Et il se trouvait toujours à dix heures de la flottille de réserve quand le commandant en chef syndic finit par perdre patience. Ses parallélépipèdes se désintégrèrent, chacun de leurs vaisseaux se lançant indépendamment à la poursuite des bâtiments de l’Alliance. Seuls quatre cuirassés restèrent en formation autour de dix croiseurs lourds, à qui un essaim de croiseurs légers et d’avisos fournissait une escorte supplémentaire. « Les croiseurs lourds qu’ils comptent lancer contre le portail. L’Intrépide aura le plus grand mal à esquiver tous ces gros vaisseaux », déclara Geary, les tripes nouées. Un cuirassé ne pouvait espérer échapper bien longtemps à des croiseurs de combat, des croiseurs légers et des avisos plus rapides et maniables.
Le détachement de l’Intrépide n’essaya même pas. Les défenseurs de l’Alliance préférèrent accélérer sur un vecteur visant la petite formation de cuirassés et de croiseurs de combat ennemis en piquant droit au travers du fourmillement de vaisseaux qui s’interposaient entre eux et leurs cibles.
Un destroyer de l’Alliance puis deux puis trois explosèrent ou dévièrent de leur trajectoire, tous leurs systèmes HS. Le seul croiseur léger qui accompagnait l’Intrépide se désintégra sous les tirs de la douzaine de Syndics qui le frôlèrent. Un croiseur lourd de l’Alliance frémit, frappé par de nombreux missiles, puis explosa. Un quatrième destroyer vola en éclats.
Puis le détachement de l’Alliance s’extirpa de la cohue ennemie et fondit sur la petite formation syndic.
Les quatre cuirassés ennemis vomirent missiles et mitraille, mais leurs cibles s’étaient déjà déployées en esquivant de nombreuses frappes. Un autre croiseur lourd et deux autres destroyers périrent malgré tout sous ce tir de barrage.
Le détachement de l’Intrépide traversa en force la formation syndic. Les cuirassés Intrépide et Fiable protégeaient le croiseur de combat Intempérant des tirs des cuirassés ennemis, tandis que tous les bâtiments de l’Alliance concentraient les leurs sur les croiseurs lourds.
Geary regarda se séparer les formations et attendit, le cœur au bord des lèvres, que l’hologramme se réactualisât à mesure que les senseurs de la flotte évaluaient les résultats.
« Wouah ! » lâcha Desjani. Huit des dix croiseurs lourds étaient éliminés, soit parce qu’ils avaient explosé, soit parce qu’ils n’étaient plus opérationnels. « Donnez à cette femme le commandement d’un croiseur de combat ! Au temps pour le plan des Syndics. Ils vont devoir évacuer les équipages d’autres croiseurs lourds.
— Ouais. » Geary regardait en secouant la tête ce qu’il restait du détachement de l’Intrépide. Ce dernier vaisseau et le Fiable avaient certes subi des dommages, mais ils demeuraient impressionnants. Les frappes destinées à l’Intempérant avaient pratiquement réduit au silence la moitié de son armement, et à tel point ralenti ce bâtiment qu’il peinait à suivre les cuirassés. De tous les escorteurs, seuls deux croiseurs lourds et un unique destroyer avaient survécu à la dernière passe de tir. « Elle ne pourra pas remettre ça.
— Peut-être une dernière fois, démentit Desjani. Mais seuls les deux cuirassés s’en sortiront. Si elle est un peu futée, elle s’efforcera d’esquiver les Syndics pendant un certain temps. »
La grande masse des vaisseaux ennemis qui manœuvraient indépendamment les uns des autres revenait de nouveau sur le détachement de l’Intrépide pour tenter de l’intercepter, mais la formation de l’Alliance, encore que passablement diminuée, fonçait toujours vers le portail. « Ils vont mettre un bon moment à rattraper ces vaisseaux, déclara Geary. Mais pas neuf heures. » Leurs combats avec les défenseurs de l’Alliance juste avant l’émergence de la flotte n’avaient pas moins coûté aux Syndics qu’à leurs adversaires. Mais, après le dernier accrochage, la flottille de réserve pouvait encore se targuer de quatorze cuirassés, onze croiseurs de combat, huit croiseurs lourds, trente-trois légers et quatre-vingt-cinq avisos. « Restent huit croiseurs lourds. Cela leur suffira-t-il pour provoquer l’effondrement du portail ?
— Tout dépend du temps dont ils disposeront pour continuer de tirer, répondit Desjani. Ce commandant doit bien se rendre compte qu’il ne peut plus s’en tenir au plan d’origine. L’Intrépide et ses compagnons nous ont fait gagner trop de temps. Les Syndics devront trouver autre chose. »
Le malaise de Geary se cristallisa brusquement : « Ils vont s’efforcer de vaincre cette formation puis d’éliminer nos cuirassés à leur arrivée. Ils pourront prendre ensuite tout leur temps pour liquider ce qui reste du détachement de l’Intrépide avant de s’en prendre à loisir au portail. »
Desjani opina. « C’est ce que je ferais.
— Mais nous manquerons de réserves de cellules d’énergie pour leur tenir la dragée haute jusqu’à l’arrivée des cuirassés.
— Les Syndics le savent-ils ?
— Espérons que non. »
Sept heures depuis l’émergence. Quatre cuirassés syndics poursuivaient encore le détachement de l’Intrépide. Le reste de la flottille de réserve reprenait sa formation habituelle en parallélépipède, avec ses croiseurs lourds bien protégés au centre. Geary réfléchissait à ses options, conscient que, s’il tentait d’enfoncer le cube syndic avec ses croiseurs de combat pour atteindre les croiseurs lourds, il y parviendrait peut-être, mais qu’aucun ne ressortirait de l’autre côté.
Six heures encore avant le contact. Le cube de la flottille de réserve, désormais compact et resserré, se retournait vers les croiseurs de combat de l’Alliance en approche. « Vous l’avez dit, capitaine Desjani. Nous nous battons à un contre deux en termes de gros vaisseaux, mais, plus capital encore, avec tous ces cuirassés, les Syndics jouissent d’une puissance de feu trois fois supérieure à la nôtre. Idem pour le blindage. » Son regard se reporta sur les quatre cuirassés qui, un peu plus tôt, poursuivaient le détachement de l’Intrépide mais avaient désormais altéré leur trajectoire pour former un écran entre les vaisseaux de l’Alliance et la principale formation syndic.
Ce fut comme si Desjani avait lu dans son esprit. « Quatre cuirassés. Nous pouvons nous les faire.
— Si nous nous y prenons bien. » Geary vérifia la position de ses propres cuirassés, qui progressaient régulièrement mais se trouvaient encore à plus d’une heure de ses croiseurs de combat. Les réserves de cellules d’énergie diminuaient sur tous les vaisseaux. Il se concentra sur le Fusil, dont les réserves, à présent les plus basses de la flotte, étaient descendues à six pour cent. « J’aurais dû laisser le Fusil au point de saut.
— Son équipage ne vous l’aurait jamais pardonné. »
Il régla soigneusement l’approche, ajusta la course des croiseurs de combat pour qu’ils donnent l’impression de se diriger tout droit vers un choc frontal avec le cube syndic, remonta légèrement la trajectoire des cuirassés afin qu’ils atteignent les Syndics au bon moment et détermina le point exact où ils devraient de nouveau changer de cap.
« Encore combien de temps ? » s’enquit Rione. Elle avait gardé le silence si longtemps qu’on aurait facilement oublié sa présence au fond de la passerelle.
« Les Syndics arrivent maintenant sur nous, expliqua-t-il. Deux heures et quarante minutes avant le contact, à quelques minutes près. Une surprise les guette dans deux heures et vingt minutes.