le boisseau, j’imagine. »
Iger sourit. « Ils ont sûrement essayé, capitaine. Mais les systèmes syndics, comme les nôtres, sont truffés de portes de service et de sous-réseaux. On ne peut créer et maintenir des réseaux aussi complexes sans en donner en même temps les moyens, et nous savons que le personnel des forces syndics les exploite tout comme le nôtre.
— Si bien que de nombreux spatiaux de cette flottille de réserve ont dû visionner les enregistrements de Kalixa. Merci, lieutenant. » Il se retourna vers Rione et Desjani et leur répéta ce qu’Iger venait de lui apprendre.
Desjani hocha la tête. « Je sais au moins que ce que j’ai vu à Lakota m’a guérie de toute envie de provoquer avec l’Indomptable l’effondrement d’un portail.
— Les commandants de cette flottille de réserve ne pourraient-ils pas prendre le contrôle de quelques vaisseaux par voie de télécommande ? s’enquit Rione. C’est ce qu’ils ont fait à Sancerre.
— Si fait, convint Geary. Mais les équipages de ces vaisseaux syndics ont réussi à en reprendre le contrôle avant leur destruction. Nous pouvons présumer, sans risque d’erreur me semble-t-il, que ceux-là aussi seront disposés à passer outre toute tentative de contrôle automatique. Ils savent ce qui les attend s’ils s’en abstiennent.
— Donc nous avons une petite chance, exulta Desjani. Du moins tant que l’Intrépide survit.
— On dirait. » Geary envoya à l’Intrépide un autre message résumant leurs dernières conclusions. « Je dois admettre que je suis surpris de voir Jane Geary éviter le combat. C’est exactement ce que nous attendons d’elle, mais ça ne ressemble pas à… euh…
—… la manière dont la flotte combattait avant votre retour ? interrogea Desjani. En effet. Nous nous demandions pourquoi une Geary commandait à un cuirassé plutôt qu’à un croiseur de combat, vous souvenez-vous ? Voilà votre explication. Manque d’agressivité. »
Autrement dit, Jane Geary réfléchissait davantage à des tactiques qu’elle ne se fiait à des charges héroïques. L’Intrépide et le Fiable restaient fidèles au nom qu’ils portaient, mais pas l’Intempérant. Geary fut pris de l’espoir renouvelé qu’il arriverait peut-être à connaître Jane Geary. Il vérifia le délai séparant sa formation de croiseurs de combat du contact avec la flottille syndic. Dix-neuf heures. « Avons-nous reçu des nouvelles des autorités de Varandal, capitaine Desjani ?
— Aucune, capitaine.
— Pas même un message “trafiqué” ?
— Pas même, capitaine. Nous n’avons pas capté non plus d’ordres adressés à l’Intrépide. Apparemment, on va vous laisser mener seul cette bataille.
— Quel veinard je fais ! Dans quel délai le détachement de l’Illustre arrivera-t-il, selon vous ? »
Desjani réfléchit en fronçant les sourcils. « Pas avant plusieurs heures au moins. Après avoir recueilli les modules de survie d’Atalia, il ne pourra pas accélérer jusqu’à 0,1 c sans épuiser ses dernières cellules d’énergie. Badaya n’est peut-être pas un génie, mais il n’est pas stupide à ce point. »
Geary régla la course de ses croiseurs de combat sur les mouvements des Syndics puis adressa une consigne similaire aux cuirassés. Il ne pouvait strictement rien faire d’autre pour l’instant, sinon regarder les Syndics s’efforcer encore d’engager le combat avec le détachement de l’Intrépide, lequel continuait de se dérober.